On ne s’explique pas l’émotion qui surgit à la lecture d’un texte. Et c’est souvent quand
on ne se méfie pas que les mots nous bousculent. J’ai été bousculée par ceux de Brigitte Celerier, dans le texte qu’elle m’a confié pour ce vase communicant d’avril. On y parle
de temps, le thème que nous nous sommes choisi. Merci encore à toi, Brigitte.
Mon texte, Effilochée, est hébergé sur son blog, Paumée.
Il revenait.
Dans le train il n’avait pas d’âge.
Il était heureux, oui assez heureux, de renouer…
Il y avait quarante ans que les avait quittés…. le savait. Il n’y pensait pas.
Il revenait.
Il n’y avait plus de voix, ailée ou non, annonçant son train, sous la verrière…
Mais il a reconnu la gare, les différences étaient de détails, de propreté, d’un peu de clinquant surajouté, comme partout… Il ne les a pas vues.
Mais il a vu l’homme qui lui faisait signe, qui avançait, et il a cru que le temps avait fait volte-face… il a eu, un instant, dix-huit ans.
Et puis non, il revenait… l’homme a pris sa valise en l’appelant oncle.
Il l’a suivi.
Les immeubles du front de mer avaient vieilli, avaient été rénovés, les peintures des volets se dégradaient lentement à nouveau.
La voiture est passée le long du stade, a tourné vers le quartier des villas, il regardait… comme partout le trou entre la ville et cette banlieue résidentielle avait disparu, les terrains vagues étaient traversés d’immeubles en épi.
Il regardait, indifférent, ce nouvel aspect du vide neutre.
Ils ont retrouvé la mer. Il a senti qu’un sourire lui venait, visible ou non.
Après le petit port, après le fort, après la première bande de sable naissante, la plage s’élargissait sous la rue, ou le boulevard comme on l’appelait, devenait terre-plein, espace, avec quelques palmiers, de petites constructions, des jeux, du sable, de vraies plages, de fausses criques séparées par des petites jetées avançant dans l’eau.
Il regardait avec une approbation un peu distraite, une curiosité. Il était prévenu.
Il savait qu’il ne reconnaîtrait rien.
Il s’est étonné, plutôt, de reconnaître, justement, les courbes, les virages que suivait la voiture, ou du moins il le lui semblait, et des villas, encore, beaucoup des villas qu’il avait connues… et il cherchait les noms de leurs habitants.
Le neveu l’a regardé, lui a demandé s’il avait suffisamment salué la mer, a tourné brusquement, au coin de la maison framboise passée – juste le temps que sa mémoire murmure un nom – pour grimper vers le ciel au-dessus des pins.
Il s’est redressé, les immeubles blancs étaient toujours là, les dominant.
Il rentrait.
Et puis, sur le plat, la voiture a continué, au-delà de son ancien monde, est entrée dans un quartier de villas, petits immeubles, lauriers roses, avenues sinuant entre portails, et déjà certaines peintures écaillées parlaient de vétusté… là où étaient, derrière un grillage, un terrain vague, une garrigue, épineux, fleurs d’ail, terre éboulée, poussière, le petit blockhaus où ils avaient eu tant de chance le jour où un des petits avait voulu jouer avec une grenade, le saut de loup qui séparait des chambres d’enfants, et d’adolescentes surprises en jupons, ce grand terrain de jeux interdits et tolérés…
et il a senti que les ans se ruaient sur lui, l’attaquaient, le ravinaient, l’usaient, jusqu’à le dissoudre.
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Les Vases communicants, réseau d’échanges littéraires, se déroulent tous les premiers vendredis du mois depuis juillet 2009, à l’initiative de François Bon et Jérôme Denis.
Brigitte Celerier (un grand merci à elle) coordonne les publications et inscrit les futurs échanges sur le blog associé, Le rendez-vous des vases.
Ce(tte) œuvre (textes) est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Pas de Modification 4.0 International.
Très bel échange, deux très fort textes.
Merci, Philippe. 🙂
Rassembler les pièces du souvenir avant de se dissoudre … Merci pour vos mots si forts et si justes !
Le temps en pointillé comme toujours chez Paumée, distillé, raffiné. Un texte superbe.
Et l’émotion s’engouffre dans les pointillés !
Que devrais-je dire ? C’est ma joie du jour !
MERCI Marlen, grand, pour cet échange