Septembre rejoue sa rentrée chaque année pour elle aussi qui anime des ateliers d’écriture. Elle aime se présenter comme une « animatrice de campagne », comme il y avait dans son enfance des « médecins de campagne ». Elle a fouiné dans les magasins pour acheter des cahiers aux couleurs gaies. Elle en donnera un à chaque détenu qui participera à ses séances d’écriture. Le directeur de la maison d’arrêt a changé, il l’a écoutée avec attention. Elle ne veut pas « faire de l’occupationnel »… Il a entendu son credo, sa passion pour la parole des autres, il lui donne carte blanche. Il n’enverra personne assister aux ateliers en dehors des détenus. Elle ne livrera aucun texte. A la porte d’entrée, elle doit se hisser sur la pointe des pieds pour atteindre l’interphone et décliner son identité. Elle recommence quelques minutes plus tard. On l’oublie. Non. Des gendarmes doivent sortir avec des prévenus, on lui demande de patienter encore. Enfin la porte s’ouvre, elle s’écarte, cinq jeunes hommes encadrés par des forces de l’ordre passent devant elle les yeux baissés. Elle entre dans la cour entourée de hauts murs, grimpe l’escalier devant elle, enferme son sac à main dans une consigne extérieure, attend de nouveau l’ouverture de la porte, et passe sous le portique de détection. Le fonctionnaire lui sourit, il la connaît, elle vient depuis plusieurs mois. Elle récupère son sac à dos, laisse son passeport, et une troisième porte s’ouvre vers les bureaux administratifs. Chaque semaine elle fait le tour des agents, donne le bonjour au directeur et son adjoint, s’attarde parfois pour un petit café, prend la liste des participants au bureau du SPIP chez le greffier. Et c’est parti… Il y a foule ce matin. Deux « anciens » déjà là avant les vacances d’été, cinq nouveaux… Après les présentations où elle précise qu’elle ne veut rien savoir des raisons de leur enfermement, elle discute avec eux de leurs passions, la lecture souvent est mentionnée, l’écriture parfois. Elle glisse la première proposition d’écriture comme une gourmandise à laquelle tout le monde a droit. Ça marche ! M’dame, je fais plein de fautes d’orthographe ! Et moi j’écris comme je parle, en phonétique… J’ai pas écrit d’puis l’école ! Tout va bien. Les rassurer. Sourire. L’un d’entre eux sort une cigarette et un briquet. Ah non ! C’est pas prévu au programme, En ouvrant la fenêtre, M’dame s’il vous plaît, je fumerai juste deux taffes, Non, ce sera la porte pour vous et moi, une heure et demie sans fumer, ça doit être possible, je suis certaine que c’est possible, Mais l’inspiration ne vient pas, C’est vrai, parfois qu’une cigarette ou un petit verre facilitent les choses, mais là malheureusement, nous sommes contraints de faire sans… Il abdique, j’aurai essayé, ajoute-t-il en souriant. A la lecture, certains trébuchent, des voix s’éteignent, elle décèle dans chaque fragment ce qui en fait l’unicité, et celui qui ne voulait pas lire lui tend son cahier. M’dame, vous êtes prof de français ? Eh non… Elle lit comme une déception dans leur regard interrogateur. La porte s’ouvre brutalement sur un surveillant grincheux qui fait remarquer que le temps est passé de cinq minutes. Elle s’excuse, salue chacun d’une poignée de main, et s’éloigne vers les portes de fer, cadenassées, qui se succèdent jusqu’à la sortie. Dehors, dès qu’elle a passé l’immense portail métallique, elle inspire profondément, regarde le ciel blanc, et chemine vers sa voiture garée dans la ruelle en contrebas. Tête vide, corps pressuré.
Je n’avais pas le souvenir de ce texte, retrouvé dans mes papiers. Ce devait être sans doute le premier de la série de mes Ateliers de campagne ! Il me fait dire que la prison et ses détenus m’ont happée plus que tout autre endroit ou public…
Texte et photo : Marlen Sauvage
(à suivre)
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Quand j’étais enfant il existait une série télévisée intitulée Médecin de campagne… Le médecin était une femme et la campagne alors ressemblait à celle où je vivais dans la Drôme. Depuis que je sillonne les Cévennes pour animer ici et là des ateliers d’écriture, je ressasse l’idée d’écrire une série de souvenirs « arrangés » (à ranger…) autour de ces allées et venues. Je précise que la temporalité n’est pas la bonne, c’est tout, et les prénoms bien sûr s’ils apparaissent, sont modifiés… Le contenu, lui, est mon vécu, il a seulement valeur de témoignage, rien d’autre.
Marlen Sauvage