Sous l’œil de Neptune, Claudine Albouy

Photo : Marlen Sauvage

La voiture est garée sous le faux poivrier, je sais que j’en grappillerai une ou deux branches en revenant ce soir… Ces grappes de petites graines rose tyrien odorantes m’enchantent quand elle débordent d’un vase, c’est joli, asymétrique, les graines abandonnent un délicat parfum, les petites folioles sécheront vite et tomberont, ne resteront plus que ces petites boules d’un parfum poivré venu d’ailleurs…

Neuf heures trente, les jambes se griffent dans les premiers arbustes épineux, cela pique je slalome pour éviter les griffures sur mes jambes. Je cale mes pieds bien à plat sur chaque pierre, mes chaussures écrasent du thym qui libère des fragrances bienveillantes. Dès les  premiers cent mètres la montée demande de l’attention car le sol est inégal, rocailleux. Petites enjambées, grandes enjambées, le souffle est court, cela monte dur dès le départ car nous partons bille en tête. Un dernier effort pour me hisser dans l’éboulis du muret et j’atteins un petit sentier, sans embûches avec un sol sablonneux, régulier. Je reprends mon souffle, j’en profite pour admirer en contrebas une propriété, vue plongeante sur une très jolie maison avec une piscine qui invite à nager. Mes jumelles battent contre ma poitrine, prêtes à servir. La facilité du sentier presque rectiligne  permet de garder le regard au loin en éveil. La Méditerranée est là tranquille à une centaine de mètres devant moi, inaccessible d’où je suis. Le sentier longe des falaises truffées de trous, des abris troglodytes, vestiges du premier village d’Agua Amarga nommé ainsi sûrement à cause de  la présence d’une source aux eaux amères ou de marécages asséchés aujourd’hui pour y faire un parking ! En cas de crues la nature reprend ses droits et descend avec force dans cette rambla… Le village tout blanc s’étale sur toute la longueur de la plage avec tout de même un point culminant, une végétation méditerranéenne luxuriante grimpe le long des maisons : plantes grasses, cactées, lauriers, bougainvilliers, palmiers sont à la fête. Je m’arrête pour respirer en pleine conscience et imprimer dans ma tête cette vue panoramique. A l’extrémité de la pointe rocheuse la marche nonchalante se termine, plus question de penser à Christine, Sylvie, les enfants, au concert de demain ou au petit repas de ce soir ; je suis face à une montée très raide pour atteindre le sommet. De nouveau les yeux rivés au sol, ne pas trébucher sur le parcours accidenté, la roche s’effrite par endroits donnant naissance à de petits éboulis, il fait chaud. Je transpire dans ma robe bain de soleil en voile de coton heureusement le sac à dos n’est pas lourd et mes basquettes accrochent bien ! J’essaie de ne pas regarder le sommet, j’avance avec précaution. Des hautes touffes d’alpha bordent maintenant le chemin. Je sais que l’effort va être récompensé dans quelques mètres, j’y suis !! Un paysage grandiose me saute aux yeux, la vue se perd devant à plus de quarante kilomètres en direction d’Alméria. Les pointes rocheuses se succèdent dans un diaporama de couleurs fusantes, le blanc et l’anthracite se disputent chaque avancée sauvage,véritables points de repères pour les marins et les terriens. A mes pieds en bas, une crique au sable blond bercée par un léger ressac à peine visible, c’est un petit bijou enchâssé entre des falaises aux formes excentriques d’un blanc éblouissant, des pans rocheux propices à des histoires fantastiques de monstres à têtes d’animaux, d’hommes en colère ou placides ! Un monde silencieux de pierre qui surveille cette petite plage. Celle-ci se mérite, l’accès n’est pas facile. Je n’ai pas bougé de mon point de vue, il me reste à pivoter pour une lecture de paysage à 360 degrés. A gauche la Méditerranée, calme aujourd’hui, quelques bateaux de pêche à  l’horizon. Derrière moi, Agua Amarga se réveille, les bruits nous parviennent très assourdis. A droite, un paysage vallonné à perte de vue, très loin des serres et là au creux d’un mamelon s’épanouit un olivier millénaire, je sais qu’il est là même si je ne le vois pas. Mais le coup de foudre : c’est là devant mes yeux ébahis et à mes pieds, une beauté parfaite, cette contemplation  oblige à respirer profondément pour emmagasiner, imprimer cette image dans le souvenir. Au-dessus de moi un faucon crécerelle fait le saint esprit et semble de mon avis… Je reprends la marche en bordure de la falaise, le spectacle est là aussi dans le ravin accidenté. Fini de contempler, place de nouveau à l’attention pour la descente, avancer entre des dalles de rochers, buissons agrippants, pierraille pour atteindre un minuscule sentier périlleux, aérien juste la place d’une chèvre et je suis la chèvre !!! Surtout ne pas glisser, avancer avec prudence à droite ce serait le grand saut… Au bout de ce sentier de nouveau une descente acrobatique, la roche a façonné un escalier mal taillé, irrégulier, plus loin les falaises s’arrondissent pour donner naissance  à trois abris sous roche au sol du sable blanc, pour moi, pas d’essoufflement car il faut avancer doucement et regarder  là ou les pieds se posent. Je connais ce parcours par cœur impossible de s’y endormir chaque mètre parcouru offre une originalité de difficulté ! Nous ne sommes pas au bout de nos surprises le niveau de la mer n’est pas encore atteint ! Premier verrou, deux pas d’escalade pour se laisser glisser et que les pieds se réceptionnent sur un tas de pierres mis là par des mains amies. J’ai de plus en plus chaud avec la réverbération des rochers blancs, la proximité de la mer me rend impatiente. Deuxième verrou sur les fesses ! Passage étroit dans un éboulis  raide. Pour les derniers cinquante mètres, il faut faire une petite traversée plaquée contre le rocher, une deuxième dalle et enfin  les pieds laissent leurs traces sur le sable mouillé… Deux énormes rochers tombés il y a bien longtemps nous accueillent, l’un est équipé de crochets bien pratiques pour accrocher toutes nos affaires précieuses ! Ce lieu a été habité pendant plusieurs mois comme le fait penser l’énorme Neptune gravé sur le deuxième bloc, il est impressionnant de grande taille, il sort d’une eau poissonneuse. Masque sur le visage, je m’apprête à enfin entrer dans l’eau, le bruit d’un moteur me fait sursauter, ce n’est pas celui d’un bateau… Je me réveille complètement. C’est celui d’une moto sur le chemin au-dessus de  chez moi, la blancheur immaculée des  falaises d’Agua Amarga s’évanouit, aspirée dans le vert des châtaigniers ! Je suis dans ma prairie, même pas essoufflée, je baigne dans de multiples sensations de bien-être, un souffle d’éternité. Je songe à ce lieu magique qui vaut bien quelques griffures sur les jambes et un peu de surchauffe ! Cette petite plage se mérite même dans l’imaginaire…

Claudine Albouy

Ma proposition d’écriture
Une histoire de marche et d’écriture, où le texte s’élabore en marchant, et en ces temps de confinement (à ce moment-là !), nous pouvons marcher dans notre tête. La phrase restitue le mouvement de la marche, dans son allure, ses arrêts, ses hésitations, selon le sol et ses accidents.
 MS

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