
Le 10 juin 1945, tu fais parvenir une lettre à ta mère par le biais d’un sergent qui retourne au Cateau… Le ton n’est plus le même… Tu n’as pas craint la censure. D’abord nous savons où tu te trouves… enfin, tu mentionnes un nom : « Luwifalten », en tête mais je ne trouve aucune ville en Allemagne de ce nom. Peut-être est-ce que je te lis mal. Un de vos camarades a été tué, un autre a disparu sans que quiconque s’en inquiète depuis, « aucune nouvelle, on ne sait pas ce qu’il est devenu, et on ne s’intéresse pas beaucoup à lui, c’est honteux de voir cela. » Tu crains que les Allemands ne vous donnent du fil à retordre… « Enfin, c’est bien l’armée française si on continue à les laisser faire encore cela, nous serons encore bientôt en guerre. En supplément ça ne s’arrange pas en ce moment avec l’Amérique et l’Angleterre. » Suivent des considérations sur les stocks « formidables » de ravitaillement qui resteraient dans les colonies et que les Américains ne se presseraient pas de faire parvenir en France… « J’ai lu un article de journal qui demande de dire la vérité à la population française. » On affamerait la France… Je cherche des informations sur la propagande nazie, éventuellement, qui pourrait expliquer tes commentaires, ou sur les décisions américaines.
A ce moment de ta vie, tu n’as pas encore 20 ans, je me demande si tu es libéré de tes angoisses de jeune homme, si tu as encore de la colère en toi, celle qui te faisait craindre de tuer ton père. Parmi les jeunes femmes que tu côtoies durant les permissions, ces marraines de guerre, as-tu une amoureuse ? Tu étais maladivement timide, c’est ce que tu disais, mais enfin, ce séjour d’un an auprès d’hommes plus ou moins jeunes n’a-t-il pas changé quelque peu ta façon d’être ?
MS