Missive

Pour Sylvia

marlen-sauvage-Syvia

Tu es partie avec le jour, comme on va se coucher dans les dernières lueurs du soleil pour entrer dans le noir enveloppant des nuits silencieuses, sauf à entendre parfois hululer la chouette ou frémir les grands châtaigniers qui craquent de tous leurs os gris.

Tu t’es glissée dans les interstices de la matière là où tu savais que l’on ne verrait plus ta silhouette menue recroquevillée sur elle-même, tes yeux noirs perdus dans le désordre des images floues, ta bouche sensuelle à demi ouverte sur ce que tu ne comprenais plus, ne saisissais plus et qu’attristait un peu le froncement de tes sourcils.

Tu m’avais dit au revoir à ta façon, en acceptant que je sois tes yeux pour ce dernier livre que tu souhaitais écrire, et ta main ; tu aurais été la voix, cette voix si claire, si bien timbrée, rieuse, enjouée, qui nous chantait tant de chansons réalistes, et celles composées par ton père vénéré, Henri-Jacques le séducteur, dont tu avais rassemblé une grande part des écrits… Cette voix qui me disait ce jour-là ta lassitude.

Tu m’avais une fois encore désarçonnée par ton humour décalé, raillant la maladie, les dérives du corps et de la mémoire, et te pelotonnant dans ton moelleux pull gris tu m’avais demandé de parler, « parle et je t’écouterai ».

Tu caressais des doigts les franges de l’étole tunisienne que je venais de t’offrir, et dont les couleurs pâles s’accordaient à la pâleur de tes mains. Tu avais laissé refroidir l’infusion du goûter et sécher la madeleine, rien ne te faisait envie, tu aurais voulu de la brioche.

Avant de te quitter, j’avais passé sur ton visage à la peau fragile et transparente une crème à la rose, fraîche et parfumée, puis j’avais déposé un baiser sur ton front et tu avais fermé les yeux.

Je m’étais enfuie de la résidence des Châtaigniers le cœur défait.

Tu es partie ce 3 janvier et désormais tu vas me manquer.

 

 

 

 

 

 

 

7 commentaires sur “Missive

  1. Un grand frisson m’a parcourue à la fin de la lecture : émotion. Puis le jour qui se lève, comme se lèvent les autres jours. Voir devant ; avancer. Merci pour ce beau texte.

  2. Très bel et très touchant hommage. Comme semble le dire votre photo, la vie passe, mais le jour se lève toujours après, porteur de nouvelles espérances… Je suis de tout coeur avec vous…

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