« Le saccage de la folie Titon fut considéré comme un désastre. On compta le moindre bouton de porte disparu, chaque pelle à feu, chaque pincette, le plus petit morceau de tapisserie arraché, les nappes déchirées, les oreillers crevés, les tasses de porcelaine ébréchées, les vestes de soie en lambeaux, le satin en confetti, les innombrables gilets de toile, les déshabillés de madame, les monceaux de mouchoirs brûlés, tout cela fit l’objet d’un compte précis, inventaire méticuleux où les chiffres s’empilent, neuf mille livres par-ci, sept mille par-là, dix-neuf mille livres par-ci, deux mille cinq cents par-là. Mais le nombre de morts parmi les habitants du Faubourg, en revanche, reste vague, indécis. (…) Selon les termes du procès-verbal qui sera dressé le soir même, c’étaient dix-huit cadavres de séditieux, tués lors de l’émeute Réveillon ; autrement dit c’étaient dix-huit ouvriers du Faubourg. (…)
Le numéro 1 est un homme d’environ trente-cinq ans, il porte les cheveux longs noués en catogan, il a le nez aquilin et un visage en lame. Il est vêtu d’une veste de gros drap, d’un gilet rouge à boutons de cuivre, d’une chemise de grosse toile ; il porte un pantalon bleu et un tablier de coutil. Mais l’objet de la visite n’est pas de faire un portrait du défunt ni de détailler sa vêture ; les émeutiers sont soupçonnés de vol. On va donc leur faire les poches. (…) Le fossoyeur s’exécute, lentement, il passe entre les corps, se penche, retourne la poche du tablier, rien. (…) On recommence. Numéro 2. (…) Et la litanie continue jusqu’à 18 (…) Ça en fait des queues de cheval, des bas de laine, des poitrines ouvertes, des plaies sous l’aisselle et des crânes fracassés. Ça en fait des poches vides. (…) On avait retroussé toutes les poches (…) Pas la moindre montre dans le gousset. »
Eric Vuillard, 14 juillet, récit, Actes Sud, 2016