
Je suis présente, elle est distante. Je suis timide, je n’aime pas déballer ma vie, elle peut dire ce qu’elle veut et comme elle le veut. Je me cache derrière elle pour dire des choses que je ne dirais pas moi-même. J’aime pourtant bien décrire, expliquer, m’impliquer, mais je n’ai pas encore appris à mentir. Quand je dis JE, c’est moi, et personne d’autre. Pas de voile, pas de rideau, pas de maquillage – ou juste un peu, je fais des progrès.
Quand je dis je, et que je veux me cacher, je deviens un homme. C’est un homme qui parle dans l’histoire, qui marche, qui agit ou qui se laisse aller ; je ne suis plus moi.
Quand elle prend la plume, elle me ressemble de prime abord, elle pense comme moi, elle avance comme moi, mais elle n’a de comptes à rendre à personne. Elle peut vivre pleinement ou chichement, elle peut aimer, et même haïr, elle n’est plus moi. Elle crée son histoire, qui est peut-être un peu mon histoire – ou peut-être pas ! Cela ne regarde plus personne. Et le comble de la liberté, c’est le moment où je lui cherche un nom, un prénom qui lui irait, qui sonnerait bien, qui la rentrerait encore plus dans l’histoire pour l’amener plus loin ou ailleurs. Et je la soutiens et je l’aide à avancer. Elle est un peu à moi avant d’être lâchée dans l’arène. Et moi, j’avance avec elle, elle me permet de m’ouvrir un peu plus au monde et d’avoir la force de créer d’autres histoires.
Elle trépigne, elle aimerait déjà être partie. Mais les parents ne sont pas prêts . Ils traînent comme toujours, se bichonnent, vérifient le gaz, ou ont oublié les gants. Elle n’a pas le droit de partir seule. Elle sera encore en retard à la messe comme tous les dimanches. L’église sera pleine, lumière, chants, orgue, prières. Les rangs sont serrés, ses amies l’attendent sur le banc, et elles vont encore se moquer d’elle, quand elle arrivera en retard se faufilant à travers les couloirs bondés pour trouver sa place, pour s’asseoir aussi discrètement que possible parmi la foule. Quand les parents se mettront en route, la messe sera commencée et c’est comme tous les dimanches, en plein sermon, qu’elle avancera . Tout le monde tournera la tête pour voir les retardataires, elle se fera toute petite, les yeux pleins de larmes, elle voudrait rentrer sous terre, ne plus être vue, semblable à une petite souris. Pourquoi est-ce si difficile d’être à l’heure comme tout le monde ?
Autrice : Monika Espinasse