
Je tressaute il dort et ne s’en rend pas compte seule elle près de lui sursaute à chacun de mes bondissements je suis la jambe droite celle qui ne s’est pas remise de la fracture du bassin mes tendons tendus comme fils de funambule se relâchent la nuit et je gigote à tout-va même sous sa main apaisante
nos doigts se réchauffent entre eux dans cette position croisée où il nous a placées en haut de son torse sous les phalanges les veines saillent longues et velues nous n’attendons qu’un effleurage le frôlement d’une autre peau d’une autre main peut-être ne sentira-t-il rien puisqu’il dort maintenant nous attendons
seule une caresse dans nos friselis noirs encore blancs surtout grêlerait notre terre d’accueil de pointes hérissées comme l’air frais quand il envahit la chambre vers cinq heures du matin
je reste obstinément fermée lorsqu’il tente de s’endormir et je m’entrouvre aussitôt que le sommeil le prend exhalant son souffle profond mes lèvres fines frémissent si peu si peu de chair me borde si peu de chair pour exprimer ma sensualité pourtant comme j’aime les baisers doux longs et humides qui me parcourent parfois
nous ne captons plus rien d’autre que les battements de son cœur son sang dans les veines et ce souffle si particulier obstruées la nuit venue par un bouchon de cire tenues éloignées du vrombissement des moustiques des rires lointains de touristes campant dans la montagne proche de l’aboiement du chien de la ferme voisine
j’ai déposé chacune de mes vertèbres harassées sur le moelleux du matelas depuis les coccygiennes jusqu’aux cervicales et mes côtes s’étalent et l’on n’espère rien de ma moelle spinale sinon qu’elle repose son long corps gris
Codicille : un personnage qui dort, oui, c’est banal mais j’ai imaginé ce que quelques parties d’un corps abîmé pouvaient ressentir et nous dire si on les écoutait…
Marlen Sauvage
En réponse à la proposition n°12 de François Bon, « Journal du corps », été 2020.
D’une grande originalité, et très sensoriel avec cette absence de ponctuation qui laisse souffler les mots. J’entends parler le corps. Merci pour ce moment unique de lecture!
@Vève Merci à vous, Vève, de votre passage ici et de votre commentaire !
@adejardin Oh ! merci, Anne, venant de toi, j’apprécie hautement, tu sais.
C’est beau, étrange et sensuel. Merci, Marlen. Étonnement aussi de retrouver un texte sans ponctuation. Plaisir.