
Ranger, trier, jeter le superflu, ne garder que l’indispensable. Se délester pour être libre. Délestons-nous. Devenons légers, si légers que nous deviendrons invisibles. Nous le sommes déjà invisibles. On se croise, je dirais plutôt, on se décroise. Ce mot n’existe pas, je crois. Je l’invente. Je le rajoute à ma liste. Pas bien ça, ma fille, tu sais que tu dois te délester et toi, tu inventes un mot nouveau. Donc on se décroise c’est-à-dire qu’on se déleste de belles pratiques : se dire bonjour, se serrer la main, se sourire se parler… A la ville comme à la campagne, qui connaît son voisin ? Aux faits divers, rapportés quotidiennement, on entend des témoignages : jamais on aurait pu imaginer que, qui aurait cru, qui aurait pu penser…et cela n’en finit plus. Les gens se sont tant délestés. On ne les voit plus. Ils errent comme des fantômes. Parfois, on les oublie : sur une aire d’autoroute, au fond d’un car, à l’école… Pire parfois, ils meurent tout seuls chez eux. Les voisins n’ont rien remarqué, rien vu, rien entendu. Si l’odeur ! Trop tard. D’ailleurs n’a-t-on pas inventé la fête des voisins ? C’est quand même incroyable cette invention. Une fois par an, les voisins se réunissent, mangent et boivent ensemble, s’amusent, enfin ils essaient. Et quand la fête est finie, chacun rentre chez soi, tire la porte. Et la place redevient nette.
Texte : Liliane Paffoni
Ecrit en atelier en 2018, groupe de Florac.
Photo : Marlen Sauvage