Récit d’un atelier en quatre étapes
Etape 1
Animatrice : Marlen Sauvage (Les ateliers du déluge – Temelac, 48110 Molezon)Nous ne serons que six femmes aujourd’hui. Mon amie de plume, Marie Charlotte, comme plusieurs personnes pré-inscrites, a dû redouter la chaleur, ou le long trajet jusqu’aux montagnes qui dominent le Pont-de-Montvert.
Outre l’animatrice, je suis donc accompagnée de Sylvette, une des responsables des animations du parc naturel des Cévennes, d’Alex, qui vient du Jura et passe une semaine de vacances en Lozère, de Stéphanie et de Françoise.La brochure indiquait un rendez-vous à dix heures devant la maison Victoire. Il s’agit d’une maison d’hôte superbe, en granit, aussi accueillante que son propriétaire. Le panorama est grandiose, l’air pur. Après les présentations et une petite marche parfumée par les genêts, Marlen revient sur l’histoire des carnets de voyage, sur celui de Stevenson, et donne des exemples de carnets modernes : Titouan Lamazou ou Loustal, qui mêlent textes, collages de tickets, d’images diverses, peintures, croquis… parfois en décalage avec le texte.
Nous aussi nous pourrons dessiner ou coller…
La notation : une écriture du présent, objective, plate, sans commentaire en général. Un fragment court : parfois une phrase, un seul mot, ou un texte plus long, de trois pages par exemple.
Comme notre voyage ne sera que de quelques heures, il sera appréhendé comme un voyage intérieur, et sa trace écrite comme écriture de soi. Il y aura cinq étapes, on peut donc structurer l’espace matériel de notre carnet en fonction.
Mise en condition : après quelques centaines de mètres de marche, nous nous asseyons sur l’herbe et écoutons des extraits de Gao Xingjan, (auteur de La Montagne de l’âme, prix Nobel) : Une Canne à pêche pour mon grand-père.
Première étape : la vue.
Deuxième étape : l’ouïe.
3° étape : le goût et l’odorat, à associer au « je » et à la mémoire.
Quatrième et dernière étape : le toucher.
Texte n°1

©hirondellecanadaPar Hélène BarathieuA l’entrée du champ, près des barbelés distendus et rouillés, l’herbe est rare, usée par les passages des bêtes, des hommes, et surtout du matériel. Quelques touffes jaunies luttent contre la sécheresse. En regardant bien, il reste un peu de vert du printemps dans ces brins assoiffés. Chaque touffe ébouriffée garde encore quelques brins verticaux, chargés de graines en leur extrémité, pinceau ou plume pointé vers le ciel, frémissant au vent.Les petites fourmis noires préfèrent parcourir les zones plus secrètes. Elles s’activent, grouillent, escaladent, font l’équilibre sur ces petits fils végétaux, apparaissent, disparaissent, réapparaissent. D’autres insectes sont plus rapides : une sauterelle bondit, et des inconnus noirâtres, antennes dressées, pattes arrières écartées par l’embonpoint de leur ventre, crapahutent dans un enchevêtrement d’herbes, de brindilles de genêts secs, ou, au bord du chemin, de gousses entortillées comme des ressorts.Seul un papillon aux couleurs vives vient parfois danser sur l’ocre et les bruns grisés de ce tapis naturel.
Etape n°2

J’ai coupé une fougère, ramassé quelques brindilles, des feuilles, mais je finis par les oublier par terre. Dommage.
Nous poursuivons notre descente vers la rivière par un sentier abrupt, plutôt glissant car la terre est très sèche, presque sablonneuse. Quand on arrive à regarder autre chose que ses pieds, on est surpris par l’immensité du panorama et la beauté de cet espace structuré par d’énormes blocs de granit, ronds comme des billes pour géants.
Il est midi, mais nous attendrons un peu pour manger.Deuxième étape : l’ouïe.Fermons les yeux pour écouter le ruisseau et la voix cachée des choses. Vers quoi nous porte ce que l’on entend ?
Je prends mon temps. Les bruits sont très nombreux, à la fois connus et inconnus. J’essaie d’être plus à l’écoute que jamais.
Midi/Festival Nature

©LucaPicciau
Par Hélène BarathieuIci, l’eau dialogue avec la roche. Plusieurs voix s’entremêlent dans une circulation infinie, ininterrompue. Bien entendu, des bruits annexes amusent les oreilles du promeneur : chant d’oiseau, crissements d’insectes, vent dans les feuilles, mais l’essentiel est dans la variété des sons émis par l’eau elle-même dans son parcours descendant, parsemé d’embûches. Ça roule, ça déboule, ça coule, ça bouillonne, ça éclabousse, ça écume, ça jaillit, ça force, ça vit.Tout à coup, je suis surprise par le bruit de fond. Il me rappelle quelque chose. On dirait presque une foule, mais ce n’est pas ça.Je ferme les yeux, je me bouche les oreilles, et je réalise soudain que ce chant de l’eau qui dévale en torrent me rappelle, inconsciemment, un autre chant, que j’entends depuis toujours en moi.C’est le même ronronnement que celui de mon sang dans mes artères. C’est ma musique originelle, qui me relie à ma mère et à mes filles. C’est le battement du cœur de la mère, musique qui rythme la mystérieuse vie in utero.
Récit, suite 1/Festival Nature

©Rando_soleilPar Hélène BarathieuJe n’ai pu faire qu’un croquis assez minable de l’endroit, décidément je vais renoncer à illustrer mes notes.
Nous poursuivons notre parcours par un sentier qui surplombe la rivière. Cinq cents mètres environ vont nous suffire pour atteindre un endroit magnifique : un passage à gué et une superbe cascade. Après nous être rafraîchies, nous pique-niquons tranquillement, puis reprenons nos activités.3° étape : le goût et l’odorat, à associer au « je » et à la mémoire.
Lectures préalables :
– Amouramort, de Sisma Van Heemstra, Actes Sud.
Dans le premier extrait, des enfants jouent avec la nourriture, transforment une figue en cochon, des framboises écrasées en sang répandu…Dans le deuxième passage, le narrateur fantasme sur une jeune fille alors qu’ils mangent des radis.
– Le Parfum, de Patrick Süskind,p. 39 L.P.
Il s’agira pour nous de nous laisser entraîner par un parfum et de chercher où ça nous mène dans notre mémoire.Quatorze Heures (voir texte affiché)
Quatorze heures/Festival Nature

Par Hélène BarathieuLa rivière n’a pas d’odeur. Ou plutôt cette eau n’en a pas . Elle est pure fraîcheur, comme les glaçons qu’on sort du freezer les après-midis d’été.
Au bord de l’eau, de tout près, on sent, dans les petites cascades, quelques gouttelettes éclaboussées et l’odeur de la mousse verte qui recouvre les rochers. Dans cette mousse d’un vert vif, poilue comme une épaisse moquette, se cachent les parfums terreux des champignons cueillis le dimanche en famille, et triés le soir, au couteau, pour enlever la terre et les feuilles. Je retrouve le goût des cèpes fondant en bouche avec suavité.
La mousse a la même odeur un peu écœurante que la lame de l’opinel de mon grand-père. Quand il me coupait une tranche de pain, l’endroit où la lame avait attaqué la dure croûte de la miche gardait toujours un arrière-goût de métal rouillé.
L’odeur de la mousse tout près de la cascade est sale et masculine. J’y vois les légumes terreux que mon père rapportait fièrement du jardin. Suivait l’odeur de l’économe pas commode, ce couteau compliqué dont je peinais à me servir. La peau des pommes de terre passait entre les deux lames. Apparaissait alors la chair blanche, que je lavais pour aider ma mère. La mousse près de la cascade renferme cela aussi : l’odeur de la terre et de la fécule blanche.
Sur les rochers, à la lisière de l’eau, je vois une couleur orangée, la même couleur de rouille que sur les vieux opinels ou les vieux économes, sans doute à cause du fer que contient cette eau.C’est aussi cette odeur âcre de la mousse que je sentais dans mon sang, quand, enfant, je saignais du nez, en été. On me faisait pencher la tête en arrière, et le sang cascadait dans ma gorge. J’étais obligée d’avaler pour ne pas étouffer, et le goût restait longtemps dans ma bouche.Je n’aime pas l’odeur de la mousse près des cascades.
Seize heures/Festival Nature

©D. Pipet
Par Hélène BarathieuJ’adore jouer avec l’eau. Je remplis une timbale ou une casserole de ma dînette à la fontaine et je verse ensuite ce liquide dans plusieurs ustensiles successifs. Mais très vite, je n’ai plus d’eau et je dois retourner m’approvisionner.
Curieuse cette eau. Elle ne sait que descendre. Elle est froide et éclabousse, mouille les chaussures et les habits. J’essaie de l’attraper, elle me file entre les doigts et dégouline le long de mes manches. Après, mes habits collent, gênent mes mouvements. Elle passe partout, file sans bruit comme un serpent fou.
Ce qui est curieux aussi , c’est que l’eau dans les pots est toujours plate. Elle a l’air dure, elle est molle. Impossible d’en faire des pâtés, des monticules. On peut seulement la verser dans le sable pour le rendre plus dur et plus solide.L’eau de la fontaine est froide. Rien à voir avec celle du bain, des larmes ou de la salive. C’est une eau libre comme celle de la rivière. Elle donne envie de boire, mais maman ne veut pas. On peut juste se laver les mains, se rafraîchir la figure. Mes doigts glissent quand ils sont mouillés. Si je les secoue, ils forment des gouttelettes, et c’est très amusant d’arroser les autres avec.Quand je bois, en cachette, en guidant l’eau entre mes mains bien serrées, je sens sa fraîcheur dans ma bouche, ma gorge, et même mon ventre.
Après, je regarderai filer mon pipi…
Quatrième et dernière étape : le toucher.
Nous restons sur le même site.
Notre écriture sera subjective ou fictionnelle.
Il s’agit d’être attentif à ce qu’on sent en premier, aux sensations concrètes. On peut aussi envisager une métamorphose, dire comment se transforment les fonctions humaines.
Lectures :
Le Clézio, Le Chemin.
Giono, poème de l’Olive.
Quinze heures (voir texte affiché)
Fin de cet atelier. Nous rebroussons chemin dans une chaleur suffocante qui rend l’ascension vers Finiels assez pénible. Nous nous quittons assez rapidement car certaines enchaînent avec une autre activité du parc. Avant de repartir, je jette un coup d’œil au camping… Qui sait, peut-être qu’un jour, en famille…