Un texte écrit pour le concert-lecture de l’ensemble vocal de Molezon, AVEC, dirigé par Maurice Bourbon. Concert qui sera donné en l’église de Barre-des-Cévennes le 3 août 2011.
Do ré mi fa sol la si do
Do la fa ré si sol mi do
Ut ?
Ré fa la do mi sol si do
Chut…
Le long d’un talus de schiste rocheux où s’agrippent les racines de vieux châtaigniers malades de l’encre, il se promène.
On lui a parlé d’un arbre de notes.
Des mousses affleurent, taches vertes de pomme crue parmi les feuilles amoncelées.
Il marche. Staccato. Son bâton de marcheur lui tient lieu de béquille.
De la terre s’élève une prière transparente comme du verre. Il s’immobilise, plus solitaire qu’au temps superflu de l’enfance. Il écoute.
Do ré mi fa sol la si do
Do la fa ré si sol mi do
Ut ?
Ré fa la do mi sol si do
Chut…
Le cristal ne contenait plus que de l’opium, le ciel plombé de novembre s’affranchissait des chaînes comme une chanson écrite au couteau.
Je soulèverai le monde pour retrouver le temps de l’enfance, pensa le promeneur, et découvrir l’arbre de notes. Les adultes ont peur de leur image et gardent seulement le souvenir échevelé des bougies soufflées en famille. Les châteaux alors tournaient comme des toupies, vibrant dans l’éclat de la lumière, qui s’en souvient ?
Je crois que les pigeons le savent.
Lacrimoso. L’automne a vécu.
Il marche.
Do ré mi fa sol la si do
Do la fa ré si sol mi do
Ut ?
Ré fa la do mi sol si do
Chut…
Il marche. Adagio. Et dans l’extrême solitude, il apprécie la vanité de l’existence.
Dans cet abîme de révélations, de désillusions, de déceptions, de renoncements,
de questionnements, son regard se déplace. Il voit alors distinctement les facettes de soi qui sont autant de mondes. Impossible d’échapper à ce regard lucide.
La vérité se tiendrait-elle là, dans la multiplicité qu’il perçoit de lui-même ?
Si intimement imbriquée durant le quotidien qu’elle s’en efface. Et c’est par effraction qu’elle s’impose à lui, jouant de sa vulnérabilité, de sa conscience extravertie le temps d’un détour de la vie.
L’hiver chante dru à travers les fûts gris. Mezza voce. Le promeneur se promène et toujours pas d’arbre de notes.
Do ré mi fa sol la si do
Do la fa ré si sol mi do
Ut ?
Ré fa la do mi sol si do
Chut…
Il a rêvé qu’il le trouvait. Il précipite le pas, court presque et l’atteint, le souffle comme une braise ardente. A due cori.
Piégé devant un arbre à l’écorce gravée d’un cœur et de deux noms dont aucun n’est le sien, il pleure.
Il croit qu’aucun regard ne portera plus l’espérance, qu’aucune parole ne servira plus de sésame ni aucun mot ni aucun cri. Il pleure les ormes morts et les amours enfuis. Pourtant il sait l’arbre de notes.
Alors il marche. Regardez-le marcher. Lentissimo…
Do ré mi fa sol la si do
Do la fa ré si sol mi do
Ut ?
Ré fa la do mi sol si do
Chut…
Il préfère le sillon du labour aux grands champs, le creux des vallées à la mosaïque étendue des terres. Peut-être les a-t-il déjà toutes sillonnées ? Même si d’arbre en arbre, aucun arbre de notes…
Alors il s’en retourne. Dolcissimo. Bien mieux qu’une béquille, son bâton de marcheur verdit à chaque pas. Dans les sous-bois les mousses brillent, à l’assaut de la fraîcheur
les fougères jettent leurs crosses. Il voit la terre enflée, elle a tenu toutes ses promesses.
Il s’arrête et regarde. Spianato. Regardez-le marcher sans plus aucune crainte. En lui chante l’arbre de notes.
Dans l’ombre d’un ermitage, un cheval s’éloigne au galop jusque derrière la ligne claire des trembles, le vent jette dans sa crinière un ultime frisson.
Vivace
Marlen Sauvage