Trois taxis jaunes dans un mouchoir de poche, à quelques mètres de distance les uns des autres, deux foncent dans l’avenue, le troisième attend son client sous un eucalyptus à l’angle d’une rue ; le client court, il a surgi de l’immeuble grand standing d’en face, à la façade d’un blanc pétant, aux baies vitrées fumées renvoyant l’image immobile d’un ciel bleu dur sans nuage. Instantané mouvant dans cette chaleur muette qui estampille les paysages d’ici d’une empreinte d’éternité. Aux abords de la ville, avant la longue artère plantée de palmiers, des trottoirs délabrés hébergent des échoppes indéfinissables où la ferraille rouillée côtoie des bidons de plastique, des containers verts pour les poubelles domestiques, des abris de fortune, bâches fixées sur des piquets branlants… On a quitté il y a peu les bords de route ensablés où pointent de petits monticules de sel, loin pourtant après les salines de Sahline… Face à l’immeuble blanc, un autre en construction, même hauteur mais de briques orange, les trois étages supérieurs ne comportent encore aucune cloison, le ciel bleu passe à travers, c’est comme un pochoir dans le paysage, on aurait plaqué là les étages sans cloison et on aurait coulé de la peinture bleue dans les vides. On construit et pourtant il y a si longtemps que tout s’est arrêté. Il faut une bonne dose d’optimisme pour ne pas laisser libre cours au délabrement de la pensée. La terre est maussade au pied des palmiers, brume jaune pulvérulente, semée de bouquets d’herbes rases, anémiques, qui se pressent au bas des troncs, à l’ombre des branches quand le soleil le veut bien. Sur le trottoir, un homme assis sur un pneu examine le bas de caisse de la voiture devant lui, surélevée sur un cric. Il a le regard fixe. Mauvais présage. Il a laissé sa chaise déglinguée adossée contre le mur du garage derrière lui ; par habitude, l’auvent de tôle ondulée ne le protège pas du soleil de treize heures ni de la pesanteur de l’air.
Texte et photos : Marlen Sauvage
Un texte écrit pour l’atelier d’été 2018 (Construire une ville avec des mots) de François Bon sur le tiers-livre. Pour chaque auteur(e), une page… et un oloé…