Construire une ville… – Est

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EST

La route de la mer. Empruntée en été chaque matin dès sept heures quand le corps  moite de la torpeur de la nuit et le cerveau réclamaient la fraîcheur de l’eau. Déjà la supérette Miniprix avait relevé son store. Elle, baissait le nez pour ne pas se tordre les pieds sur le trottoir dégénéré, parmi les dalles assemblées comme une mauvaise dentition. La poussière blanchissait les tongs et les orteils. Avenue Ibn Sina. Cinq minutes de marche. Le soleil chaud colorait la peau sans qu’on le devine. On longeait un café, un hôpital privé en faillite, un terrain en indivision – ouvert à tous les déchets (sacs plastiques multicolores, carcasse de cuisinière, jarre fendue, canapé sur sa tranche à l’assise interdite) –, un point multi-services, une pizzeria, une pharmacie, deux containers remplis à ras bord où se bousculaient les chats étiques du quartier, une grande maison au seuil carrelé débordant sur la rue, un café près du rond-point que l’on franchissait ; quelques mètres encore en évitant les mobylettes zigzagantes, puis on traversait l’avenue El Karraya pour atteindre la corniche qui surplombait la plage. Une plage de sable fin gris beige, vantée par les guides touristiques, où s’amoncelaient inégalement, selon les marées et les jours, déchets humains et algues marines. La mer, elle, dansait, claire et bleue, plus ou moins houleuse, et l’on évitait parfois de justesse la morsure d’une méduse. Les vieux Monastiriens, pêcheurs pour la plupart, venaient ici de bon matin faire leurs ablutions, c’était les seuls qu’on retrouvait dans l’eau aussi tôt dans la journée. L’anse, petite, en jouxtait une autre, beaucoup plus large, réservée aux grands hôtels qui accueillaient de nombreux Russes, rares Occidentaux à fréquenter le pays depuis les attentats des dernières années. Elle nageait de l’une à l’autre, contournant le rocher Mida Seghira, fréquenté par d’audacieux plongeurs effectuant des sauts de plus de vingt mètres là où pourtant il arrivait que les rochers fendent des crânes. 

Texte et photos : Marlen Sauvage

Un texte écrit pour l’atelier d’été 2018 (Construire une ville avec des mots) de François Bon sur le tiers-livre. Pour chaque auteur(e), une page… et un oloé

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