Petits bonheurs, Aline Leaunes

Photo : Marlen Sauvage

Quand nous sommes arrivés, tout était en place. Sur la scène les rideaux tirés cachaient une cuisine reconstituée, sur la table, une  miche de seigle à la couleur de fin de semaine, une bouteille de vin rouge déjà bien entamée, des miettes de pain oubliées là et trois verres aux culots colorés. Sur la gauche un fourneau de fonte noire, surchargé de casseroles rouges, semble attendre la cuisinière. Les chaises de paille sèche nous montrent leur fatigue échevelée.
Heureux, nous sommes heureux, jouer ce spectacle préparé depuis six mois déjà, quel bonheur. Ils sont tous là, tout le village nous attend,  parents, grands-parents, et nos petits élèves surexcités. Moments joyeux, plaisir de partager, spectacle applaudi, tout en sourire, rire, fou-rire, complicité, clin-d’œil, et bravo sifflé par les plus jeunes.
Plus tard, autour de gâteaux, de jus de fruits, de tartes colorées, sucreries et confiseries, offerts par les parents, régaleront petits et grands. Moment de partage  dans ce petit village haut perché, où la vue s’égare entre Mont Lozère et Finiels. Moment ou chacun fait, défait, refait, le mot, la phrase, le geste, où l’émotion des souvenirs remonte, où la complicité se partage.
Juste là,  à ce moment, un cri d’enfant : « il neige !! il neige !!!  ouhhh il neige ! »
Branle-bas de combat, il neige… déjà cinq ou six centimètres, il faut redescendre dans la vallée, vite… vite… ne pas attendre plus longtemps. File de voitures prudentes, chauffeurs attentifs, enfants excités, arrivée au village vingts kilomètres plus bas, tout est ok, appel de phares, pour certains klaxons, il est une heure du matin.
Pour nous, il faut continuer encore un bout de chemin, passer le petit pont tout en arche, rencontre difficile avec la neige, il faut s’y reprendre à trois fois, suivre la route étroite où la voiture patine parfois mais avance tout de même, et voila la montée en lacets, le moteur s’emballe, les roues patinent, le chauffeur se crispe, les enfants hurlent, joie mêlée de peur, la voiture glisse lentement sur le côté et se fige dans la neige.
Les portes s’ouvrent, premiers pas qui s’enfoncent dans la neige, crainte, appréhension, provocation, première boule lancée  au hasard, première imitation du loup, rire et fou rire encore et encore…
Les arbres plient sous la neige grasse, certaines branches se courbent vers le sol, le passage est difficile, on se met à trois pour secouer les branches et les laisser reprendre leur place, la manœuvre est magique, et c’est un feu d’artifice de milliards de paillettes glacées qui s’envolent.
Et encore des éclats de rire, oublier les chaussures trempées, les pieds glacés, les mains nues rougies, presque ankylosées, les vêtements humides, qui glacent le corps, et toujours, comme une communion dans la nuit, cris de joie, cris enfantins, onomatopées gutturales face au silence, ode a cette nature qui s’offre.
Enfin arrivés, les lumières nous aveuglent, la chaleur du poêle nous brûle les mains. 

Aline Leaunes

Ma proposition d’écriture : Dans l’idée de La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, de Philippe Delerm et sur ce mode du petit rien qui éclaire la vie, je vous propose d’écrire un plaisir minuscule. En ces temps de confinement, vous avez dû prêter attention à bien des détails du quotidien, que ce soit du côté du corps, des sensations, de la nature, de la vie à deux, des enfants… L’enjeu est d’écrire ces petits moments de plaisir avec légèreté ! MS

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