
Le porte-clés est en métal argenté, il représente 3 petits singes accolés, le premier se cache la bouche, le deuxième se cache les yeux, le troisième se bouche les oreilles. Je pense que cette image est connue. J’ai déjà vu ces singes en statuette de bois, posés sur une télévision, il y a longtemps chez je ne sais plus qui. Je ne crois pas que c’étaient des gens engagés ou qui réfléchissaient particulièrement. J’ai le sentiment que l’objet avait simplement une fonction décorative mais je ne sais pas pourquoi je ressens cela. Ce porte-clés, je l’ai trouvé dans une boîte à babioles, chez mon beau-père quand on a vidé la maison pour la vendre. Il en avait plein des babioles, Jean, des collections, des boîtes à trucs tout mélangés, cachées partout, même sous la baignoire avec des pièces en argent dedans, la caverne d’Ali-Baba, des amoncellements de tout qui allaient bien avec sa maison biscornue et ensevelie sous les couches de poussière et les années passées à ne plus vouloir se retourner. J’ai toujours été fascinée par l’image de ces petits singes, je les ai exhumés de leur boîte et me les suis appropriés sans rien demander. Ils me revenaient de fait comme un rappel de ce que je ne veux surtout pas être, de ce que je me suis appliquée à ne surtout jamais devenir même si ce n’est pas facile, même s’il a fallu renverser les murs, même si parfois, me prends comme une envie pressante de me reposer de cette mission-là.
Je regarde.
J’écoute.
Je dis.
La pommade magique est juste un tube jaunâtre avec du gel qui sent le citron à l’intérieur. Ça sert à tout, c’est écrit dessus : COMPLEXES. Il y a des mélanges en tout genre, des élixirs floraux et des minéraux, des pierres précieuses en poudre aussi, c’est inscrit en tout petit. C’est pratique, ça guérit tous les bobos, ceux de ma fille, qui ne supporte pas la moindre égratignure sur sa peau de pêche, ceux de sa mère, surtout, qui ne supporte pas l’idée qu’elle puisse s’abîmer, se faire piquer, brûler par le soleil, avoir trop peur, être choquée ou malheureuse. L’ingrédient principal est à base de prunelle d’œil de mère. Avec cette pommade, je déjoue le destin, je ne prends aucun risque. Je m’encanaille même, parée contre tout. Comme un talisman, je la tripote souvent au fond de mon sac, prête à dégainer au moindre outrage. Elle m’aide à partir en vadrouille sans crainte, en vacances, plusieurs nuits sans risquer une catastrophe. Pas de danger que le remède soit pire que le mal, cette pommade est NA-TU-RELLE et a même le pouvoir de préserver mes illusions.
Autrice : Stéphanie Rieu