Visages, par Claudine Albouy

 Fin octobre, nous écrivions sur le thème des Visages avec un groupe de stagiaires, à la Roncière (Cans-et-Cévennes). J’ai décliné ce thème en quelques propositions dont les intitulés donnent une idée : « Et le temps a passé », « Galerie », « Mon essentiel dans ton visage », « Ton visage est un paysage (ou tout autre chose) », « Je te reconnaîtrais parmi cent mille visages », et « Ce que ton visage me dit de toi »… Tous les participants n’ont pas toujours écrit à partir de chaque proposition, aussi j’en redonne l’intitulé avant chaque texte, ainsi que l’auteur principalement convoqué pour son écriture. Enfin, je restitue les textes tels qu’ils m’ont été livrés, dans leur ponctuation et leur présentation.

© Reuters

Et le temps a passé (avec Marguerite Duras, L’Amant

Le rayon de soleil caresse ses joues rebondies, elle est heureuse baignée dans la chaleur bienveillante, son teint est bruni. Elle réchauffe un corps amoindri, douloureux qui ne lui appartient plus vraiment. La lumière glisse sur son visage reposé comme a glissé le malheur sur les années, il ne s’essouffle pas, mais il est dompté ou plutôt apprivoisé avec les  heures qui filent. Les ridules autour des yeux sont fines, peu profondes, aucune grosse cassure sur un visage presque lisse. Les yeux mi-clos surveillent le moindre mouvement, ses beaux yeux bleus ont vacillé, se sont délavés, ils ont changé, ce sont les médicaments nous dit-on ? Son regard est au repos sous les paupières, les cils ont presque tous déserté, les sourcils aussi ! Mais quand les paupières se lèvent le regard d’autrefois a laissé  place à un regard vide comme absent, c’est poignant, il se guide au son de la voix. La sienne n’a pas changé, pas vieilli, la même autorité doucereuse est bien là… Ses lèvres charnues sursautent au moindre bruit. Sa peau a gardé la même fraîcheur, claire, rosée. Le teint hâlé trahit sa cohabitation lascive avec le  soleil, un vrai lézard, elle laisse échapper des soupirs de bien-être. Un visage encadré par un casque blanc, pas un cheveu jaune, un blanc impeccable, immaculé .Du plus loin que je me souvienne, je la vois avec ses cheveux blancs ! Elle a dû blanchir très jeune…

Ses cheveux coupés très courts laissent une vue imprenable sur deux oreilles à l’extrémité épaisse. Des trous laissent deviner la trace des boucles d’oreilles devenues trop difficiles à fermer. Je lui ai toujours connu des anneaux en or qui pendaient aux oreilles. L’ovale du visage est parfait,  il se termine par un cou barré de trois rides profondes. A cet endroit la marque du temps ne peut s’enfuir, emprisonnée entre le bas du visage et le haut du corps. Ce visage, un grand livre ouvert sur sa vie passée et celle d’aujourd’hui. Un visage marqué si légèrement par autant d’années : cent deux ans maintenant…

Sur sa peau, le temps paraît piétiner, hésiter à laisser une trace indélébile. Il me faut regarder une photo pour me souvenir difficilement de ses cheveux châtains. Ses traits sont restés les mêmes, du rouge à lèvres vermillon habille ses lèvres… La vie semble refuser d’effacer, de gommer la beauté de ce visage, juste quelques petites griffures accrochées de-ci de-là laissent présager d’un âge avancé. 

Une belle petite mémé…

Ton visage est un paysage… ou tout autre chose (avec Hubert Haddad)  

Pourtant ce matin-là je me souviens 

Pourtant ce matin-là je me souviens 

son reflet dans l’eau restait immobile

les vagues submergeaient ses joues transparentes

les algues enveloppaient sa chevelure ébouriffée

avec le ressac envahisseur chaque mèche dansait

dans un va-et-vient incessant

Pourtant ce matin-là je me souviens

l’eau était claire limpide

les algues caressaient son visage par vagues successives

les coquillages penchaient la tête

pour la regarder avaler son reflet

deux poissons multicolores pendaient à ses oreilles ils nageaient

la bouche entrouverte elle a happé l’eau salée

Pourtant ce matin-là je me souviens

la mer n’était pas agitée elle est arrivée avec la marée

ses pieds nus se sont enfoncés dans le sable mouillé

la mer soupirait contre les falaises dans  un son rauque

la vague mousseuse l’a caressée léchée emportée

Pourtant ce matin-là je me souviens

le ciel bleu sans nuages se reflétait dans ses yeux bleus

les algues étreignaient sa longue chevelure

le clapotis envahissait d’un chant régulier la petite crique

les hauts rochers blancs découpés 

surveillaient la petite plage blonde

Pourtant ce matin-là je me souviens

je n’ai rien fait pour la retenir

elle s’est laissé glisser au milieu des vagues

sans un bruit le visage illuminé

pas de lutte pas de cris pas de pleurs

elle s’est juste laissé glisser

Pourtant ce matin-là je me souviens

il faisait beau

il faisait chaud

le ciel bleu disparaissait dans la mer

j’ai cru apercevoir une larme salée sur la joue transparente

Pourtant ce matin-là je me souviens

Ce que ton visage me dit de toi (avec Michel Butor, La Modification et à partir de la photo de Liz Taylor, au début de cette publication). 

Vous êtes arrivée dans le salon des visiteurs, aussitôt vous vous êtes abritée derrière la claustra verte face à lui.

Vous aviez rassemblé quelques forces deux étages plus haut, revêtu une pèlerine rouge à gros pois blancs. Pour rehausser votre visage diaphane, vous avez poudré vos joues, vous y avez ajouté quelques touches de rouge sur les pommettes, tamponné, estompé le surplus, pris le pinceau noir pour allonger vos yeux en œil de biche, mis un peu de fard à paupières vert, couleur de vos yeux, épaissi vos cils avec un mascara noir, brossé vos sourcils fraîchement épilés, peint vos lèvres en rouge carmin… Arrêtée dans le couloir, la glace vous a renvoyé l’image d’une femme en bonne santé, bien soignée, illusion parfaite ! Il restait juste à dompter votre chevelure de geai en l’attachant avec un ruban rouge derrière la tête en queue de cheval basse, une mèche faussement rebelle descendait en accroche-cœur devant l’oreille.

Vous aviez l’air d’une jeune fille à l’allure timide.

A votre arrivée, il s’est précipité pour vous prendre la main et l’embrasser. Accoudée sur la table, un bras sur le cœur, l’autre sous le menton pour soutenir votre tête, vous pouviez ainsi noyer votre regard dans le sien. Votre regard profond vert comme l’émeraude à votre doigt. Des yeux charmeurs, tendres avec un sourire fatigué mais rempli de promesse, de pardon…

Il le cherchait tellement ce pardon.

Pardon d’avoir conduit trop vite.

Pardon d’avoir un peu trop bu.

Pardon d’avoir mal géré la sortie de route.

Pardon pour ce fauteuil roulant…

Vous étiez belle, même très belle, meurtrie dans votre corps,

plus rien ne serait jamais comme avant, vous le saviez tous les deux.

Mais l’instant présent balayait tous les reproches .

Vous étiez là toujours séductrice, lui était là,

la vie allait continuer autrement.

Auteure : Claudine Albouy

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