Stage d’écriture, Chrystel Courbassier (3)

© Marlen Sauvage 2022

Vingt ans plus tard

Le plan d’ensemble montre un jardin public de petite taille traversé par une allée de terre. Le temps est clair, plutôt ensoleillé, un soleil pâle de fin d’automne et de fin de matinée. Les arbres, érables, frênes et peupliers commencent à sérieusement se dégarnir. Quatre bancs sont répartis le long de l’allée qui permet d’aller d’une entrée à l’autre du square, quatre bancs sur lesquels personne n’est encore assis. Deux promeneurs, chaudement couverts, vont et viennent de droite à gauche ou bien de gauche à droite, l’un tenant un chien en laisse, l’autre une poussette. Un homme portant un blouson noir élimé, mains dans les poches, arrive par la droite. Il marche lentement, ses pas sont hésitants, regarde autour de lui puis s’assoit sur le bord de l’un des bancs, le premier près de l’entrée de droite, face à la caméra. 

Quelques minutes plus tard, arrive une femme, par l’entrée de gauche. Elle porte une doudoune beige, une écharpe brune. Regarde autour d’elle, repère l’homme assis sur le banc, s’avance avec précaution, maque un temps d’arrêt, regarde l’homme droit dans les yeux, le reconnait, et s’assoit à son tour à l’autre bout du même banc. /

Sur le plan rapproché, l’homme et la femme se tiennent chacun assis à bonne distance l’un de l’autre. Ils ne se regardent pas, ne se parlent pas, les yeux tournés vers le sol. L’homme garde les mains dans ses poches. La femme les a posées sur ses genoux croisés. Sous sa doudoune, elle porte un jean bleu foncé et des petites baskets dorés. Silence pesant. /

La caméra zoome sur le visage de l’homme, une cinquantaine d’années, les cheveux grisonnants mal peignés, la barbe grise également, les joues tombantes, les yeux cernés. Il prend la parole d’une voix faible :

  • Tu voulais me voir ? 

La femme, une trentaine d’années, les cheveux blonds noués en chignon au-dessus de sa tête, les yeux légèrement maquillés, le visage grave, laisse passer quelques secondes avant de répondre :

  • Oui je voulais te voir, voir comment tu avais changé après toutes ces années. /

Gros plan sur les deux visages qui se font face à présent, impassibles. L’homme baisse le regard à nouveau et répond :

  • Dix-huit ans de prison, ça change un homme, ça change tout. Silence. Toi aussi, tu as bien changé.

La femme continue de l’observer, de le détailler avec précision, et rajoute :

  • J’avais douze ans. Bien sûr que j’ai changé ! Grandir sans mère, ça change une femme, ça change tout… /

La caméra effectue un travelling du visage de l’un à celui de l’autre. L’homme, les yeux toujours rivés au sol, tente de reprendre la parole dans un balbutiement :

  • Je… je suis désolé, je …

… mais la jeune femme lève brusquement sa main droite vers lui, dans un mouvement autoritaire, pour l’arrêter :

  • Chut ! Tais-toi ! Je n’ai pas besoin de tes excuses. Je n’en veux pas. Tout a été dit lors du procès. Je voulais juste te voir. C’est fait, je t’ai vu. /

Zoom arrière.

La femme déplie ses jambes, se lève, rajuste son écharpe brune sous le regard interdit de l’homme et s’éloigne vers la sortie de gauche, les yeux tournés droit devant elle. L’homme reste là, sur le banc, la tête rentrée dans son blouson miteux.

Autrice : Chrystel Courbassier

  • Comme thème de stage, j’avais proposé « Le mouvement ». Et sans entrer dans le détail des propositions, le mouvement s’appliquait aussi bien aux situations qu’aux personnages, à leurs discours ou encore à la « technique » d’écriture.
    MS

Stage d’écriture, Chrystel Courbassier (2)

© Marlen Sauvage 2022

Il inspire et compte en même temps UNE expire inspire DEUX… TROIS… QUATRE… CINQ… son corps blanc contracté monte et descend au rythme de son souffle. Monte et descend, monte et descend, souffle, monte et descend, sue à grosses gouttes, porte juste un caleçon noir brillant, monte et descend … VINGT-CINQ… la transpiration dégouline le long de sa nuque, de ses tempes, au creux du dos, monte et descend, il halète … TRENTE-HUIT. Il veut faire mieux qu’hier et qu’avant-hier, arriver jusqu’à CENT aujourd’hui. Et puis un jour jusqu’à DEUX-CENTS. Il n’y a que ça à faire. Ils font tous ça ici. Lui, il a commencé y a pas longtemps. Combien de temps déjà ? Il ne veut pas savoir, ne pas se rappeler, juste compter et souffler, compter et souffler, sentir ses muscles durcir sous l’effet du mouvement, son corps tendu comme un bout de bois, un tronc, juste un tronc. Ne pas penser, ne pas penser à ce qu’il a fait, à pourquoi il est là ni pour combien de temps. Un monstre, ça ne pense pas. Il continue de compter. CINQUANTE-SIX, CINQUANTE-SEPT… Il voit les grosses gouttes de sueur tomber sur le béton, s’étaler jusqu’à former deux petites flaques de part et d’autre de son visage. Fermer les yeux peut-être, ça sera plus facile. Non, ce n’est pas plus facile, il revoit alors la netteté des images défiler sous ses paupières, les couleurs de la chair et du sang qui goutte le long du corps de la femme, l’arme qu’il tient dans sa main et qui n’en finit pas de s’agiter, d’aller et venir, de monter et descendre… Non, vite rouvrir les yeux, regarder le béton gris sous la masse de son corps, monter descendre, encore, ça fait mal, allez encore, continuer, y a que ça à faire de toute façon, sentir ce corps qui fait mal, qui tire, qui chauffe, qui n’est plus que douleur, ce corps raide comme la mort. QUATRE-VINGT-NEUF… accélère, souffle comme un bœuf, accélère encore… monte descend, monte descend, QUATRE-VINGT-QUINZE… QUATRE-VINGT-SEIZE… monte descend, monte descend, son corps lourd comme un rocher, comme une montagne, impossible à gravir, insurmontable, innatteignable. Tétanisé, il s’écrase au sol, sur le béton gris et froid de sa cellule, immobile, le souffle coupé. Il s’est arrêté à QUATRE-VINGT-DIX-SEPT… n’a pas réussi, a échoué, encore une fois, encore une autre fois, une énième fois. Il n’est de toute façon qu’un échoueur, un loser, un moins que rien, une vermine… infoutu d’arriver jusqu’à CENT. Infoutu de rien. Rester là le plus longtemps possible, sans bouger, jusqu’à demain peut-être. Souffrir, s’endormir et ne surtout plus penser, réessayer demain.

Autrice : Chrystel Courbassier

  • Comme thème de stage, j’avais proposé « Le mouvement ». Et sans entrer dans le détail des propositions, le mouvement s’appliquait aussi bien aux situations qu’aux personnages, à leurs discours ou encore à la « technique » d’écriture.
    MS

Stage d’écriture, Chrystel Courbassier

© Marlen Sauvage 2022

Propos de voisinage

  • Ça faisait quelques mois qu’ils se fréquentaient ces deux-là. Il restait dormir de plus en plus souvent. De la fenêtre de ma cuisine, je le voyais quitter l’immeuble au petit matin de bonne heure. Je pense qu’il avait un boulot.
  • Oui, c’est incroyable ce qui s’est passé. Un type plutôt propre sur lui, vêtu de façon convenable, poli, pas très costaud mais pas moche non plus, un type normal quoi, il avait une voiture, un emploi, il ne faisait pas de bruit. Plutôt discret d’ailleurs. Un peu trop peut-être…
  • Taciturne, je dirais. Pas très sociable ni très bavard. Bonjour, bonsoir, pas plus. On savait rien de lui en fin de compte.
  • Cependant il faut reconnaître qu’il s’occupait bien de la petite. Il allait la chercher à la sortie du collège quand sa mère finissait tard. Il préparait le repas, lui faisait faire les devoirs, d’après ce qui s’est dit au procès. Vraisemblablement, elle l’aimait bien. Heureusement qu’elle n’était pas là quand c’est arrivé !
  • Il faut dire que son père à elle, il était pas très présent. Depuis que les parents étaient séparés, on le voyait plus. Il devait la prendre un jour ou deux par mois, pas plus.
  • Si c’est pas malheureux tous ces couples qui se séparent ! Enfin, après, il a bien été obligé de prendre ses responsabilités, le père. 
  • Oui mais tu vois, on croit connaître les gens et on ne les connaît pas du tout en fait. On fait connaissance sur internet, on se donne rendez-vous dans un café, on s’invite à la maison et puis voilà ce qui se passe… Il faut se méfier de tout.
  • Tu crois qu’ils se sont rencontrés sur internet ? Non, un coup de folie moi je dis. 
  • Ou une dispute qui tourne mal.
  • Je crois pas que tout ait été dit au procès. D’après ce qu’on m’a raconté, il était pas très loquace le bonhomme quand on l’interrogeait.
  • Il avait honte à mon avis. 
  • Ou bien il avait bu ou il se droguait, on ne sait pas. C’est pas écrit sur la tête des gens ce qu’ils font quand ils sont chez eux bien au chaud en famille.
  • Peut-être qu’elle le trompait tout simplement. Il a découvert le pot-aux-roses et il a pété les plombs. Moi, si ma femme me trompait, je sais pas comment je réagirais.
  • Quand même, quinze coups de couteau, c’est pas rien ! Il fallait qu’il soit sacrément en colère.
  • Il paraît qu’il n’avait pas de casier judiciaire, rien ! Pourtant, tu vas pas me dire, on se retrouve pas à commettre un crime pareil comme ça du jour au lendemain sans préalable. On n’en vient pas là par hasard.
  • C’est dans les gènes ce truc-là.
  • Oui, le gène du tueur, j’ai déjà entendu ça quelque part à la télé.
  • Bon, ce qui compte, c’est qu’il est enfermé pour un bon bout de temps maintenant.
  • Oui mais quel gâchis quand même ! On est en sécurité nulle part.

    Autrice : Chrystel Courbassier

    Comme thème de stage, j’avais proposé « Le mouvement ». Et sans entrer dans le détail des propositions, le mouvement s’appliquait aussi bien aux situations qu’aux personnages, à leurs discours ou encore à la « technique » d’écriture. Merci à Chrystel pour ce premier texte.
    MS

Un mot, un cri, par Chrystel Courbassier

© Marlen Sauvage 2021– Saint-Laurent-de-Trèves (Cans-et-Cévennes)

Texte issu du stage d’écriture à La Ronceraie, en Lozère, mai 2022. Autrice : Chrystel Courbassier

Parlons de meurtre si vous le voulez bien. Il était dans ma liste de mots à crier. J’ai hésité. Entre meurtre et caresse, c’est meurtre qui l’a emporté.  Ne me demandez pas pourquoi, je ne sais pas, c’est ainsi. Un fin psychanalyste y verrait là-dessous quelque chose de la dualité pulsion de vie-pulsion de mort avec chez moi une prédominance de la pulsion de mort. Mais il n’y a pas de psy dans la salle, n’est-ce pas ? Alors continuons s’il vous plaît. Si j’ai tué cet homme, c’est parce que je voulais le faire, parce que j’en avais envie, oui, c’est ça, envie d’en finir avec son existence, le tuer de mes propres mains, le voir mourir sous mes yeux, j’voulais qu’il meure, depuis longtemps déjà, et qu’il meure dans d’atroces souffrances s’il vous plaît. Parce que savait-il ce que ça faisait, lui, de souffrir ? Non, bien sûr, il ne savait pas, je suis certain qu’il ne savait pas, alors je souhaitais qu’il sache, une bonne fois pour toutes, qu’il sache dans son corps et dans sa tête comment ça faisait de souffrir et de mourir aussi par voie de conséquence. Ne prenez pas cet air choqué, cela arrive à tout le monde d’avoir un jour envie de tuer, même aux meilleurs d’entre vous. Vous voulez savoir les détails, je ne vous les donnerai pas. Pas besoin. C’est le résultat qui compte ici, pas la démarche. Et le résultat, c’est qu’il est mort, point. Bon débarras. Il ne manquera à personne : j’étais sa seule famille. Mort et enterré même, et je pourrai vous dire où, si ça vous intéresse. Je l’ai tué parce qu’il le méritait, j’peux pas dire mieux. On pourra raconter ce qu’on voudra après, mais moi je m’en moque, je garde ma conscience intacte. Je reste tranquille avec ça. J’ai tué juste parce qu’il le fallait.

Autrice : Chrystel Courbassier

Un personnage, une situation, Chrystel Courbassier

© Marlen Sauvage 2021– Saint-Laurent-de-Trèves (Cans-et-Cévennes)

Texte issu du stage d’écriture à La Ronceraie, en Lozère, mai 2022. Autrice : Chrystel Courbassier

Elle vit seule depuis déjà longtemps, et promène son chien, tous les matins, le long d’une falaise avant de partir au travail. Et tous les matins, durant quelques minutes, elle regarde en bas, les pics rocheux acérés et l’océan au loin. Et tous les matins, le regard plongé vers l’horizon, elle se demande pourquoi…

Assis dans un coin de la cour de récréation, son cartable rouge élimé jeté à ses pieds, l’enfant attend son père. Il compte les cailloux qui remplissent ses poches, gratte la croûte à son genou meurtri et se raconte à lui tout seul le déroulé de sa journée. Car il sait bien qu’après, de toute façon, personne ne lui posera la question.

Arthur est amoureux. Ça se voit dans ses mots, ça se voit dans ses gestes. Arthur est maladroit. Du haut de ses treize ans, l’allure dégingandée, la voix encore hésitante, incertaine, il n’ose pas y aller. Arthur est malheureux. L’autre est amoureux aussi mais pas de lui.

Elle, c’est la fatigue qui la caractérise. Trop d’enfants, trop de coups, trop de deuils et toujours trop de nuits sans sommeil. Devant ses fourneaux, dès l’aube, comme à l’accoutumée, elle prépare la paëlla. A midi, tout le monde vient manger. Il faudra bien que tout soit prêt et qu’elle continue comme si de rien n’était.

Sam connaît un moment de crise dans son couple. Il décide, sur les conseils de sa compagne, de prendre quelques jours de congé pour retourner voir sa famille, à plusieurs milliers de kilomètres de là. Voilà dix ans qu’il n’a revu personne. Il n’est pas bien à l’aise. 

Grand, chauve et costaud, on le surnomme Mr Propre, le sourire en moins. Frustré et souffrant de ne pouvoir donner d’enfant à sa femme, Mr F. se venge au travail. Tyrannique et tout-puissant, il se démène pour rendre la vie des autres impossible. 

Autrice : Chrystel Courbassier

Le mot qui cogne, par Chrystel Courbassier

© Marlen Sauvage 2021– Saint-Laurent-de-Trèves (Cans-et-Cévennes)

Texte issu du stage d’écriture à La Ronceraie, en Lozère, mai 2022. Autrice : Chrystel Courbassier

POISON

Tout ce que je ne dis pas, ce que je ne dis à personne…

Il est là, bien présent, 

Toujours là, imminent

Il est dans le fruit, la nostalgie, les habitudes

Il est dans les mots

Pesant et toxique

Il te ronge, corps et âme, 

Il fait mal, il détruit

Tu le chasses, il revient

Sans cesse, il revient

Te persécute, t’empoisonne, t’emprisonne

Te donne envie de vomir

D’en expulser la substance

Poisseuse et liquoreuse

Envie de tuer son empreinte en toi

D’effacer toute trace,

D’en finir avec son essence sirupeuse,

Son goût douceâtre,

Amer et âpre

Il est en toi

A petit feu, il te tuera.

Autrice : Chrystel Courbassier

Un mot, un fragment, par Chrystel Courbassier

© Marlen Sauvage 2021– Saint-Laurent-de-Trèves (Cans-et-Cévennes)

Texte issu du stage d’écriture à La Ronceraie, en Lozère, mai 2022. Autrice : Chrystel Courbassier

Etoile

Fragile lumière qui s’allume dans le ciel à la tombée du jour, frémit parfois, disparait un jour en filant sa dernière course, laissant un trou noir à sa place. Etoile, fidèle compagne de la nuit, de la Lune aussi, pour qu’elle se sente moins seule.

Les soirs où le ciel est bien dégagé, quand surgit de derrière la montagne, l’astre rond et blond comme du bon pain, si proche, si majestueux, si beau, si arrogant, si lumineux, je le regarde d’en bas, je le regarde hypnotisée, j’ai envie de plonger dedans, de m’y vautrer comme dans un gros coussin douillet, d’en croquer un bon morceau. Puis il monte, monte encore, inexorablement et s’éloigne. Ainsi, hors de portée, rejoint par ses compagnes étincelantes.

St Exupéry déclare « Si tu aimes une fleur qui se trouve dans une étoile, c’est doux la nuit, de regarder le ciel ». Etoile fleur dans le ciel.

Il dit aussi pour rassurer celui qui reste « Quand tu regarderas le ciel, la nuit, puisque j’habiterai dans l’une d’elles, puisque je rirai dans l’une d’elles, alors ce sera pour toi comme si riaient toutes les étoiles. Tu auras, toi, des étoiles qui savent rire ». Etoile rieuse.

Pour le Petit Robert est étoile « tout astre visible, excepté le Soleil et la Lune ; point brillant dans le ciel, la nuit ». Dessiner une étoile lorsqu’on est enfant relève d’un long apprentissage. L’étoile ne se laisse pas attraper si facilement. Il y a plusieurs techniques. Le plus simple : tracer trois traits se croisant en un point central. Plus complexe, l’étoile de David à six sommets, formée de deux triangles entrelacés, l’un pointant en haut, l’autre en bas. Et puis il y a l’étoile à cinq sommets que l’on forme à tâtons tentant de rester symétrique. 

Ma grand-mère m’a appris très tôt comment cueillir les étoiles : la nuit il suffit de poser une bassine d’eau au milieu de la cour pour les avoir à ses pieds, écrit Valérie Perrin dans l’un de ses romans.

Faute de savoir les bons mots, le père dit à l’enfant que sa mère ne reviendrait pas, qu’elle était l’étoile la plus brillante du ciel. Dans de nombreuses mythologies, on considère les étoiles comme les âmes des morts admis au ciel. Cela signifiait donc pour l’enfant qu’il ne pourrait l’apercevoir que la nuit. La journée, tous les jours de sa vie, il allait devoir se débrouiller sans elle. S’il avait su pour la bassine d’eau, il aurait probablement été moins triste.

Mer 

Gigantesque étendue d’eau mouvante aux contours mal définis, elle reflète la couleur du ciel, éveille les sens, suscite rêves et sentiments ambivalents. Tantôt ouvre ses bras pour vous accueillir un instant, un instant qui s’étire hors du temps. Tantôt vous engloutit par surprise quand vous ne vous y attendez pas, par vagues successives. Imprévisible, dangereuse, sensuelle, enveloppante, mortelle, tout cela à la fois.

Souvent chantée : 

La mer qu’on voit danserLe long des golfes clairsA des reflets d’argent…

C’est pas l’homme qui prend la mer, c’est la mer qui prend l’homme…

La mer qui nous transporte, son parfum iodé, son goût salé, sa caresse sur la peau frémissante, sa voix lénifiante, son horizon bleuté à perte de vue.

L’encyclopédie des symboles nous dit que la liaison est immémoriale dans l’imaginaire entre la mer, la mort et la mère – la mort pouvant du coup y devenir, sous l’influence de la mère, un pouvoir de renaissance….la mer, masse d’eau informe et infinie, comme la meilleure image, en même temps, de la matrice primordiale et de l’inconscient, les deux termes pouvant s’équivaloir ».

J’ai rêvé un jour que j’étais seule debout sur une plage déserte. Et la mer m’appelait et je marchais vers elle. J’y entrais doucement, lentement, sereinement. Je ressentais alors une plénitude intense, un bonheur inouï, tellement fort que je me réveillais, dévastée et en pleurs.

Autrice : Chrystel Courbassier

Le mot qui serait un cri, par Chrystel Courbassier

© Marlen Sauvage 2021– Saint-Laurent-de-Trèves (Cans-et-Cévennes)

Parlons de meurtre si vous le voulez bien. Il était dans ma liste de mots à crier. J’ai hésité. Entre meurtre et caresse, c’est meurtre qui l’a emporté.  Ne me demandez pas pourquoi, je ne sais pas, c’est ainsi. Un fin psychanalyste y verrait là-dessous quelque chose de la dualité pulsion de vie-pulsion de mort avec chez moi une prédominance de la pulsion de mort. Mais il n’y a pas de psy dans la salle, n’est-ce pas ? Alors continuons s’il vous plaît. Si j’ai tué cet homme, c’est parce que je voulais le faire, parce que j’en avais envie, oui, c’est ça, envie d’en finir avec son existence, le tuer de mes propres mains, le voir mourir sous mes yeux, j’voulais qu’il meure, depuis longtemps déjà, et qu’il meure dans d’atroces souffrances s’il vous plaît. Parce que savait-il ce que ça faisait, lui, de souffrir ? Non, bien sûr, il ne savait pas, je suis certain qu’il ne savait pas, alors je souhaitais qu’il sache, une bonne fois pour toutes, qu’il sache dans son corps et dans sa tête comment ça faisait de souffrir et de mourir aussi par voie de conséquence. Ne prenez pas cet air choqué, cela arrive à tout le monde d’avoir un jour envie de tuer, même aux meilleurs d’entre vous. Vous voulez savoir les détails, je ne vous les donnerai pas. Pas besoin. C’est le résultat qui compte ici, pas la démarche. Et le résultat, c’est qu’il est mort, point. Bon débarras. Il ne manquera à personne : j’étais sa seule famille. Mort et enterré même, et je pourrai vous dire où, si ça vous intéresse. Je l’ai tué parce qu’il le méritait, j’peux pas dire mieux. On pourra raconter ce qu’on voudra après, mais moi je m’en moque, je garde ma conscience intacte. Je reste tranquille avec ça. J’ai tué juste parce qu’il le fallait.

Autrice : Chrystel Courbassier

Texte issu du stage d’écriture à La Ronceraie, en Lozère, mai 2022.

Hier, aujourd’hui, demain, par Chrystel Courbassier

© Marlen Sauvage 2021– Saint-Laurent-de-Trèves (Cans-et-Cévennes)

Hier, j’ai ramassé deux oisillons tombés du nichoir.

Hier, j’ai retrouvé mes enfants après trois jours d’absence.

Hier, j’ai ralenti devant un couple de chevreuils qui traversait la route.

Hier, j’ai rempli un seau de cailloux.

Aujourd’hui, je suis restée seule à la maison pendant quelques heures, quelques heures seulement.

Aujourd’hui, j’ai préparé un pique-nique pour dix personnes.

Aujourd’hui, j’ai attendu un coup de fil.

Aujourd’hui, elle m’a manqué.

Aujourd’hui, je n’ai pas reçu de courrier.

Aujourd’hui, je n’ai plus entendu de bruit dans le nichoir.

Demain, je ferai la même chose qu’aujourd’hui mais avec d’autres mots.

Demain, elle me manquera encore.

Demain, j’aurai encore froid dedans et chaud dehors.

Demain, elle m’appellera comme elle le fait chaque fois.

Demain, je me lèverai à nouveau de bonne heure.

Demain, les oisillons seront déclarés morts.

Autrice : Chrystel Courbassier

Texte issu du stage d’écriture à La Ronceraie, en Lozère, mai 2022.

Après le mot, la phrase, Chrystel Courbassier

© Marlen Sauvage 2021 – Saint-Laurent-de-Trèves (Cans-et-Cévennes)


Hier, j’ai ramassé deux oisillons tombés du nichoir.

Hier, j’ai retrouvé mes enfants après trois jours d’absence.

Hier, j’ai ralenti devant un couple de chevreuils qui traversait la route.

Hier, j’ai rempli un seau de cailloux.

Aujourd’hui, je suis restée seule à la maison pendant quelques heures, quelques heures seulement.

Aujourd’hui, j’ai préparé un pique-nique pour dix personnes.

Aujourd’hui, j’ai attendu un coup de fil.

Aujourd’hui, elle m’a manqué.

Aujourd’hui, je n’ai pas reçu de courrier.

Aujourd’hui, je n’ai plus entendu de bruit dans le nichoir.

Demain, je ferai la même chose qu’aujourd’hui mais avec d’autres mots.

Demain, elle me manquera encore.

Demain, j’aurai encore froid dedans et chaud dehors.

Demain, elle m’appellera comme elle le fait chaque fois.

Demain, je me lèverai à nouveau de bonne heure.

Demain, les oisillons seront déclarés morts.

Autrice : Chrystel Courbassier

Texte issu du stage d’écriture à La Ronceraie, en Lozère, mai 2022.