
Il est dix huit heures trente. Silence. Pas de tentative de connexion. L’écran est vierge.
C’est comme une lettre de rupture à laquelle elle ne s’attend pas, elle y a bien pensé de temps en temps que ça ne pourrait pas durer comme ça en raison de l’éloignement, en raison de cette saleté de virus qui fait qu’on ne peut plus s’embrasser, plus se toucher, plus lire sur les lèvres, plus se retrouver autour de la même table et au bout du compte ne plus être autorisé à respirer le même air.
Ne plus écrire côte à côte, face à face. Dangereux. Toucher le même livre, les mêmes pages. Dangereux. S’asseoir côte à côte pour voir le même film. Dangereux. Se tenir par le bras. Dangereux. Ne plus toucher les poignées des portes alors que d’autres pourraient les avoir touchées. Dangereux. Le monde entier se dissimule la moitié du visage et l’autre moitié reste timidement en retrait. Le monde entier est masqué comme au carnaval mais il faudra bien un jour ou l’autre brûler Coronavirus qui ne mérite que le bûcher pour conjurer le mauvais sort et la terreur qu’il nous inflige depuis un an.
C’est comme une lettre de rupture qu’elle a reçue aujourd’hui. Elle se dit que c’est comme dans un couple, chacun apporte sa part, si infime soit-elle, de petits bonheurs, de crises de fous rires, de larmes d’émoi, de partages de points de vue, de ratages, de succès, de satisfactions et d’insatisfactions, de petites tracasseries.
C’est comme une lettre de rupture qu’elle a reçue aujourd’hui. Son cœur est triste, elle a du mal à se projeter, elle écrira ce qui lui fait mal, elle remplira des pages, se rappellera les consignes qu’elle a reçues, biffera des lignes puis elle les lira à haute voix, sans le masque puisqu’il n’y aura personne en face et sa voix se perdra, elle sera sans écho. L’écriture est contagieuse surtout elle n’imagine pas un vaccin pour s’en guérir, elle souhaite conserver le lien qui les unit, le lien qui a fait qu’elle a chopé un bon virus.
Même si elle a du mal en lisant et relisant la lettre, elle veut lire entre les lignes, veut y voir une petite flamme sur laquelle pourrait souffler une légère brise qui rallumera les braises.
Le soleil ne s’éteint pas même s’il est caché au plus profond des nuages.
Quand le printemps prochain nous ouvrira ses portes (ça fait cliché je le sais, mais je l’écris quand même!!!), nous nous retrouverons au bord de l’eau, sur la crête d’une montagne, dans un chalet douillettement confortable, près d’un champ de lavande, dans une abbaye, dans un temple, et que sais-je encore, nous rirons ensemble, nous lirons ensemble, nous écrirons ensemble. Il me tarde d’y être.
Texte : Monique Fraissinet
@adejardin Ce qui surgit en écriture après de « grandes émotions » ! Merci de ta fidélité, Anne.
Belle idée que la comparaison avec une lettre de rupture. Joli texte, merci.