Générique, Liliane Paffoni

© Marlen Sauvage 2013

A la fenêtre de la cuisine pendent des rideaux ; la base est effilochée et dessine des vagues, les mailles se  sont défaites au fil des mois et font apparaître des jours ; les rais de lumière tentent de percer d’abord les vitres grises et sales, puis les trous du rideau ; cette lumière incertaine se dépose sur un vase en étain où des roses ont fini de mourir ; le rebord de la fenêtre en bois est strié par des arabesques sans doute le cheminement des vers qui ont élu domicile, le doigt peut suivre ces zigzags, aller à droite ou à gauche, faire demi-tour ; inexorablement, le chemin conduit à ce vase piqueté de taches brunâtres ou verdâtres d’où surgissent des figures grotesques ; la pluie, le vent et la poussière ont fait naître, en écho, des formes tout aussi monstrueuses sur les vitres qui empêchent le regard de se poser sur l’extérieur, sur ce qui fut sans doute un jardin.

Elle est assise, droite, presque raide. Ses yeux fixent un point sur le mur uniformément blanc ; elle les ferme de temps en temps pour aller chercher au tréfonds d’elle un peu de calme. Elle s’efforce de respirer lentement, chaque goulée d’air lui est précieuse. Ses mains sont glacées, posées à plat sur la table, lourdement, durement pour sentir le bois. Elle aimerait qu’il la réchauffe ; mais tout ce que ce contact parvient à faire, c’est éviter les tremblements incontrôlés. Ses genoux sont collés, les pieds bien posés sur le carrelage ; elle a besoin de se sentir ancrée dans le bois, dans  le sol et dans ce mur tout blanc. A cet instant, ils sont sa force. Ses lèvres remuent doucement, répètent inlassablement le même prénom, la même phrase comme une incantation. De temps en temps, elle détourne son regard et le pose sur le bouquet de roses cueillies ce matin. L’immobilité parvient à peine à endiguer la peur et l’inquiétude qui se sont insinués en elle, qui ont d’abord rôdé sournoisement comme une vague qui part et revient avec plus de force. C’est parti du plus profond de son ventre, puis c’est monté et maintenant c’est là dans sa gorge, prêt à se déverser comme une coulée de lave. Elle ferme les yeux pour reprendre des forces. Un grand éclair de lumière la fait tressaillir. A travers les rideaux de la fenêtre de la cuisine, elle aperçoit le gyrophare bleu de la gendarmerie.

Autrice : Liliane Paffoni

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s