Prendre l’air, Monika Espinasse

Photo : Marlen Sauvage

Prendre l’air. Marcher un peu. Journée morose. Ciel gris de plomb. Heure d’hiver tombée sur ses épaules en ce dimanche de Toussaint. Elle suffoque. Respirer. En face, un chemin s’enfonce dans les forêts du Lempezou, petite montagne au profil de chapeau mou. Malgré l’heure avancée de l’après-midi, elle fonce, elle y va sur un coup de tête, spontanément, ce n’est pas loin, elle reviendra vite. Il ne fait pas froid, elle traverse la forêt de pins et d’épicéas, le sentier monte régulièrement, doucement, elle glisse sur les pommes de pin, trébuche sur les branches tombées pendant la dernière pluie, se retient facilement, respire, marche. Monte. Sort de la forêt. Tant mieux, il faisait sombre là-dedans, ça ira mieux sur le plateau qui surplombe le bourg. Arrivée sur le plat, elle se repose enfin, profite de la vue, la vallée est profonde, la rivière serpente entre les maisons et les arbres, c’est bucolique, encore un brin de lumière et puis tout devient gris sombre. Elle entend une horloge sonner six heures du soir. Si tard, elle ne s’en est pas rendu compte. Il lui faudra courir pour arriver chez elle avant la nuit. Elle rebrousse chemin, le sentier est là, mais il s’estompe dans la pénombre qui tombe sur le paysage. Elle tâtonne un peu, arrive enfin à l’orée de la forêt pour amorcer la descente. S’enfonce dans l’obscurité sous le couvert des arbres, ne retrouve pas, ne reconnaît pas, ne se rappelle rien. Surtout, elle ne voit plus rien. Pas de lampe de poche, ni de frontale, pas de téléphone, elle est partie les mains dans les poches, sans laisser de message. L’angoisse commence à monter. Impossible de poursuivre dans la forêt sans savoir quelle direction prendre. Elle retourne sur le plateau. La lune s’est levée, elle voit enfin où elle met les pieds. Le bourg a mis des loupiotes, la rivière reflète la lueur du ciel. C’est joli, mais elle n’en a plus rien à faire. Comment se sortir de ce traquenard ? Continuer le sentier vers le sommet qui ne doit pas être loin ? Cela semble la seule chose raisonnable à faire. Elle se souvient d’une randonnée en groupe il y a longtemps, c’était bien par là, dans ce sens, plus haut, en contournant la montagne, mais elle a peur de se tromper de chemin, ou de faire un faux pas dans ce plateau parsemé de falaises. Elle ne voit plus que les ombres dans le clair de lune qui baigne le paysage. Respire ! Réfléchis ! Courage ! Il n’y a pas d’autre solution. Elle poursuit la montée, marche en tâtonnant des pieds, avec précaution, évitant les rochers et les pierres roulantes. Essaie de deviner la suite. S’arrête au dernier moment devant une rangée de falaises qui lui barrent la route. Elle a failli tomber, ne peut pas continuer, elle a dû se tromper, ou le sentier s’est déplacé, elle ne voit plus que des ombres qui flottent, qui bougent, des nuages jouent à cache-cache avec la lune, elle pense aux légendes, elle pense aux loups, elle se sent petite chèvre, les larmes montent, ça ne sert à rien, même pas à soulager, coincée, piégée, qu’elle est dans ce paysage lunaire. Se réfugier dans un coin entre les rochers, se protéger du froid qui tombe avec la nuit, respirer, espérer. Attendre et espérer, c’est tout ce qu’elle peut encore faire. Se protéger des menaces, des attaques, de ses pensées noires. Espérer qu’on la retrouve dans la nuit improbable ou demain.

Monika Espinasse

Ma proposition d’écriture : Retrouver une scène qui vous a particulièrement marquée dans un film ou un roman, ou en rêve, ou imaginée à partir d’un fait divers, et la décrire même si vous n’avez pas (surtout si vous n’avez pas) d’informations particulières. Mettez en scène le narrateur qui la décrit. Revenez à plusieurs reprises sur cette scène pour en trouver le sens. Pour revenir sur la situation, vous pouvez vous appuyer sur une phrase récurrente, toujours identique, qui servira d’appui au cheminement du narrateur. Cette phrase, vous la trouverez peut-être au fil de votre écriture. Elle ne sera sans doute pas la première que vous écrirez. A chaque “reprise” de la phrase, l’image délivrera des morceaux de sens qui révèlent l’histoire et les personnages. Il s’agit d’une écriture réflexive, l’image est obsédante et c’est elle qui suscite l’écriture. 

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