
Un champ de blé à perte de vue. Des épis dorés qui plient sous la brise légère. Au milieu de ce champ un espace creux. Au cœur de ce creux, si on approche un peu, on devine deux corps enlacés. Ronan a pris soin de poser sur le sol une couverture dans les tons orangés. Sur les plis du tissu, quelques vêtements jetés çà et là dans la précipitation d’un désir partagé. Les deux corps nus se cherchent, se couvrent de baisers et de caresses. Par moment, on perçoit un petit rire juvénile. Linda balance alors en arrière sa gorge blanche à l’assaut de laquelle repart ardemment le jeune homme. Le temps pour eux s’est arrêté. Là, au milieu de cette végétation flamboyante. Ronan a vingt-deux ans. Il fait le service au café Chez Simon sur la place du village. Linda a seize ans. Elle aide ses parents à la ferme. Ils se sont rencontrés lors du feu de la Saint-Jean, quelques semaines auparavant. Comme chaque après-midi de cet été, elle accompagne son jeune frère, Luce, pêcher au bord du Tibou. Luce a 7 ans, il s’est pris de passion pour la pêche. Son père lui a acheté une épuisette, une petite canne grise télescopique, un seau de couleur jaune et quelques appâts pour débuter. Ombles, sandres, silures, goujons, ablettes…. Luce court après tout ce qui se tortille au fond de l’eau. Il tente de reconnaître les poissons. Parfois, il revient bredouille mais qu’importe, il n’a pas vu le temps passer. Il reviendra demain. Linda le dépose sur la berge du Tibou, elle reste quelques minutes avec lui, à l’observer, puis s’éclipse une paire d’heures avant de revenir le chercher pour rentrer à la maison. Il est l’heure de se séparer. Chacun d’eux se rhabille, vidé et repu, sans un mot. Ils échangent encore un baiser, une étreinte pleine de promesses du lendemain. Puis Linda part d’un côté, Ronan de l’autre traçant chacun quelque infime chemin au milieu de ce champ de ce blé, témoin de leur amour naissant. Ce qu’ils ignorent alors, c’est que cette étreinte sera la dernière. Lorsque Linda atteindra la rive du Tibou, elle ne trouvera plus rien de son jeune frère, que le seau jaune et vide, soulevé par les remous de l’eau en une danse macabre éternelle. Elle criera, s’agitera en tous sens pendant un long moment avant de s’effondrer en pleurs sur les galets. Le petit corps sera repêché quelques kilomètres plus bas le lendemain à l’heure où les blés ploient sous la brise légère. Avant que le soleil rageur ne les noie sous la touffeur estivale.
Autrice : Chrystel Courbassier