
Les verres de communion s’offrent encore, je ne rêve pas. Aucune date, aucune mention sur ce gobelet de verre vert qui m’est échu il ya maintenant trente-trois ans. Et pendant trente-trois ans, jamais je ne me suis souciée de ce verre, seul témoin chez moi d’une maison oubliée depuis des années, vendue, on l’appelait le Ragabodot, la ferme des grands-parents bourguignons, chargée pourtant de souvenirs. Au contact du verre, froid en ce matin d’automne, je ferme les yeux à la recherche d’un moment figé dans le passé, qui éclairerait autrement la présence du verre. Mais sa douceur lisse ne me transmet rien, il reste muet, étranger à ma main, aucune aspérité pour en contester l’image douce émaillée de la fillette toute vêtue de blanc, posée sur un nuage cotonneux, offrant une fleur de lys à on ne sait qui ; aucun défaut, aucun éclat. Tout ce qu’il recélait a sombré dans le silence du temps, impossible de capter une émotion, une pensée, une impression… à moins de tricher, de prendre la place de celle qui l’a tenu, de lui façonner des sentiments, une ferveur sincère, de retrouver la petite fille des années 1910, au corps voilé de mousseline, aux yeux baissés sous l’aube, une aumônière dans une main, une bible dans l’autre, troublée sans doute par ce rituel de sortie de l’enfance, ne sachant qu’espérer de meilleur pour elle, ne sachant nommer le meilleur. Il suffirait de confronter l’idée de cette toute jeune fille à la femme qu’elle devint, (méconnue à jamais pourtant — connaît-on vraiment ceux que l’on a aimés —, d’autant que ceux qui l’ont aimée ont depuis longtemps disparu de cette terre), de lui supposer des rêves, des désirs, une quête, des besoins, des peurs, des talents, des échecs… Il suffirait de trouer l’oubli, de plonger dans l’abîme du temps, d’en cueillir les fulgurances pour les déposer aux pieds de l’enfant recevant le verre en cadeau, d’en attendre l’assentiment dans le regard vert amande, seule mémoire attestée par les images qui ont traversé le temps. Peut-être.
Texte et photo : Marlen Sauvage
C’est ce texte qui m’a valu de « rencontrer » Anne Dejardin (je raconte l’histoire ici).
Voilà, c’était la 10e proposition de l’atelier de François Bon, intitulée « il, elle, corps ». Pas piquée des vers… Bien que présentée comme « pas compliquée ». Il s’agissait de « sélectionner dans nos textes de l’atelier un fragment, un simple paragraphe, tout un texte, dans lequel nous avions utilisé – fréquemment ou pas » – le « je », puis en explorant ce matériau, passer du je au il et enfin à ce qui s’écrit (si j’ai bien compris), sans énonciateur propre, avec comme référence Jacques Dupin (Le corps clairvoyant)… lequel disait (repris dans un article de Bernard Pokojski, paru dans la République des livres, trouvé alors que j’écris ce billet) : « la vérité de l’œuvre rend nécessaire l’effacement du poète. » Je ne saurai jamais si ce que j’ai écrit là correspond à la proposition ou non, mais enfin, c’est écrit.