La défaite est parfois aussi douce que la victoire, Anne Vernhet

Homme libre, toujours tu chériras la mer !

Je ne suis pas un homme et la mer on ne la voit pas. Pourtant elle est là. Par-delà les montagnes et les vallées. Elle est là dans le souvenir des profondes gorges qui se laissent deviner. Elle est là dans l’horizon sans fin qui se déroule sous mes yeux.

Je suis à la Serre. Point culminant de mon exploitation agricole et de cette partie du Causse Méjean. Ici les arbres se sont éclipsés pour me permettre ce voyage. Les brebis y paissent une partie de l’été. Tous les matins et soirs, en donnant à boire au troupeau de cette eau que la mer si lointaine nous refuse, je peux m’évader.

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 La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer.

Je cherche mon image dans ce miroir invisible. Mon âme cherche à saisir un espace infini. Je m’élance, m’envole, mais je retombe sans cesse dans les ravins, m’écorchant dans les buissons et sur les rochers.

Tu te plais à plonger au sein de ton image ;
Tu l’embrasses des yeux et des bras, et ton coeur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.

Devant ce paysage je me sens chez moi. Sa beauté et son immensité me comblent. Je crois me retrouver, découvrir qui je suis. Mais mon esprit s’égare et tourne en rond. J’ai beau chercher, seule mon image me fait face. 

Le vent souffle souvent. Les orages trouvent ici leur meilleure scène. Les nuages noirs s’invitent sans prévenir et le tonnerre peut s’exprimer sans limites. Les zébrures au loin montrent une colère insoupçonnée. Colère de la Terre. Colère du cœur.

 Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets :
Homme, nul n’a sondé le fond de tes abîmes ;
Ô mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets !

J’ai beau chercher je sais que je ne trouverai rien. Tout est trop grand, trop loin, inaccessible. A la mesure des mes pensées que je ne peux canaliser. J’ai beau scruter tous les jours ce même relief, ces montagnes, ces bois, ces champs ; je ne connais rien ; je ne reconnais rien. Le paysage m’apparaît comme différent chaque jour. Le même mais subtilement différent. Changement de luminosité. Nuances des couleurs. Odeur de la terre et de l’herbe sèche. La beauté du lieu m’enivre mais me dérobe son essence. Je resterai toute petite devant elle.

Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remords,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
Ô lutteurs éternels, ô frères implacables !

Mon esprit refait surface. Le vent m’enveloppe, ébouriffe mes cheveux et me ramène à la réalité. Je sens sous mes pieds cette  terre. Dure et hostile elle est et elle restera. Pourtant, son charme n’a pas été sans effet. Des générations d’hommes et de femmes se succèdent pour tenter de l’apprivoiser. J’en ai des preuves tout autour de moi. Murets faits de pierres arrachées à ses entrailles. Défriches sans cesse reconquises par une armée de genévriers et de buis. Ravins qui se creusent dans les pluies torrentielles des équinoxes. 

Le combat est inégal.

Mais la défaite est parfois aussi douce que la victoire.

Le vent est tiède dans la soirée d’été. Il caresse mon visage. Des nuages gris apportent une fraîcheur bienvenue. Les brebis sortent de leur léthargie et le son des cloches accompagne leur déambulation. 

La vie reprend son cours.

Texte et photo : Anne Vernhet

Ce texte a été écrit par Anne Vernhet, participante aux Ateliers du déluge, pour le Club de Mediapart cet été 2020, et publié ici. La proposition était de décrire un lieu aimé en lien avec une œuvre d’art, une sorte de diptyque où l’un et l’autre se feraient écho en toute subjectivité. C’est ainsi en tout cas que j’ai compris la proposition. Marlen Sauvage

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