Retrouvailles

La requête d’Ahmed l’avait ramenée dans le pays du soleil où l’horizon bruit de mirages troubles, où l’on plisse les yeux pour surprendre le point d’eau derrière la dune, où les assauts du sable battent en brèche toute velléité de dresser une stèle aux souvenirs. Et pourtant les souvenirs brûlaient sa mémoire écorchée, ils criaient à son oreille la rengaine du marchand de cacahuètes arpentant le ravin sous la terrasse de la maison de pisé, ils sifflaient les balles des fellaghas dans la torpeur de l’après-midi brûlant, ils souriaient des dents abîmées de vieillards enturbannés et c’était ce sourire qui l’avait conduite là.

A plus de quatre-vingts ans, Ahmed portait la chéchia crânement sur le côté, comme au temps de sa jeunesse et c’est à cela qu’elle l’avait immédiatement reconnu. Ses yeux clairs vibraient d’intensité, au creux des pattes d’oie se lisait l’amour de la vie, le défi à la vieillesse, et les rides de son visage disaient le fatalisme auquel il se rendait, les Inch Allah ponctuaient toutes ses discussions. Deux heures après leurs retrouvailles il avait succombé.

Parti chercher le thé à la menthe, dans son coin de cuisine – ils en étaient à évoquer le fort de N. en plein désert lors de leur dernière rencontre quinze ans plus tôt – Ahmed n’avait pas réapparu. Elle avait continué de jouer à l’awalé qu’il avait tracé sur le sol, imaginant la meilleure stratégie pour contrer le vieil homme, et puis, inquiète de ne pas le voir revenir, elle avait finalement bondi sur ses traces, répondant à un secret appel qui lui nouait le plexus.

Il avait glissé sur le sol, renversé la casserole d’eau. Il gisait face contre terre, sa chéchia découvrant son crâne chauve. Elle se précipita, répétant son prénom, Ahmed, mais au moment de le retourner, elle fut terrassée par un horrible pressentiment. Un sillon rouge creusait le cou d’Ahmed et elle distingua la trace d’un fil d’acier ou d’une cordelette rigide, enfin d’un instrument habilement manipulé pour couper rapidement le souffle d’un vieillard tel qu’Ahmed. C’était trop tard pour lui.

Elle appela la police, tenant la main du vieil homme dans la sienne, dans la chaleur oppressante. Où se cachaient-ils ? Quel avertissement lui envoyaient-ils ?

Marlen Sauvage

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