Enfance |Vert

Je retrouve ces vieux textes écrits il y a des années, où j’ai décliné les couleurs de l’enfance (vert, jaune, bleu…) et cela fait écho au « Rouge » suggéré par la toute nouvelle revue Dire, un thème large où se couler pour écrire avant le 31 avril un texte à leur proposer. 

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Il suffisait de pousser le portail métallique vert amande, d’entrer dans la cour qu’empoussiérait le mistral, de lever les yeux vers le ciel. La maison était là. Plus aucun chien ne vous attend pour saluer d’un joyeux aboiement votre venue, plus aucune pie ne descend la rampe de l’escalier pour se percher sur votre épaule, plus aucun chat ne miaule.

J’y suis retournée, le portail a été remplacé.

A chaque maison son portail, je les pousse les uns après les autres, les portails sont des aimants, j’entre ici puis là, toujours une cour poussiéreuse, en terre battue, et un escalier droit qui mène à l’étage, les maisons ont un étage, toujours, un seul, alors je dirai la maison, la maison au portail métallique, et là je mets un point avant de m’y introduire. Après le portail une porte en bois plein sans doute, à la clé oubliée dans la serrure, mais une autre avait une ouverture grillagée et je pouvais regarder à l’intérieur, apercevoir dans le rectangle un couloir au sol carrelé d’un marbre bon marché, deux portes sur la droite, fermées, une à gauche ouverte sur un morceau de canapé de velours vieilli, les maisons ont leur secret, celle-ci n’en dirait pas davantage, et je poussai donc la première porte finalement pour respirer dans la pénombre l’odeur d’un tabac à pipe,

Elle lui avait repeint sa chambre en vert. « Le vert, c’est la couleur de l’espérance ! » lui avait-elle annoncé glorieusement comme pour laisser présager les belles nuits à venir. Cela lui fit soudain froid dans le dos, il frissonna comme à la dégustation d’un vin vert, qui laisse un goût aigrelet dans la gorge, ou au premier coup de dents dans la Granny Smith, au jus acidulé. Si encore elle avait choisi un vert amande, propice au sommeil, ou un vert olive qui l’aurait précipité tout droit au pays de Giono, mais non, elle avait opté pour un vert pomme, un vert Granny justement et une régurgitation incongrue lui brûla soudainement l’œsophage. Sur une table de chevet, Qu’elle était verte ma vallée, couronnait le tableau. Il tourna sur lui-même prêt à découvrir une affiche Votez vert, histoire d’enfoncer le clou. « Et bien moi qui avais envie de me mettre au vert, pensa-t-il à part lui, c’est réussi ». Elle, toujours à l’affût de ses réactions, fière et sûre de son succès, mordait dans un kiwi dont elle crachait la peau à même le sol. Ça lui rappela la maison de son enfance, créée par les fidèles de Dolto, une maison verte où il retrouvait les copains de cinq ans, les jouets multicolores, les ballons qu’il prenait plaisir à crever et qui éclataient en lambeaux comme autant de peaux de kiwi jonchant le parquet. Elle s’était approchée de lui et doucement le déshabillait alors qu’il était encore tout à ses pensées. Avant d’être nu comme un ver, il s’enfuit à toutes jambes à travers les prés.

Marlen Sauvage

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