C’était peut-être à dix ans sur les parkings de Villeneuve-Saint-Georges, quand tous les immeubles se ressemblaient et que nos cris ne suffisaient pas à nous ramener vers vous, les fenêtres sans rideaux ouvertes sur la nuit, jaunes dans le noir, les voitures tout autour, et personne dedans, la ville refermée sur elle, concentrée dans des tours hautes, indifférente, hostile, le premier souvenir de la ville, peut-être ; à Valence, entre la gare et la rue de la Cécile, le même trajet toujours, les trottoirs de la ville, les murs dressés derrière les magnolias, la tentation du mur une fois enfermée mais pour aller où ? ; dans les déambulations à Rome de la fontaine de Trevi à la place Savone, parmi les touristes japonais, cette étrange appréhension, ce sentiment que la ville menait à la perte, parce qu’avant que de l’apprendre la place del Fico ne m’appartenait plus déjà, que d’avoir jeté la pièce par-dessus mon épaule ne résoudrait rien, que l’hôtel Giulia ne m’attendrait plus, que cette ville ne tiendrait aucune promesse, qu’aucun plan ne m’empêcherait de me perdre dans quinze ans d’illusions depuis la stazione Termini ; ou bien longtemps avant dans les artères de San José, remontant à 55 miles per hour vers le soleil couchant, dans l’été indien, cette sensation de voyager dans un film, sans maisons, sans habitants, sous les panneaux verts et blancs, la ville un large bandeau noir sous les pneus, la ville comme un rêve arrosé de Budweiser, suintant le coulis rouge des pizzas, balancée dans le rythme des Chevrolet, des Ford Mustang, des Dodge et des Pontiac, sonore du ronflement des Harley et des chansons du Boss, la ville peut-être, invisible, ou que je n’ai pas vue, pas apprivoisée…
Texte et photo : Marlen Sauvage
Un texte écrit pour l’atelier d’été 2018 (Construire une ville avec des mots) de François Bon sur le tiers-livre. Pour chaque auteur(e), une page… et un oloé…