Florac/Gabriel – Un visage

D’emblée on devine l’humeur, qui se veut résolument optimiste, encore que….
La paupière est lasse, la prunelle vive mais le blanc de l’œil un brin hépatique.
De ce visage asymétrique, on aimerait lire de l’empathie, un peu de douceur, une larme d’espièglerie. L’autre œil ne dit rien, il regarde dans le vague, comme déconnecté de son voisin. Les sourcils partent en broussailles, ils imposent un peu la crainte,
tel un vent froid et violent dans un champ de blés. Plus haut, le front s’affiche comme un écran plat, avec des stries irrégulières, tacheté de rouge à cause de la sécheresse de la peau trop fine, mal entretenue probablement. La forêt de cheveux se veut disciplinée, elle n’est pourtant que tas d’épis de longueur inégale, un sous-bois mal ratiboisé. Les tempes sont bleu gris, comme celles des vieilles gens. C’est à partir du rez-de-chaussée que ça devient intéressant. La proéminence du nez semble vouloir flairer la bonne affaire, mais aussi humer le temps comme il vient. Ce sont les narines qui le disent, larges comme des bouées, tandis que l’arête de ce gros pif est aspirée par l’ensemble. Tout compte fait, un nez qui inspire le respect. La bouche ressemble à un boulevard ; les dents sont plantées à l’arrache, telles des bornes kilométriques. Les lèvres elles, s’étirent de chaque côté, deux limaces en tête à queue. La mâchoire est carrée, le menton, un peu gras, prépare son double.

Que dire de cette gueule-là, lui confierais-je mes économies, le souhaiterais-je comme beau-frère, ou mieux, compagnon dans un stage de survie ?

J’ai discrètement repéré son meilleur profil, photogénique dans la série « gueules étranges ». Mais c’est l’autre côté, au final, qui séduit ; une joue légèrement éraflée, une pommette plus saillante. L’œil humide trahit un parcours de vie heurté, une douleur mal dissimulée, des bras qui ont dû manquer, il y a longtemps. C’est ce côté-là qu’il doit regarder de temps en temps, le soir, un peu imbibé, quand il ose, seul face au miroir, caresser du doigt sa sensibilité.

Gabriel Fallet

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