Ce sont toujours les notes retrouvées dans le même carnet vert à la suite de l’information donnée par l’hôtelier de Villefort sur les « suicidés de la chambre n°5 ». Elles datent de juillet 2002.
Hypothèses pour des suicides
• Le barrage a été édifié sur un hameau sacrifié. Que fait-on des personnes enterrées ? Je pense aux protestants qui par tradition, après que les cimetières paroissiaux leur aient été interdits dès que la Réforme avait été qualifiée d’hérétique par l’Eglise catholique, se font inhumer sur « leurs terres ». Une femme était enterrée près de la maison de famille, son mari, quelques années plus tard, part la rejoindre. Il est vieux et malade.
• Un homme jeune, la quarantaine de passage dans le village, VRP qui a tout perdu au jeu dans les cafés, se noie (presque ?) par accident, après avoir beaucoup bu pour oublier (quoi ?).
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J’étais donc en mal d’imagination…
En mai 2002, nous avions acheté notre maison en Cévennes que nous n’habitions pas encore. Nous ne nous y sommes installés qu’en septembre cette année-là. Ce n’est que quelques années plus tard qu’une voisine nous apprit que la pierre dressée sous l’if derrière la maison marquait la tombe de sa grand-mère ou son arrière-grand-mère. Nos deux brebis, Uma et Vega, avaient l’habitude de se reposer à l’ombre de l’arbre et une auge en pierre, là bien avant nous, accueillait l’eau qui les désaltérait. Elle s’appuyait sur la fameuse pierre. Un rosier pleureur à petites fleurs blanches égayait l’endroit. Troublée par l’information, je me dépêchai d’enlever l’auge, nous déplaçâmes la clôture pour reléguer les brebis bien au-delà de la tombe, je taillai le rosier, éliminai quelques mauvaises herbes et me posai la question : marquait-on ainsi la tête ou les pieds du mort ? Question stupide, la tête. Et me revient en mémoire mon désarroi il y a quelques années devant le cercueil d’une amie, placé face à une baie vitrée dans un funerarium, et de la question lancinante qui me poursuivait durant la cérémonie : est-ce que j’ai effleuré sa tête ou ses pieds ?
J’ai toujours aimé les cimetières, surtout en Angleterre et en Irlande, ils sont accueillants, modestes, engazonnés d’un vert tendre où l’on peut s’asseoir si on le souhaite, mais on ne le souhaite généralement pas, alors on ne fait que passer, mais c’est déjà bien de passer à travers la mort comme cela.