Cartes postales, Liliane Paffoni

La carte postale

Blanc – ocre – noir
Il y a un cadre blanc d’environ deux centimètres de large.
Il y a un rectangle ocre, cerné d’une trace de peinture noire à peine visible, tracée de façon malhabile.
Il y a un cadre ocre, décoré d’un motif noir qui ressemble à du croquet, irrégulier, mal posé, comme effiloché à une extrémité.
Il y a un rectangle noir dont on a coupé les coins en biseau.
Dans le rectangle noir aux coins en biais, il y a un ovale assez régulier.
Il est ocre, l’oiseau aux ailes déployées et à la longue queue presque rectangulaire.
Il est stylisé, l’oiseau, c’est une silhouette d’oiseau, ce n’est pas un dessin précis et détaillé fait par un ornithologue.
Il a un petit œil rond et noir, l’oiseau aux ailes déployées et un minuscule bec pointu.

Ocre – noir – blanc

Georges Braque, oiseau verni, 1954 ©ADAGP, Paris, 1995

Tu l’auras pas

Assise sur les marches de l’escalier, je regarde un garçon de mon âge, 6-7 ans, voisin, cousin, je ne sais plus. Il est au volant d’une petite voiture à pédales qu’il actionne par un mouvement de va-et-vient des pieds. Il passe et repasse devant moi, et, à chaque fois, il lance : tu l’auras pas !  Puis, il repart de plus belle. J’entends encore le cliquetis des pédales, mélangé au régulier « tu l’auras pas ! » La voiture est belle, du rouge brillant orné d’un liseré noir. Le volant est en bois, les roues également, cerclées de métal. J’ai beau supplier, proposer en échange ma poupée, ma dînette, un collier de perles, je n’ai même pas de billes ! La réponse est toujours la même : tu l’auras pas, et en plus, t’es une fille. Je ne dis rien, je ne réponds pas. Je dévore la voiture des yeux, je rêve, j’imagine. Moi, je n’irais pas si vite, je tournerais délicatement le volant, je me tiendrais bien droite, je tracerais à la craie un parcours avec des routes qui se croisent, je dévalerais la petite pente au bout de la cour, la voiture prendrait de la vitesse, à peine, la pente est si légère, ce serait bien de sentir le vent dans les cheveux.

Clichés d’autrefois – ©Elie Plantier (1898-1995), photographe en Vallée Française- Enfant à la voiture, Lozère.

Aller au bout de ses rêves

Elle avait fermé la porte et elle était partie. Partie pour aller au bout de ses rêves : une balade en Harley Davidson.

Elle avait contacté un club de motards, expliqué ce qu’elle désirait et le rendez-vous avait été fixé. Elle avait toujours aimé les Harley Davidson, ces motos la fascinaient, l’attiraient. Elle trouvait que c’était un bel objet en soi, des lignes pures, le noir se mariait avec élégance aux chromes brillants, le nom Harley Davidson, écrit en lettres dorées, d’une écriture fine et harmonieuse. Il se dégageait de ces machines un certain magnétisme qu’elle ne s’expliquait pas. Elle  ne connaissait rien en mécanique, en puissance, en conduite et cela ne l’intéressait pas. 

Elle s’était rendue au lieu du rendez-vous, fébrile et impatiente. Le motard l’attendait devant le hangar de son club, debout à côté de sa merveilleuse machine. Elle s’approcha, très émue de pouvoir contempler cette moto de légende. Ils se saluèrent. Elle lui demanda si, avant la promenade, elle pouvait regarder la moto et la toucher. Il acquiesça. Elle en fit le tour, tout doucement, savourant pleinement cette rencontre. Elle ne parlait pas. Lui, la regardait avec un sourire amusé. Elle posa délicatement ses mains sur la puissante machine, l’effleura, suivit les arabesques de son nom du bout des doigts. Elle ne touchait pas la moto de peur de l’abîmer, elle la caressait. Elle ne se lassait pas de contempler ses formes harmonieuses, du mariage subtil du noir et de l’argent. Le pilote la sortit de sa rêverie en lui demandant si elle était prête. Elle sursauta, tant elle était plongée dans sa contemplation. Il lui tendit une combinaison, des bottes et des gants. Elle s’habilla rapidement. Puis, le motard lui donna quelques conseils pour qu’elle  profite pleinement de cette balade en moto. Tout d’abord, lui dit-il, un passager s’appelle un sac de sable. Ils rirent. Pour être un bon sac de sable, il y a quelques  points essentiels à respecter. Mettre un bras devant qui encercle le conducteur, une main sous la selle ou sur la poignée du passager, les pieds ne doivent pas être en contact avec le pot d’échappement, garder la tête d’un côté ou de l’autre du casque du conducteur, suivre au plus près les mouvements du pilote : se pencher quand je penche et du même côté que moi, éviter les mouvements brusques, voire les mouvements tout courts. Le sac de sable fait confiance à son pilote. S’il y a un problème, lui dit-il, on peut communiquer grâce à l’intercom. Mais, l’idéal c’est de rouler en silence. Prête ? Oui, dit-elle d’une toute petite voix. Il l’aida à ajuster son casque, puis à s’installer sur la moto. Ses mains étaient moites, son cœur battait la chamade, sa bouche était sèche, ses mains tremblaient. De bonheur, de peur, elle ne savait plus. Le pilote s’installa, puis il démarra. Ce fut tout de suite une sensation grisante et euphorique. Elle sentait le vent, les rayons du soleil, les odeurs automnales. Tout était décuplé. Une sensation d’ivresse, de liberté… C’était donc ça, rouler en Harley Davidson ? C’était ça le bonheur quand un rêve se réalise ? Le paysage défilait, elle portait son regard bien droit devant elle. Tous ses sens étaient en alerte. Le pilote avait raison : le silence était un allié. Le bruit du moteur était un murmure rassurant. Et puis, brusquement, tout changea. Le conducteur accéléra, il y eut de plus en plus de virages qui n’en finissaient plus, toujours plus serrés. Elle avait l’impression qu’elle allait être éjectée de l’engin à tout instant, elle était tétanisée, elle ne respirait quasiment plus, elle serrait tant la poignée passager qu’elle ne sentait plus sa main, elle n’osait pas bouger, elle ne vit plus rien, n’entendit plus rien. Elle ferma les yeux. Dans son casque, elle entendit la voix du pilote : si vous voulez, mettez vos bras autour de ma taille, serrez-vous contre moi légèrement, ne m’étouffez pas et respirez calmement. Vous verrez, ça ira mieux. Merci, chuchota-t-elle. Ainsi, il avait senti son malaise. Peu à peu, elle se calma et tout redevint comme au début. Le contact avec le corps de son pilote lui procura un bien-être apaisant, l’odeur de son blouson de cuir mêlé aux parfums de la forêt la rassurait, il exerça une légère pression sur une de ses mains qui la calma complétement. Elle faisait corps avec lui, c’était une fusion totale, lui, elle et la moto. Son cœur explosait de bonheur. 

  • Madame, madame ! Elle entendait une voix qui lui paraissait lointaine. 
  • Madame, ça va ? Elle ouvrit les yeux et vit plusieurs visages penchés au- dessus d’elle. Elle se redressa  d’un bond.
  • Ce n’est pas très prudent de faire la sieste si près d’une Harley Davidson ! On ne sait jamais. Et puis, vous gênez les visiteurs qui veulent contempler cette pure merveille.
  • Oui, oui, bien sûr, balbutia-telle. 

Elle se releva, chancelante, fit quelques pas hésitants, aperçut le hangar et là, elle vit une immense pancarte :

JOURNEE PORTES OUVETES AU CLUB OLD CHAPS RIDERS

EXPOSITION DE MOTOS 

EN RAISON DE CETTE JOURNEE EXCEPTIONNELLE, IL N’ Y AURA PAS DE PROMENADES EN MOTO.

A TRES BIENTOT.

Liliane Paffoni

Sources et remerciements : j’ai emprunté le nom du club OLD CHAPS RIDERS à l’association de bikers située dans la Vienne (86) – Pour être un bon sac de sable, j’ai consulté le site liberty-riders.com

La proposition en 3 étapes était la suivante : à partir d’une carte postale tirée au hasard à chaque étape, décrire la première carte comme on le ferait pour un aveugle ; choisir dans la 2e un élément rappelant un souvenir ; et ajoutant la troisième aux précédentes, tisser un fil entre ces cartes pour inventer une fiction. Parmi les suggestions d’écriture, l’utilisation de la cataphore, celle du « il y a » ou encore la description à la Perec, pour la première. L’appui de Charles Juliet pour l’écriture du souvenir, et enfin la recherche de sa propre voix pour ce qu’il en est de la fiction. Marlen Sauvage

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