
Qui voit ses veines voit ses peines – son visage ne laisse pas des veinules apparaître mais des rides qui se croisent et s’entrecroisent et ressemblent au delta du Rhône le pays d’où elle vient – avec ses alluvions qui resserrent en fins ruisselets l’eau et peuvent nous apporter par leurs cheminements la sagesse et la connaissance – son faciès fripé comme une pomme oubliée que l’on retrouve au printemps encore ferme à l’intérieur qui vous surprend par son goût sucré suave et exquis lorsque vous la croquez – entoure deux yeux pétillants et vifs du désir de découverte qui ne l’a pas encore abandonnée – des petites pattes lui donnent une expression de douceur et de compréhension envers tout ce qui l’entoure pourtant – combien de perles salées a-t-il fallu pour creuser ces sillons aussi profondément dans sa chair et combien de soucis d’inquiétudes et d’attentes son front a-t-il ruminés avant de contourner toutes les cellules dont il est fait – comme un vieux parchemin bruni par le temps son teint en a pris la couleur et garde sur la crête de ses ridules le nacre et la brillance des années – le Mistral ce vent violent dont on n’arrive pas à s’abriter qui passe par tous les interstices elle l’a accepté et lui a laissé le droit de lui tailler un visage émacié – pourquoi lutter aussi contre lui se disait-elle des luttes elle en avait suffisamment dans d’autres domaines – lui parfois au moins il emportait par sa force quelques bribes de préoccupations qui la laissaient légère – ses lèvres un joyau qu’elle surligne avec un peu de rouge rehausse la volonté que ses yeux affichent après tant d’années – elles sont encore charnues et gourmandes de la vie qu’elle a voulu engloutir avec une boulimie carencée – sa bouche n’a pas retenu le pli amer et désabusé qu’elle aurait été en droit de prendre et les mots doux et onctueux qui en sortent savent apaiser la petite tête blonde et bouclée posée sur ses genoux – elle la caresse d’un geste d’apaisement avec des mains aux veines saillantes qui charrient toutes les misères que le monde concède aux gens dans le malheur – combien de tâches ont-elles accomplies combien de linge ont-elles frotté l’un contre l’autre dans l’eau de la rivière encore froide au printemps combien de larmes de tristesse ou de rage ont elles essuyées
Texte : Mireille Rouvière
Ma proposition d’écriture était de retrouver une expression, une phrase, un mot, qui nous restent en tête malgré le temps, soit parce qu’elles disent quelque chose de la personne qui les prononce, ou parce qu’elles ont suscité un questionnement, ou un désordre quelconque, tout autant qu’une joie. Et remontant la sensation que font naître en nous ces mots, partir à la découverte de ce qu’ils nous racontent au plus profond de soi, et le dire dans une écriture réflexive ou/et de ce qu’ils révèlent des visages, de celles et/ou ceux qui les ont portés. L’auteur convoqué : François Durif, Temps compté (blog remue.net) MS