Visages, par Anne Vernhet

Fin octobre, nous écrivions sur le thème des Visages avec un groupe de stagiaires, à la Roncière (Cans-et-Cévennes). J’ai décliné ce thème en quelques propositions dont les intitulés donnent une idée : « Et le temps a passé », « Galerie », « Mon essentiel dans ton visage », « Ton visage est un paysage (ou tout autre chose) », « Je te reconnaîtrais parmi cent mille visages », et « Ce que ton visage me dit de toi »… Tous les participants n’ont pas toujours écrit à partir de chaque proposition, aussi j’en redonne l’intitulé avant chaque texte, ainsi que l’auteur principalement convoqué pour son écriture. Enfin, je restitue les textes tels qu’ils m’ont été livrés, dans leur ponctuation et leur présentation.

© Marlen Sauvage 2020

Et le temps a passé (avec Marguerite Duras, L’Amant

Ton regard

Ta main se pose sur la mienne, tes doigts enlacent les miens ; avant même d’accepter ton regard, je t’ abandonne ma main ; ce ne sera pas le dernier abandon… je veux te voir en face de moi, voir ton visage, plonger mes yeux dans les tiens, y retrouver ce que j’y avais lu…. ton regard me fuit, je revois tes sourcils fournis, tes longs cils soyeux, le carré de ton menton, ta barbe naissante et clairsemée ; mais ton regard a disparu, celui qui se plongeait dans le mien, qui me faisait exister, qui rendait le monde plus beau, plus coloré, plus désirable. Peut-être que je l’ai imaginé, qu’il n’a jamais existé. Tes cris, tes hurlements, la nappe s’envole, les objets pleuvent dans la pièce,  les éclairs de colère qui s’échappent de tes yeux, ta main qui me pousse, me bouscule…. mais ce n’est pas ce que je veux, je veux ton premier regard, celui qui me rassurait, qui me faisait sourire, qui me disait que la vie était belle.  Peut-être que je l’ai imaginé, qu’il n’a jamais existé. Ta présence à mes côtés dans le bureau de la juge, ton regard  impassible alors que tu te penches pour la dernière signature…. ce regard d’indifférence. … de l’hostilité, de la froideur…. et l’autre, ton regard d’avant, celui qui disait que tu m’aimais, où est-il ? As tu le pouvoir de l’effacer, de modifier le passé ? De détruire ce qui a été ? Peut-être que j’ ai tout imaginé, qu’il n’a jamais existé. 

Ton visage est un paysage… ou tout autre chose (avec Hubert Haddad)  

Terre

Rien d’autre que ses rides, profonds sillons, n’auraient pu mieux représenter ce qu’elle était. Je me souviens de son front, solide et concret ; de sa bouche pleine d’une énergie paisible ; de son crâne, ses joues, son menton, semblables à une sphère, une sphère dans un cercle, toujours immobile, toujours en mouvement. La forêt de ses cheveux suivait le rythme des saisons. Moissons dorées. Érable rouge. Et le blanc de la montagne en hiver. Au lieu des rêves, nous avions son sourire. Les fossettes sur ses joues étaient des ravins dans lesquels nous tombions en espérant ne jamais nous relever. Peu importe les catastrophes, elle était là. Ses yeux voyaient plus loin que l’horizon, ses narines frémissaient à la moindre odeur, ses oreilles entendaient ce que personne n’entendait. Si maintenant je ne la vois plus, si les rides qui marquaient mon chemin sont devenues floues, si même son visage s’estompe en moi, ce n’est pas que je l’oublie, c’est que le bruit autour de moi est trop fort trop fort trop fort. 

Auteure : Anne Vernhet

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