Une après-midi de solitude et de janvier, traîné mes baskets dans le joli port de Sidi-Bou-Saïd. Arpenté la rue Habib Tameur (à moins que ce ne soit encore l’avenue Bourguiba) et pris ce cliché parce que le bleu me rappelle celui de Majorelle, qui contraste avec le bleu plus clair qui égaye ici toutes les habitations.
Grimpé dans les ruelles au rythme de ma flânerie et de l’effort que réclame la petite montagne, le djebel Manâr, à laquelle s’accroche le village. Il y a de l’attente dans cette ascension, quelque chose de l’ordre du dévoilement qui se mérite, qui ne saurait tarder, il faut grimper encore. Et jeter un œil par dessus le mur, sur la droite, à un moment…
Ou même se glisser par la porte du café des Délices sur la terrasse qui surplombe ce paysage, ne pas répondre aux avances des serveurs, juste embrasser la vue, se répéter la litanie des grands noms qui se sont succédé dans la ville, se chanter Chateaubriand, Flaubert, Lamartine, Bernanos, Gide, Colette, de Beauvoir, Montherlant, et recommencer, tous ayant arpenté « Sidi-Bou » et ressenti je ne sais quel saisissement sans doute, mais comment le contraire serait-il possible, ne rien ressentir devant un tel panorama ? Se raviser… un café alors ?
Finalement non.
Marché droit devant moi en sortant des Délices, monté les escaliers jusqu’au jardin en hauteur qui surplombe le golfe de Tunis. Foule. Foule d’appareils photo. Alors j’ai attendu assise sur un muret blanc. Observé autour de moi les enfants, les parents, les jeunes, les vieux, les solitaires, les accompagnés. Jeté un œil à gauche.
Observé l’horizon rosir. Tourné le regard légèrement à droite. Senti la fraîcheur tomber.
Attirée entretemps à droite, plus à droite, vers cet orangé splendide résonnant du bruit des prises de vue, attendu, attendu, les muscles agacés de se mobiliser sans cesse tandis que les photographes se relayaient au même endroit et qu’il fallait encore patienter.
Goûté le bonheur d’être seule ici en ce moment précis. Cogité. Soupiré. Respiré.
Redescendre ensuite à travers les venelles privées de leur agitation, croiser encore le ciel dans son rougeoiement quand le soleil s’apprête à disparaître jusqu’au lendemain. Se dire que la vie a de ces rebondissements et encore ressentir au creux du ventre l’éblouissant bouleversement. Se répéter l’alphabet arabe. A comme alif, A comme amour, A comme toi.
Longer les murs ocre clair, sourire aux étudiants qui se photographient. Admirer le bel arbre coincé dans si peu d’espace. Presser le pas.
Entendre se fermer les portes de bois, s’éteindre les voix des commerçants et leurs rires. Me dire que je serai rentrée à la nuit.
Encore attirée par ce moucharabieh du même bleu Majorelle que celui observé rue Habib Tameur – à moins que ce ne soit avenue Bourguiba – et je me demande subitement si le bleu est aussi intense parce que le soir tombe, si j’ai rêvé le bleu Majorelle, si j’ai rêvé le bleu tunisien, plus clair, et je me hâte dans mes pensées bleues…
…perdue dans l’agitation des hommes qui se rendent à la mosquée…
…et je pense à toi, Sophie, que j’ai laissée avec ce projet de gravure sur bois, dans des noirs et des bleus, et je pense à Alechinsky que nous aimons toutes deux, et je te dédie cette dernière photo parce qu’elle te rappellera nos tâtonnements pendant tes cours magiques où tu nous laissais croire que nous étions artistes.
Photos Marlen Sauvage
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Texte et images superbes ; réjouissant, doux, calme, A comme Amour. Merci de partager ces beautés…
Merci RoseM ! Savoir que tu me lis me fait énormément plaisir. J’ai lu ton recueil de poésies, te l’ai-je dit ? J’ai à-do-ré.
A comme admirables, B comme belles photos et belles impressions, C comme continue
!
Merci ‘bilié, je continue alors !!!
Je t’invite quand tu veux !
Magnifique !