Sur le quai, de Chrystel C.

« Nation », annonce la voix monocorde au micro.

Gabriella est perdue dans ses pensées. Fatiguée par sa journée de travail, elle n’a pas le courage de pianoter sur son portable ni de bouquiner un peu. Elle regarde distraitement son reflet blafard dans la vitre dégoulinante de poussière, se demande s’il y a, à la RATP, un préposé au nettoyage des vitres de métros, ce qui ne serait pas une mince affaire…

Puis elle sent un regard posé sur elle, un regard insistant, qui la met mal à l’aise. Elle ajuste sa vision. A cette heure si tardive, on croise peu de monde sur les quais.  Mais lui est là, à quelques pas d’elle, seul et immobile, il la fixe du regard. Gabriella tente de retrouver ce visage dans ses souvenirs mais rien ne vient. S’il la reconnaît, elle, en revanche, ne se souvient pas de lui. Non, pas du tout ! Il a un visage plutôt ordinaire, pâle, yeux et cheveux bruns. Pourtant son expression et son regard qui la visent n’ont rien d’ordinaire. Il la scrute sans sourciller. Elle regarde autour d’elle le wagon vide et se demande si quelque chose ne va pas sur sa figure ou bien dans ses cheveux. Elle vérifie avec sa main. Mais il est toujours là à l’observer. Il n’y a personne dans le wagon, les portes restent ouvertes, va-t-il monter ? Elle se sent de plus en plus embarrassée, tortille ses mains dans tous les sens ne sachant où les mettre. Seule une vitre les sépare et juste quelques mètres. La rame ne redémarre pas. La voix monocorde annonce un problème sur la voie.

Déconcertée, Gabriella ne sait plus comment se tenir ni où regarder. Elle baisse les yeux vers son sac à main puis de l’autre côté mais l’autre vitre lui renvoie le reflet du bonhomme qui n’a pas bougé. Elle cherche au fond de ce regard une intention, une prise mais ne saisit rien. Il doit avoir le même âge qu’elle. Que cherche-t-il ? Pour un peu, à bien y regarder, elle le trouverait charmant si seulement il n’avait pas cet air si étrange. Ses bras pendent le long de son corps, figé. Elle hésite, elle voudrait bien lui sourire, lui faire un signe de la main mais sait-on jamais, il pourrait prendre cela pour une invitation. Alors, non, elle ne fait rien.

Puis son attention est détournée par l’arrivée bruyante de plusieurs pompiers accompagnés de policiers. Ils se dirigent au pas de course vers l’avant du métro. Il y a quelque chose sur la voie mais d’où elle est, Gabriella ne peut rien voir. Elle devine le pire. Elle connaît. C’est fréquent ce genre de choses pour elle qui prend le métro depuis quarante ans.

Le type continue de la mater. Elle se demande vaguement s’il y a un rapport entre lui et ce qui se trouve sur la voie.

Soudain, il cesse de la dévisager, il baisse les yeux vers le sol et s’accroupit pour ramasser quelque chose. Il affiche à présent un sourire fielleux, se retourne et s’éloigne d’une démarche décontractée vers la sortie, un petit soulier à la main.

Chrystel C.

 

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