FUNAMBULE
Fille à fil qui vacille sous les applaudissements des aveugles.
VACILLER
Ne jamais savoir si, lorsqu’on se penche, c’est pour éviter l’obstacle ou par manque de courage. Avoir peur de perdre la sûreté de son pas, de savoir que l’abîme existe pour de vrai.
ABIME
Plus j’avance mieux je sais ce qui m’abîme et m’entraîne dans le gouffre que je dessine et que j’habille de mes frayeurs contenues.
GOUFFRE
Le gouffre de Padirac où j’ai plongé, petite, toujours plus profondes les vacances en famille. C’est à lui que je dois de ne jamais savoir écrire le mot gaufre, de m’y reprendre à deux fois et chaque fois le même étonnement.
FAMILLE
Fil à la patte de l’existence qui nous empêche d’être baudruche.
BAUDRUCHE
Ce n’est pas le roi des Belges mais c’est quand même gonflé.
GONFLE
C’est l’épaisseur qui me submerge, une bouée quand je m’enfonce et un bélier lorsque je cogne dans la bêtise qui emprisonne.
SUBMERGER
Sur les berges de la Seine, j’imagine, insubmersibles, les peines de cœur tragiques jetées aux flots par mauvais temps.
PEINE DE CŒUR
C’était hier et c’est si loin. Bat-il encore un peu, le bougre ?
LOIN
Regarde loin devant, oublie tes pieds, avance si tu ne veux pas tomber. Fixe un point devant toi et avance. Ne regarde pas en bas, avance mais avance donc !
AVANCER
Continuer quand même avec la sensation du vide sous nos pas. Oublier le vertige et le fil qui s’agite, se dire qu’il est moelleux d’atterrir tout en bas, funambule léger de sa propre existence.
FUNAMBULE
J’avance sur mon fil, les aveugles applaudissent mais en dedans de moi, je sens que je vacille.
Stéphanie Rieu
Un texte écrit en atelier à partir d’une proposition que j’ai intitulée « D’un mot à l’autre », inspirée d’un texte de Anna Jouy, publié sur sa page Facebook le 5 avril (à lire ci-dessous). Marlen Sauvage
poète
– se demande si 58 kilos ce n’est pas trop pour le plaisir et le goût éthéré des choses
choses
-un mot que j’aime bien, comme s’il soutenait tous les indéfinis de trottoir et que cela m’exemptait de chercher à monter et à les assembler
assembler
-peut-être mais trop souvent, il faut ensuite en découdre, un fil sous la peau et puis le trou suivant… encore.
découdre
-c’est un poing dans l’espace, je ne frôle que le vide, la fuite, et je ne les bats même pas.
frôler
-caresse inaboutie qui tient entre ses dents, son chapeau. toutou sage et formaté. la peur est une amante sans la moindre idée de mon désir
chapeau
-toujours le porter sur le côté responsable. la vie se vit avec un rebord large, comme un anneau de Saturne. mais que des manèges et des tournées de veste
anneau
-je le retiens celui-là, pour toutes les conneries qui passent au travers du feu et n’en sortent même pas roussies
conneries
-fortes, âcres, sentant leurs reflets fauves, oppression de pores et remugles de caniveau où je navigue- paraît que je suis folle-, c’est l’essentiel à dire. je n’en doute pas. ça suinte.
doute
-pourtant. tout est fuites sans corde de rappel. les choses n’ont pas de prix, ne valent pas certes le temps de disparaître. elles vont dans le silence, silence de ce qui est mort.
silence
-pour en finir. on y voit la liberté de vivre, selon soi. à l’autre bout, il n’y a personne – parait-
mais j’en doute
poète
-58 kilos de mots et de gras sur les papiers.
©Anna Jouy