J’ai trois souvenirs de films, #02

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#Montségur #1965
La petite femme pleure et je pleure avec elle. Ce jeudi, je pleure dans la grande salle carrelée, aux rideaux fermés, où dans notre village le « patronage » conduit les enfants chaque jour de repos hebdomadaire. La petite femme ressemble à un clown triste sur le grand écran blanc. Elle suit sur une route poussiéreuse cet homme étrange, briseur de chaînes, qui m’effraie tant. Et la musique du film, cet air que chante la petite femme, est si triste… Autour de moi, les enfants balancent leurs jambes, nous sommes tous perchés sur les tables en Formica blanc. Derrière nous, la caméra fait assez de bruit pour couvrir mes reniflements. La Vache qui Rit que l’on nous sert au goûter ne me fait pas rire aujourd’hui, je tourne la tête autour de moi et ne vois aucun regard rougi par les larmes. J’ai honte. Je retiens le prénom de la petite femme, Gelsomina, et je fredonne sa chanson pour moi, mais j’ai déjà oublié le titre du film.


#Paris #1966
Paris, un jour de fête pour moi. J’accompagne mon oncle au cinéma. Il s’y rend trois fois par semaine, il dit que c’est son hobby, je répète ce mot, hobby, cette fois-ci, il m’emmène, j’ai neuf ans. Nous prenons le métro jusqu’à la capitale, je n’ai jamais pris le métro, avec sa femme, ils habitent Villeneuve-saint-Georges. Le trajet me paraît interminable. Mais c’est la fête. Je vais au cinéma. Il y a foule dans les rues, ce doit être un samedi. Quel cinéma ? Je ne sais plus. L’ai-je jamais su ? Mais le film, oui, c’est Le voleur de bicyclette. La salle est immense, toute en gradins, en fauteuils rouges, impressionnante. Le film en noir et blanc m’ennuie un peu. Je n’en retiens que l’enthousiasme de mon oncle et la dernière image du petit garçon, la main dans la main de son père.

#Valréas #1968
Un film de guerre drôle. Un air que l’on siffle, à onze ans, quand les petites filles ne doivent pas siffler. Tea for two. Et des rires fous dans le pensionnat en se remémorant quelques scènes du film – De Funès piquant sa perruque et sursautant à chaque fois – et des répliques. « De moi vous osez vous fouter ? » « Bouvet à l’appareil. Il ment, c’est pas moi ! » « I risque on the deux tableaux. » De la salle de cinéma, aucun souvenir. Une salle de petite ville de province. Juste une impression d’images trop proches, je devais être près de l’écran, de couleurs successivement vertes, rouges, bleues, et d’avions qui m’avaient fait craindre un film de guerre violent. Mais on m’avait promis le rire. Mes premiers rires au cinéma.

Texte et photo : Marlen Sauvage

Ecrit pour l’atelier Hiver 2017 de François Bon. Présentation et sommaire du cycle Vers un écrire-film ici

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