
Texte issu du stage d’écriture à La Ronceraie, en Lozère, mai 2022. Autrice : Monika Espinasse
Piano
Instrument de musique à clavier, touches et pédales. Instrument de plaisir ou de torture.
Un grand piano à queue couleur acajou occupe un quart de la pièce, encombrant, mangeant l’espace, attirant la poussière. Inévitablement décoré d’un napperon blanc brodé et d’un vase à fleurs posé dessus. Voilà pour les présentations.
Mon premier piano. Mais ça, c’est juste un aspect, ce que tout le monde voit. Moi, je vois les touches blanches et noires, le lourd couvercle levé, la partition calée dessus, les pédales obéissant au pied, et je sens l’âme, j’entends le timbre clair, les accords puissants, je sens mes doigts maîtriser les octaves, les arpèges perlés, les notes qui dansent, je me perds dans les sons… on m’a mise au piano à sept ans et c’était le bonheur. Malgré les leçons arides, malgré les tentations d’évasion, le piano m’a toujours comblée. Accompagnée dans ma vie. J’ai quitté le grand piano à queue que j’ai pu remplacer plus tard par un petit piano droit rouge corail, des regrets pour le son plus petit, moins universel, mais je n’avais ni la place ni les moyens pour un piano de rêve. Il valait mieux revoir les partitions, la technique, les morceaux que j’avais maîtrisés intégrés et c’est ce que j’ai fait. Exercices journaliers, je m’y tenais, tous les jours, à 14h pile, la porte ouverte sur le jardin, personne pour me déranger, me gêner dans le jeu, car je jouais pour moi, pour moi seule. Il n’y avait que les fêtes de Noël de mon enfance qui me demandaient une prestation devant la famille. Comme au concert. Assez bonne maîtrise. Perdue pendant vingt ans. Retrouvée. Et puis reperdue. Beethoven, Schubert, Chopin et d’autres attendaient et mes doigts se perdaient. Ma petite fille a exigé des leçons, non, je veux que avec toi ! nous avons appris la lettre à Elise. Et puis la vie nous a happées à nouveau, éloignées du piano. Au dernier Noël, elle m’a offert une partition, difficile, les nocturnes de Chopin. J’avais perdu jusqu’au solfège. Il faudra tout revoir. Chopin attendra.
Autrice : Monika Espinasse