Fin octobre, nous écrivions sur le thème des Visages avec un groupe de stagiaires, à la Roncière (Cans-et-Cévennes). J’ai décliné ce thème en quelques propositions dont les intitulés donnent une idée : « Et le temps a passé », « Galerie », « Mon essentiel dans ton visage », « Ton visage est un paysage (ou tout autre chose) », « Je te reconnaîtrais parmi cent mille visages », et « Ce que ton visage me dit de toi »… Tous les participants n’ont pas toujours écrit à partir de chaque proposition, aussi j’en redonne l’intitulé avant chaque texte, ainsi que l’auteur principalement convoqué pour son écriture. Enfin, je restitue les textes tels qu’ils m’ont été livrés, dans leur ponctuation et leur présentation.

Ce que ton visage me dit de toi (avec Michel Butor, La Modification et à partir du dessin de Egon Schiele au début de cette publication).
Vos mains tremblent Madame, vos mains vides, l’une sur l’autre, posées en creux, un berceau où se niche parfois le nourrisson.Vos mains tremblent Madame.
Votre chevelure, ébouriffée, hérissée, votre chevelure noire que le vent maltraite donne à votre visage, une folie, une déraison, une détresse.
Pourquoi gardez-vous Madame vos mains liées, vos mains jointes, comme soudées ?
Vos yeux Madame, vos yeux tristes à mourir, tristes à souffrir sont secs, desséchés, alors désertiques.
Si vos yeux ne pleurent plus, si vos yeux ne veulent plus voir, vos yeux qui ont tant accepté et tant refusé, vos yeux aujourd’hui abîmés, meurtris, si vos yeux qui ne veulent plus voir, c’est votre bouche Madame, qui le crie, le crache, l’éructe, le rejette avec violence, parfois le nie, souvent l’accuse, dans un délire verbal où la raison n’a plus sa place, et vos mains, vos mains Madame toujours solidaires, forment un nichoir où la désespérance prend sa source où le silence se terre.
Mais..Mais… Madame, dans ce silence vocal, devant vous, ma raison déraisonne, imagine, suppute et se perd.
Vos mains ne tremblent pas Madame, elles sont juste, juste là ; ensemble, dans un moment de repos, douces à la caresse, des mains qui parfois s’envolent sur un do, fa, mi
Votre chevelure, Madame si le vent la bouscule parfois, votre chevelure crépue, épaisse, dense, votre chevelure, qui refuse le peigne et le ciseau , laisse et donne la place à vos origines, et l’imaginaire s’envole dans ces îles au milieu d’un pacifique déchaîné.
C’est vos yeux, Madame , qui affirment et confirment, ils ne sont pas tristes, non, non… ils sont lointains, absorbés dans vos souvenirs, noyés dans les embruns de douceurs salées.
Et ce petit rictus, un soupçon au bord de vos lèvres, me laisse imaginer un souvenir heureux, une danse sur le sable, un rire qui éclate et toute cette volonté de garder comme un secret ces moments là.
Je te reconnaîtrais parmi cent mille visages (avec Emmanuel Levinas)
Non, non pas aujourd’hui, pas maintenant, pas comme ça, plus tard, quand je serai seule, que le jour sera lumineux, que le printemps fera exploser ses parfums, reviens ce jour là. Tu me donneras la main, ton regard des beaux jours, ton sourire coquin, ton rire saccadé et nous marcherons dans cette herbe tendre que le printemps nous offre. Là, comme une délicieuse gourmandise, je te sentirai, je te goutterai, je croquerai des morceaux de toi, tu viendras effleurer mon visage où le temps marque sa place. Tu me diras que là-bas, les jours sont toujours lumineux, que tu as rencontré des amis, que les heures n’ont pas de limite, que le silence s’étale à l’infini. Je te raconterai le chêne vieux de cent ans qui est mort dans le jardin, le bruit de sa chute, et les oiseaux fidèles qui dansent sur ses branches, je te dirai, les chiens joyeux en balades, les bécasses qu’ils marquent et la maison silencieuse. Dans un bouche à bouche sucré, nous cèlerons nos retrouvailles, retrouvailles aux temps illuminés, au rose pivoine et bleu lavande. Allongé dans l’herbe, goûter l’humidité de la terre, le soleil qui brûle en silence, le jour qui fuit en douce, les grand douglas qui vacillent sous le vent et nos souvenirs en vrac.
Auteure : Aline Leaunes