Cartes postales, par Mireille Rouvière

La carte postale

Elle est de couleurs chaudes la cloison derrière elle, faite de rectangles monochromes dans les bruns et ocres. On aperçoit une porte au fond à gauche. Un lit de couleur blanche et gris clair à hauteur de ses hanches du côté droit. Elle est assise dans un fauteuil la femme, la femme dont on aperçoit derrière l’épaule gauche un bout de dossier de cuir luisant. Elle porte des cheveux carotte mi-longs sur un visage démesurément allongé sur un cou à la Néfertiti qui supporte un collier de perles orangées. Elle est vêtue d’une robe noire, un châle anthracite. Son bras gauche maintient sur ses genoux un enfançon au visage rond qui porte un bonnet de la couleur du châle de la femme, un gilet enfilé à l’envers qui laisse déborder le blanc du dos de sa petite robe et tout le bas. La main de la femme est posée sur le ventre de l’enfant et ses doigts se dissimulent sous le bras droit de l’enfant qui lui même pend le long des plis de la longue robe de la femme. Des bottes marron recouvrent ses jambes et ses pieds qui se laissent aller sur l’ampleur du noir du bas de la robe de la femme.

Modigliani, Maternité, 1919. source : anttialanenfilmdiary.blogspot.com

La truelle

Je pouvais l’apercevoir sur l’échafaudage avec sa truelle. Le soir lorsqu’il redescendait de son promontoire je la lui prenais des mains. J’aimais la caresser, elle avait un manche luisant d’usure, elle était douce et devenue fine par le frottement. Le ciment l’avait décolorée, mais le métal dont elle était faite était toujours étincelant, lisse et propre. Il n’aurait jamais rangé son outil sans le rincer à l’eau claire et l’essuyer pour éviter de le retrouver rouillé par l’eau le lendemain. Jamais il ne laissait un brin de ciment coincé juste à la jointure du manche. Il m’avait confié qu’au début de son utilisation elle était de forme rectangulaire. Mais maintenant avec le temps elle arborait des courbes gracieuses. Un bel arrondi qui était devenu tranchant tant l’épaisseur du métal s’était amincie. Elle découpait avec souplesse les tranches de béton qu’il posait sur sa taloche, et j’étais ébahi par la danse de cet instrument qui laissait rarement tomber son contenu. Je sautillais auprès de lui et je savais que sa main libre dans un instant se poserait sur ma tête. Une main aux doigts épais et courts, une paume charnue et rouge, aux stries saillantes. Une peau rugueuse comme la toile émeri et burinée par l’agression du mortier tant et si bien que l’on ne distinguait plus les lignes qui auraient pu intéresser une bohémienne. C’était une main velue et recouverte de cicatrices. Les ongles toujours très courts et blancs, élimés et parfois crevassés. Oui elle se poserait sur ma tête légère comme une plume, comme un souffle de vent, comme le battement léger d’une paupière, et il me dirait : « Rentrons ».

Clichés d’autrefois. ©Elie Plantier (1898-1995), photographe en Vallée Française. Maçons à La Baume, Molezon. Lozère

L’incendie

Un tapis de fumée cache le soleil. Le ciel s’obscurcit de plus en plus, c’est imminent. Dans la maison la famille prépare les bagages, l’homme est sorti démarrer la voiture et ouvrir le coffre. La femme court à droite à gauche remplit les valises avec tout ce qui lui tombe sous la main, papier, culottes, robes, tee-shirts, casseroles, verres. Elle n’arrive pas à se concentrer pour décider et emporter l’essentiel. Lui ne réussit pas à démarrer l’auto, insiste, soulève le capot, peste, jure. L’air devient irrespirable, il fait chaud, il transpire. Le moteur ronronne enfin. Les sirènes des pompiers hurlent. La route recouverte de poussière vaporeuse qui se soulève à chaque passage, fluctue sous la vision fantomatique de véhicules ocres, pressés, débordant de passagers et de toits recouverts de bagages. Dans un vacarme assourdissant, les flammes arrivent, lèchent les premiers arbres de la propriété, l’homme se révolte retourne dans la maison, cherche les enfants, les trouve recroquevillés dans un coin de la cuisine avec leur doudou sur les genoux qu’ils enserrent dans leurs petites mains, les visages mangés par la peur et l’effroi, les attrape, les soulève de ses bras tentaculaires, les enfourne dans l’auto. Retourne chercher la femme qui se débat, refuse d’abandonner tout ce qu’elle aime, qu’elle a construit, qu’elle a décoré. Le salon juste repeint, le nouveau tableau accroché au-dessus de la petite commode de sa grand-mère. Il la tire, la pousse, l’accompagne par la taille, l’embrasse, la dépose presque sur le siège, ferme la portière. Elle, hébétée, larmes qui roulent, regarde par la vitre l’incendie qui arrive dans un fracas, dépasse la toiture de leur habitation et engloutit voracement la jolie maisonnette.

Mireille Rouvière

La proposition en 3 étapes était la suivante : à partir d’une carte postale tirée au hasard à chaque étape, décrire la première carte comme on le ferait pour un aveugle ; choisir dans la 2e un élément rappelant un souvenir ; et ajoutant la troisième aux précédentes, tisser un fil entre ces cartes pour inventer une fiction. Parmi les suggestions d’écriture, l’utilisation de la cataphore, celle du « il y a » ou encore la description à la Perec, pour la première. L’appui de Charles Juliet pour l’écriture du souvenir, et enfin la recherche de sa propre voix pour ce qu’il en est de la fiction. Marlen Sauvage

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