On lui a dit, Aline Leaunes

©Marlen Sauvage – La can de L’Hospitalet

On  lui a dit
«  Je vous présente mes condoléances » 
Les yeux rougis, égarés, la voix éraillée elle a répondu
«non merci je ne veux pas les rencontrer, je ne veux voir personne, je ne les connais pas.»

On lui a dit
« nous sommes désolés pour vous »
Et dans sa tête en ribambelle ils sont tous arrivés  

«  Moi je suis, détruite, dévastée, ravagée, saccagée, disloquée, morcelée, délitée, pulvérisée piétinée, écrasée. »   

elle a tapé sur l’ordi : condoléances
elle a lu : message de condoléance,  «  modèle de texte gratuit ».
Dans un spasme révulsé incontrôlé elle a vomi.

On lui a dit
« Avec le temps… Tu sais »
Silencieusement  elle a crié. 
Non  Non Non  avec le temps  Je  ne sais pas.
Dans sa galerie j’farfouille des chouettes souvenirs, elle nage à contre-courant, elle se débat hystérique solitaire, dans ses « je t’aime, tu me manques, dans ses pourquoi sans réponse.
Dans une volonté désespérante, rechercher les odeurs, les mots, les sons, les bruits de pas dans les escaliers montés quatre à quatre, vouloir a tout prix y  voir  des signes. Coller sur elle la guitare « sa guitare » et dans une rage incontrôlée, martyriser les cordes. 
Siffler les chiens et les voir venir se coller à elle.  Ils l’ont adoptée.

ON LUI A DIT
«  tu dois, il faut avancer maintenant »

Alors, elle avance Louise, elle avance
tous les matins elle reconstruit les murs écroulés durant la nuit, elle colmate les fissures, elle maquille les fêlures, elle ponce les égrenures, colore ses lèvres et va chercher son pain chez la boulangère. Un petit signe de la main à la fleuriste, qui parfume  sa vitrine, couleurs pastel, camélias rouge et  lilas blanc.
Suit le chemin qu’elle a tracé dans sa tête et va s’asseoir ou plutôt se lover, dans un petit creux sur l’herbe, les pieds dans l’eau de la rivière, en déclamant : » Et depuis, le hareng saur …   sec  sec   sec  
Au bout de cette ficelle…             longue    longue  longue
Très lentement se balance…         toujours    toujours  toujours
et quand de trop rire,  les larmes lui viennent,  alors elle pleure.
Elle avance Louise… Elle avance… 

ON A DIT A LOUISE
Occupe-toi, fais quelque chose

Alors elle a pris un livre entre ses mains, puis deux,  puis cinq,  puis dix,  elle lit Louise, elle lit, des heures et des heures, elle s’évade,  elle s’échappe,  elle s’envole,  elle cavale,  elle découvre,  elle adore ou déteste, elle recopie dans un  petit carnet,  les mots, les phrases qu’elle aime.
Alors le goût lui est  revenu à  Louise, elle lit et elle écrit aussi.                                                      Elle égratigne le verbe, elle défigure le mot, elle abîme l’adverbe, elle étale le sujet  je,  tu, il,  elle travestit la phrase, elle contourne le subjonctif imparfait, méprise le futur, déchire le présent, colore le passé composé.  Elle écrit des poèmes qu’elle lit à haute voix dans sa chambre et mortifiée de son audace,  les émiette  au hasard.                                                                                              
Et saturée de mots, elle s’en va baguenauder, en fredonnant Barbara, Leo, ou Félix
« Moi mes souliers ont beaucoup voyagé
« ils ont traîné de l’école à la guerre… » 

Texte : Aline Leaunes

Ma proposition d’écriture était de retrouver une expression, une phrase, un mot, qui nous restent en tête malgré le temps, soit parce qu’elles disent quelque chose de la personne qui les prononce, ou parce qu’elles ont suscité un questionnement, ou un désordre quelconque, tout autant qu’une joie. Et remontant la sensation que font naître en nous ces mots, partir à la découverte de ce qu’ils nous racontent au plus profond de soi, et le dire dans une écriture réflexive ou/et de ce qu’ils révèlent des visages, de celles et/ou ceux qui les ont portés. L’auteur convoqué : François Durif, Temps compté (blog remue.net) MS

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