Stage d’écriture, Claudine Albouy (2)

© Marlen Sauvage 2022

Dix ans plus tard

Sur la place  du marché de Cavaillon,  beaucoup d’artisans locaux, beaucoup de monde, des stands variés : poteries, sculptures, plantes sèches, bougies, jouets, petits animaux, lavande sous toutes ses formes. Les gourmands ne sont pas oubliés, du salé, du sucré,  des délices pour le palais, il y en a pour tous les goûts. C’est une fin d’été douce, ensoleillée, l’école a recommencé donc pas de galops intempestifs de gamins dans les allées. Elle a repéré un stand « de petits fruits rouges », étalage de confitures, plats, spécialités… Aujourd’hui, elle se sent libre de flâner, de prendre le temps de se poser, regarder, toucher,  sentir, des heures pour elle seule, à ne s’occuper que d’elle et à se faire des petits plaisirs. Chose d’ordinaire impossible dans sa vie agitée au quotidien, une vie d’artiste et d’itinérances professionnelles, elle est marionnettiste et crée des spectacles. Elle a l’esprit ailleurs devant les pots de confitures « framboises-cassis-groseilles » et elle ne remarque pas le grand type qui s’active le nez dans les cartons pour sortir d’autres bocaux. Il lève la tête et elle le voit enfin ! Ses yeux s’agrandissent entre étonnement, surprise, interrogation… Elle n’en finit pas de le détailler de la tête aux pieds, éberluée. Est-ce bien lui ?Un sosie ?Dix ans ont passé, il a pris des cheveux poivre et sel mais il a conservé sa belle allure sportive. Quand elle lui tend le pot de confiture pour le payer, leurs yeux se croisent, ne se décrochent plus, le pot entre eux  reste en suspens, leurs mains sont secouées d’un tremblement imperceptible. L’émotion transparaît sur chacun des visages, il a reconnu immédiatement l’impertinente ! Il balbutie : « Vous, Colchique ici !!! C’est ainsi que je vous ai toujours appelée dans mon délire. » Elle articule un oui étouffé par l’émotion. Le temps paraît interminable, la surprise les étreint, avec une telle violence que leurs voix sont éteintes, un petit filet à peine audible… Dix années se sont écoulées depuis cette terrible journée, l’avalanche de pierres, le trou noir,  les pompiers, l’hôpital  et cette phrase scandée par tous, vous êtes vivants…Vous êtes vivants… et le noir à nouveau. Ils ne savaient rien ni de l’un, ni de l’autre, pas de nom, pas d’adresse, rien que la prairie de colchiques mauves ! Ils sont pourtant revenus sur ce lieu plusieurs fois avec  toujours ce trou noir, cette absence et là aujourd’hui dans ce petit marché provençal ensoleillé ils replongent dans ce drame qu’ils avaient tant souhaité oublier… Alors ils se racontent ce qu ‘ils sont devenus. Elle s’en est bien sortie avec une perte de mémoire due au traumatisme crânien. Lui, doit faire un effort pour dire la vérité, il a dû être amputé des deux pieds trop abîmés lors de l’avalanche. « Mais tout va bien maintenant. J’ai dû faire mon deuil de mes activités de swing-suit, je suis devenu plus raisonnable, je ne recherche plus l’adrénaline à tout prix, je ne suis plus l’homme chauve-souris. Par contre je me suis pris de passion pour ces dernières,  je les étudie. Ce monde de la nuit est une source nouvelle de plaisir. Moi j’ai toujours besoin de lumière, d’espace, de liberté, d’indépendance, rien au-dessus de moi, de l’ai , de l’air… J’ai trouvé un lieu magique entre terre et ciel, j’habite dans le Queyras. Je cultive des petits fruits rouges et je les transforme .» Des larmes coulent sur les joues de la jeune femme, elle est submergée par la tristesse d’apprendre les suites de l’accident. Elle est bouleversée. « Ne pleurez pas Colchique, j’ai des prothèses qui me permettent presque tout, nous sommes vivants n’est-ce pas le plus important ? Au fait comment vous appelez-vous ?        

Autrice : Claudine Albouy

Comme thème de stage, j’avais proposé « Le mouvement ». Et sans entrer dans le détail des propositions, le mouvement s’appliquait aussi bien aux situations qu’aux personnages, à leurs discours ou encore à la « technique » d’écriture. 

Stage d’écriture, Claudine Albouy (1)

© Marlen Sauvage 2022

Touché en plein vol

Le petit avion s’est posé, le pilote charge le matériel.
Dans la carlingue, lui est là, isolé dans sa bulle, absent aux bruits extérieurs, concentration absolue… Pas un mouvement, seule l’aérologie lui fait ouvrir les yeux. Un regard presque fixe sur la manche à air, son souffle est court, régulier comme en suspension. Le vent s’engouffre de face dans la manche rouge . L’homme se redresse, il a revêtu son costume à terre. Commence alors tout un cérémonial. Il enfile la cagoule avec application, lentement, il met ses gants, il les ajuste doigt après doigt. Il place le masque sur son visage, fixe le casque. Il est très concentré, ferme les yeux, allonge la nuque, étire chaque bras, il plie et déplie ses jambes emprisonnées dans son costume… Le moteur de l’avion vrombit déjà. Lui est prêt. Sa respiration s’accélère pendant quelques secondes, puis il la maîtrise, le souffle s’allonge, le torse se soulève à peine, il n’a pas prononcé un mot ! L’avion décolle, il prend de l’altitude.  L’homme se lève enfin. On dirait une chauve-souris, pas un centimètre de peau n’est visible, une carapace totale l’enveloppe,  presque une mue collée à sa peau. Son corps a disparu, avalé, transformé ! Sa stature est impressionnante… Dans le petit avion, la porte s’ouvre, l’homme chauve-souris plonge dans le vide. Il se stabilise, il vole, il vole !

L’air est glacial à plus de 4 000 m. La tête et le corps sont  secoués de vibrations, il hurle de plaisir, les jambes prisonnières suivent forcément le mouvement… Il prend  une vitesse folle, l’adrénaline est à son paroxysme, c’est ce qui le pousse à toujours se dépasser, à risquer sa vie pour cet instant ultime, grandiose… Il  vole toujours, passe le Mont-Blanc, le Plan de l’Aiguille, le glacier des Bossons, il s’éloigne très très vite et soudain une secousse très forte, il a déclenché le parachute, celui-ci se déploie. Le vol n‘a duré quelques minutes. Il se positionne avec les triangles du parachute, au-dessus de l’aire prévue pour l’atterrissage,  une grande prairie sans maison, sans obstacle. En bas la prairie n’est plus verte comme lors de la reconnaissance du lieu. Elle est rose, plutôt mauve, un océan agité de vagues aquarelles !

Elle, elle vient d’arriver et a littéralement jeté son vélo en contrebas, elle veut voir de plus près cette marée mauve étonnante en pleine montagne. De loin, elle ne distingue pas bien l’identité des fleurs ! Soudain, elle réalise qu’elle est au bord d’une mer de colchiques, ils  ont poussé à perte de vue ! Le vent agite la prairie de vagues régulières. Elle entend un bruit sourd comme de l’étoffe froissée et un gros merde ! Elle tourne la tête en direction du cri ! Elle n’en croit pas ses yeux, elle voit un homme chauve-souris empêtré  dans son casque et son parachute, il gesticule dans le vide comme un ver de terre accroché au seul arbre présent ! « Eh bien dites donc espèce de crétin, un peu plus vous me tombiez dessus !  Vous êtes balèze, il y a un seul arbre et vous vous le payez, quel maladroit vous faites… En plus vous allez écrabouiller  les fleurs ! »  « Au lieu d’être agressive vous feriez mieux de venir m’aider pour que je me sorte de là ! »  « Vous rigolez ! Vous arrivez du ciel au milieu de cette merveille sans crier garde, et il faudrait en plus que je me démonte le dos pour vous aider ! Vous ne manquez pas d’air ! En plus je m’arrêtais pour cueillir des colchiques pour m’en faire une couronne et la  mettre dans mes cheveux, alors débrouillez-vous tout seul, moi, je cueille ! » Elle l’observe de côté en train de s’extirper de cette position grotesque comme un bourdon pris dans une toile d’araignée. En plus, se dit-elle, ce parachute fluo va faire tache dans ce beau tableau aux couleurs romantiques : on dirait une œuvre impressionniste de Sisley… Il va tout gâcher ! Franchement il m’agace ce sportif ! Elle a son air buté. Comme s’il il devinait ses pensées, il l’interpelle :
« Ma p’tite Dame excusez moi, je suis la chauve-souris de l’Aiguille du Midi. Désolé je ne pouvais pas deviner votre présence sur mon aire d’atterrissage, ce n’est pas facile d’en changer au dernier moment, c’est même impossible ! » Du coup, elle se radoucit, un sourire effleure même son visage. « Expliquez- moi tout de même d’où vous arrivez  dans cette tenue. Ce n’est pas un parapente votre truc? » -Non ce n’est pas un parapente, c’est un parachute, je l’ai ouvert pour me freiner, m’arrêter car je viens de faire un vol en wingsuit avec une combinaison ailée et pour répondre à votre question, j’arrive du CIEL ! « En fait vous vous prenez pour un oiseau ! Vous êtes un de ces fous volants, un homme chauve-souris ? » – Vous avez raison au moins sur un point. On a la sensation de devenir un oiseau, adrénaline garantie c’est à couper le souffle, c’est vivre un moment extraordinaire, d’exception, on est seul au monde, plus rien ne compte… » Moi j’aurais très peur, je serais morte de trouille, j’ai horreur des sensations fortes, je préfère la terre ferme, mon vélo et les colchiques !  Et elle se met à fredonner la chanson « colchiques dans les prés, c’est la fin de l’été. « Elle le fixe à nouveau.

« D’où êtes-vous parti ? » – l’avion m’a lâché au dessus de l’Aiguille du Midi tout de même à plus de 3 800 mètres ! » «Ah oui quand même, vous n’êtes pas S.D.F. Je pense qu’il faut avoir les moyens pour faire ce genre de sport ! Si on peut appeler cela du sport ?  – Vous le pouvez car c’en est un ! La préparation du vol demande des heures et des  heures d’exercice et un contrôle de soi acquis par une sévère discipline quotidienne. La moindre erreur ou étourderie peut me coûter la vie, c’est une passion dévorante mais j’avoue qu’il faut être un peu fêlé !!! Je vous abandonne, mes collègues arrivent, il faut que je descende de l’arbre avant leur arrivée sinon ils vont se ficher de moi ! Pardonnez-moi mon intrusion dans vos colchiques et peut-être à une prochaine fois.

Dans le haut du champ une marmotte semble les surveiller mais de loin ! Elle se prélasse. A quelques mètres de là, des bosquets de hêtres, un peu plus haut des mélèzes, beaucoup plus haut, il faut lever la tête, la chaîne des Fiz barre l’horizon. Ce géant de calcaire ressemble à un personnage de la mythologie tantôt protecteur, tantôt inquiétant, quand énervé, certains jours, il crachote de la pierraille… La marmotte s’est arrêtée nette, elle regarde à droite, à gauche, en haut très attentive dressée soudain sur ses pattes arrière, que voit-elle ? Qu’entend-elle ? Elle prend la poudre d’escampette à toute allure… Le silence bourdonne aux oreilles, seuls les cris des choucas et des rapaces signalent la vie avec au loin, assourdi, le tintement de la cloche de la chapelle du Lac aux Houches. Nous sommes dans les derniers jours d’automne la nature est cuivrée. Bientôt, la neige fera son apparition. « Lui » a fini par descendre de l’arbre, « elle », elle cueille des colchiques.Tout semble serein jusqu’à une déflagration sourde. Elle augmente, gronde, crache, amplifie, s’épaissit : pas le temps de fuir, les Fiz en colère ont libéré des roches furieuses, explosion, pluie de calcaire sur la mer mauve, puis plus rien, plus aucun bruit, un calme total, un silence lourd et pesant, une épaisse fumée jaunâtre stagne sur le lieu… La voile se balance sur l’arbre encore debout, le vélo a lui aussi été épargné , eux, ils sont vivants, terrifiés, coincés, écorchés, poussiéreux, tremblants, douloureux mais vivants…

Autrice : Claudine Albouy

Comme thème de stage, j’avais proposé « Le mouvement ». Et sans entrer dans le détail des propositions, le mouvement s’appliquait aussi bien aux situations qu’aux personnages, à leurs discours ou encore à la « technique » d’écriture. 
MS

Stage d’écriture, Guy Castelly (4)

© Marlen Sauvage 2022

La vague

Le sable, peu à peu tiédi par le soleil naissant, le sable sous les pieds. Quelques pas en avant, la sensation – de façon surprenante, agréable – que l’on s’y enfonce avec douceur. Hésiter maintenant serait ridicule, oui, et inutile de surcroît ! Mais inutile pour qui et pour quoi ? Encore quelques pas, et le plaisir revient en mémoire des jeux de la plage, il y a semble t’il une éternité. Des jeux partagés si souvent avec son frère et sa petite sœur. 
Mais ne pas faiblir, devant lui, en lui, le chemin qu’il s’est tracé, encore quelques enjambées, après tout le plus dur est déjà fait ! Ne pas être l’homme qui renonce, être fort cette fois, cette fois pour toutes les autres fois ! Aller vers l’avant, vers cet avant si froid, mais libérateur…
Et brusquement, malgré lui, malgré tout, la vision de ses deux filles sur cette plage, l’écho si vivant de leurs rires, de leurs cris, de leur joie. Mais d’où surgit soudain cette joie là, qui l’atteint lui, ici et maintenant ?
Ironique et sentencieux, voilà que s’impose, ponctuel, le bourdonnement dans le ciel de l’Airbus matinal arrivant de Paris. Dans sa poche, le métal est froid, étranger, hostile.
Une faiblesse lourde tombe sur lui… puis un éclair, une volonté, dans l’instant.
Ensuite loin devant lui, dans l’écume blanche des vagues, la chute silencieuse et la disparition rapide de l’objet métallique.
Léger maintenant, en cet instant là  absolument léger, suivre des yeux le vol de l’avion vers les pistes, vers les hangars, refluer, reprendre son chemin.

Auteur : Guy Castelly

Comme thème de stage, j’avais proposé « Le mouvement ». Et sans entrer dans le détail des propositions, le mouvement s’appliquait aussi bien aux situations qu’aux personnages, à leurs discours ou encore à la « technique » d’écriture. 
MS

Stage d’écriture, Guy Castelly (3)

© Marlen Sauvage 2022

Arrêter les moteurs. Sauter hors de la carlingue, retrouver sous ses pieds le sol souple du tarmac.

Tentation forte d’en rester là, d’aller vers le prochain moteur, de rester dans la trace confortable de l’habitude, de ses compétences… Mais c’était trop tard, il s’en rendait compte maintenant, quelque chose en lui avait pris la décision, il lui fallait s’y soumettre. D’un pas qui se voulait léger, il traversa les pistes, salua au passage les collègues affairés et – lui sembla t’il – indifférents à sa présence. Comme d’habitude, il ne chercha pas de réponse à la question, tout cela était désormais derrière lui.

De fait, il s’éloignait, plus vite et plus aisément que prévu. 

Sorti de l’aéroport, il tourna le dos à la grande ville, pleine de vie, de bruits, d’émotion, pleine aussi des souvenirs de son enfance, de sa jeunesse, de cette vie qui avait été si pleinement la sienne, riche de bonheurs et de souffrance. Ne pas céder, avancer, hésiter maintenant serait absurde, et de plus, ridicule ! Crever l’abcès, en finir une fois pour toutes, radicalement, avec l’angoisse qui le ravageait depuis des mois. Pour lui, mais aussi pour ses filles, sa femme, ses parents, apporter enfin la solution, la libération. Avancer encore, alors ; marcher sans hâte et sans regrets. Le sable enfin sous les pieds, aspirer à pleins poumons l’air du large, la respiration iodée de l’étang-mer,  promener légèrement le regard sur cette nouvelle journée qu’annonçait le soleil. Un instant de paix, une courte immobilité…

La main dans la poche de sa veste, il sentait sous ses doigts le froid indifférent, étranger; implacable du métal. Comme en une salutation ironique, un avion passa bruyamment au-dessus de la plage, droit vers le tarmac, vers les pistes si bien connues. 

Le dernier geste serait facile. Le dernier mouvement.

Auteur : Guy Castelly

Comme thème de stage, j’avais proposé « Le mouvement ». Et sans entrer dans le détail des propositions, le mouvement s’appliquait aussi bien aux situations qu’aux personnages, à leurs discours ou encore à la « technique » d’écriture. 
MS

Stage d’écriture, Guy Castelly (2)

© Marlen Sauvage 2022

Encore une journée de travail. Encore une fois le trajet vers l’aéroport. La grande ville s’éveille à peine, on ne peut que deviner l’arrivée prochaine du soleil sur le port, seule la basilique là-haut étincelle déjà, la Bonne Mère surplombant de son sourire figé la mer, les collines, le réseau dense des rues, des boulevards, des places. Dans le bus, à sa place habituelle, Paul. Toujours le même, visage fatigué, mal rasé, veste jetée négligemment sur les épaules; mais l’œil pétillant, le regard acéré déjà…

« Adiéu, Léon, alara, coma  siam …? Ca va mieux pour toi, finalement ? » . Pas le temps de répondre bien sûr, avec Paul, tant mieux ! Pas l’envie non plus…

Le démarrage du bus, le défilement des rues, des silhouettes entr’aperçues, en route vers un futur insaisissable… Pas de place assise, debout, accroché au dossier du siège, vue brinquebalante sur les chevelures et les chapeaux des voyageurs assis, impression forte de solitude,  sentiment d’être différent, loin au-dessus du monde.

« Tu as déja le programme de ta journée ? » La phrase, rituelle, prend aujourd’hui un sens nouveau, se colore différemment. Paul ne se préoccupe d’ailleurs pas d’être compris, il n’attend pas vraiment de réponse, il parle, il en a besoin, son mégot vite éteint coincé entre ses lèvres, il tourne à peine le regard vers son collègue.

« Mais, sias las, benléu ? Tu as peut-être envie de t’asseoir, je te laisse la place ? » Non , pas envie de s’asseoir, se tourner plutôt vers l’arrière, voir s’éloigner les rues, les maisons, les quartiers reconnus, voir les passants rétrécir puis disparaître. 

Vu de l’extèrieur, un bus plein, traversant alternativement les ombres et les lumières de la ville dans cette journée qui va naître, un bus poursuivant sa route, des passagers assis, on devine à peine leurs présences…

Dans le fond du bus, un homme, debout, à côté et loin des autres, le regard fixé sur son passé, sur les souvenirs qui s’effacent.

Auteur : Guy Courbassier

Comme thème de stage, j’avais proposé « Le mouvement ». Et sans entrer dans le détail des propositions, le mouvement s’appliquait aussi bien aux situations qu’aux personnages, à leurs discours ou encore à la « technique » d’écriture. 
MS

Stage d’écriture, Guy Castelly (1)

© Marlen Sauvage 2022

Vous voulez savoir où j’ai grandi ? Ça vous intéresse vraiment ? Bon, allons-y alors. Imaginez d’abord une grande place surplombant la ville, sur la place un marché, un grand marché ! Des légumes, des fleurs, des fruits, du poisson. Ça crie, ça bouge, ça chante, ça s’engueule parfois. Ecoutez les partisanes, les femmes du marché ! Vous pourriez reconnaître les voix bien fermes de ma mère, de mes tantes, de mes grands-mères… Car chez nous, les femmes sont fortes ! Vous pouvez ensuite discrètement quitter la place, une petite rue transversale vous fait pénétrer dans le quartier populaire où je vis. Des trottoirs étroits, la place au milieu pour une charrette, des immeubles de trois étages de chaque côté. On habite là depuis trois générations, on y vit bien, mon grand père possède d’ailleurs deux des immeubles ! Ça va vous étonner, mais dans cette ville immense où béton et ciment semblent régner totalement, derrière les immeubles, comme cachés, on trouve de grands jardins. Vous, évidemment, vous ne pouvez pas les voir, mais moi je les ai vus, j’y ai joué, couru… la campagne en centre-ville, des légumes, des fruits, de l’herbe aussi, des arbres qui font le bonheur des hirondelles et parfois même des mouettes.

Si vous suivez cette rue, puis encore la rue qui suit, perpendiculaire, vous trouvez une autre grande place, bien plus paisible. Des jeux d’enfants, des promenades et des bancs pour les adultes, des kiosques à journaux ou encore en été, des vendeurs de boissons fraîches. Vous tomberiez facilement sur mes parents si vous les connaissiez. En fin d’après-midi, assis sur un banc, ils retrouvent leurs voisins, échangent les nouvelles, profitent de l’animation et de l’ombre des grands platanes. Je ne manque pas de les embrasser quand je les trouve là. Bon, ceci dit, si vous aimez les villes bien propres sur elles, bien paisibles, rangées… arrêtez-vous là, vous n’êtes pas au bon endroit ! Moi je veux continuer bien sûr, c’est ma ville. 

Vous voulez continuer ? On y va ! On descend maintenant cette grande rue populaire, il vaut mieux rester sur le trottoir, la chaussée peut être dangereuse… Ensuite ? Arrivés en bas, je vous laisse découvrir la cathédrale, à votre droite, moi je l’aime bien, elle fait partie de la famille, mes grands-parents s’y sont mariés. Ensuite ? Si vous le souhaitez, je vous laisse vous immerger dans cette foule bruyante, colorée, le plus souvent pacifique et joyeuse, amicale. Mais il faut que je vous laisse, j’ai à faire. Descendez tout droit, sans vous presser. Vous arriverez de toute façon à la mer. Vous trouverez maintenant votre chemin tout seul, et vous n’avez pas besoin de moi pour admirer…

Auteur : Guy Castelly

Comme thème de stage, j’avais proposé « Le mouvement ». Et sans entrer dans le détail des propositions, le mouvement s’appliquait aussi bien aux situations qu’aux personnages, à leurs discours ou encore à la « technique » d’écriture. 
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Stage d’écriture, Chrystel Courbassier (3)

© Marlen Sauvage 2022

Vingt ans plus tard

Le plan d’ensemble montre un jardin public de petite taille traversé par une allée de terre. Le temps est clair, plutôt ensoleillé, un soleil pâle de fin d’automne et de fin de matinée. Les arbres, érables, frênes et peupliers commencent à sérieusement se dégarnir. Quatre bancs sont répartis le long de l’allée qui permet d’aller d’une entrée à l’autre du square, quatre bancs sur lesquels personne n’est encore assis. Deux promeneurs, chaudement couverts, vont et viennent de droite à gauche ou bien de gauche à droite, l’un tenant un chien en laisse, l’autre une poussette. Un homme portant un blouson noir élimé, mains dans les poches, arrive par la droite. Il marche lentement, ses pas sont hésitants, regarde autour de lui puis s’assoit sur le bord de l’un des bancs, le premier près de l’entrée de droite, face à la caméra. 

Quelques minutes plus tard, arrive une femme, par l’entrée de gauche. Elle porte une doudoune beige, une écharpe brune. Regarde autour d’elle, repère l’homme assis sur le banc, s’avance avec précaution, maque un temps d’arrêt, regarde l’homme droit dans les yeux, le reconnait, et s’assoit à son tour à l’autre bout du même banc. /

Sur le plan rapproché, l’homme et la femme se tiennent chacun assis à bonne distance l’un de l’autre. Ils ne se regardent pas, ne se parlent pas, les yeux tournés vers le sol. L’homme garde les mains dans ses poches. La femme les a posées sur ses genoux croisés. Sous sa doudoune, elle porte un jean bleu foncé et des petites baskets dorés. Silence pesant. /

La caméra zoome sur le visage de l’homme, une cinquantaine d’années, les cheveux grisonnants mal peignés, la barbe grise également, les joues tombantes, les yeux cernés. Il prend la parole d’une voix faible :

  • Tu voulais me voir ? 

La femme, une trentaine d’années, les cheveux blonds noués en chignon au-dessus de sa tête, les yeux légèrement maquillés, le visage grave, laisse passer quelques secondes avant de répondre :

  • Oui je voulais te voir, voir comment tu avais changé après toutes ces années. /

Gros plan sur les deux visages qui se font face à présent, impassibles. L’homme baisse le regard à nouveau et répond :

  • Dix-huit ans de prison, ça change un homme, ça change tout. Silence. Toi aussi, tu as bien changé.

La femme continue de l’observer, de le détailler avec précision, et rajoute :

  • J’avais douze ans. Bien sûr que j’ai changé ! Grandir sans mère, ça change une femme, ça change tout… /

La caméra effectue un travelling du visage de l’un à celui de l’autre. L’homme, les yeux toujours rivés au sol, tente de reprendre la parole dans un balbutiement :

  • Je… je suis désolé, je …

… mais la jeune femme lève brusquement sa main droite vers lui, dans un mouvement autoritaire, pour l’arrêter :

  • Chut ! Tais-toi ! Je n’ai pas besoin de tes excuses. Je n’en veux pas. Tout a été dit lors du procès. Je voulais juste te voir. C’est fait, je t’ai vu. /

Zoom arrière.

La femme déplie ses jambes, se lève, rajuste son écharpe brune sous le regard interdit de l’homme et s’éloigne vers la sortie de gauche, les yeux tournés droit devant elle. L’homme reste là, sur le banc, la tête rentrée dans son blouson miteux.

Autrice : Chrystel Courbassier

  • Comme thème de stage, j’avais proposé « Le mouvement ». Et sans entrer dans le détail des propositions, le mouvement s’appliquait aussi bien aux situations qu’aux personnages, à leurs discours ou encore à la « technique » d’écriture.
    MS

Stage d’écriture, Chrystel Courbassier (2)

© Marlen Sauvage 2022

Il inspire et compte en même temps UNE expire inspire DEUX… TROIS… QUATRE… CINQ… son corps blanc contracté monte et descend au rythme de son souffle. Monte et descend, monte et descend, souffle, monte et descend, sue à grosses gouttes, porte juste un caleçon noir brillant, monte et descend … VINGT-CINQ… la transpiration dégouline le long de sa nuque, de ses tempes, au creux du dos, monte et descend, il halète … TRENTE-HUIT. Il veut faire mieux qu’hier et qu’avant-hier, arriver jusqu’à CENT aujourd’hui. Et puis un jour jusqu’à DEUX-CENTS. Il n’y a que ça à faire. Ils font tous ça ici. Lui, il a commencé y a pas longtemps. Combien de temps déjà ? Il ne veut pas savoir, ne pas se rappeler, juste compter et souffler, compter et souffler, sentir ses muscles durcir sous l’effet du mouvement, son corps tendu comme un bout de bois, un tronc, juste un tronc. Ne pas penser, ne pas penser à ce qu’il a fait, à pourquoi il est là ni pour combien de temps. Un monstre, ça ne pense pas. Il continue de compter. CINQUANTE-SIX, CINQUANTE-SEPT… Il voit les grosses gouttes de sueur tomber sur le béton, s’étaler jusqu’à former deux petites flaques de part et d’autre de son visage. Fermer les yeux peut-être, ça sera plus facile. Non, ce n’est pas plus facile, il revoit alors la netteté des images défiler sous ses paupières, les couleurs de la chair et du sang qui goutte le long du corps de la femme, l’arme qu’il tient dans sa main et qui n’en finit pas de s’agiter, d’aller et venir, de monter et descendre… Non, vite rouvrir les yeux, regarder le béton gris sous la masse de son corps, monter descendre, encore, ça fait mal, allez encore, continuer, y a que ça à faire de toute façon, sentir ce corps qui fait mal, qui tire, qui chauffe, qui n’est plus que douleur, ce corps raide comme la mort. QUATRE-VINGT-NEUF… accélère, souffle comme un bœuf, accélère encore… monte descend, monte descend, QUATRE-VINGT-QUINZE… QUATRE-VINGT-SEIZE… monte descend, monte descend, son corps lourd comme un rocher, comme une montagne, impossible à gravir, insurmontable, innatteignable. Tétanisé, il s’écrase au sol, sur le béton gris et froid de sa cellule, immobile, le souffle coupé. Il s’est arrêté à QUATRE-VINGT-DIX-SEPT… n’a pas réussi, a échoué, encore une fois, encore une autre fois, une énième fois. Il n’est de toute façon qu’un échoueur, un loser, un moins que rien, une vermine… infoutu d’arriver jusqu’à CENT. Infoutu de rien. Rester là le plus longtemps possible, sans bouger, jusqu’à demain peut-être. Souffrir, s’endormir et ne surtout plus penser, réessayer demain.

Autrice : Chrystel Courbassier

  • Comme thème de stage, j’avais proposé « Le mouvement ». Et sans entrer dans le détail des propositions, le mouvement s’appliquait aussi bien aux situations qu’aux personnages, à leurs discours ou encore à la « technique » d’écriture.
    MS

Stage d’écriture, Chrystel Courbassier

© Marlen Sauvage 2022

Propos de voisinage

  • Ça faisait quelques mois qu’ils se fréquentaient ces deux-là. Il restait dormir de plus en plus souvent. De la fenêtre de ma cuisine, je le voyais quitter l’immeuble au petit matin de bonne heure. Je pense qu’il avait un boulot.
  • Oui, c’est incroyable ce qui s’est passé. Un type plutôt propre sur lui, vêtu de façon convenable, poli, pas très costaud mais pas moche non plus, un type normal quoi, il avait une voiture, un emploi, il ne faisait pas de bruit. Plutôt discret d’ailleurs. Un peu trop peut-être…
  • Taciturne, je dirais. Pas très sociable ni très bavard. Bonjour, bonsoir, pas plus. On savait rien de lui en fin de compte.
  • Cependant il faut reconnaître qu’il s’occupait bien de la petite. Il allait la chercher à la sortie du collège quand sa mère finissait tard. Il préparait le repas, lui faisait faire les devoirs, d’après ce qui s’est dit au procès. Vraisemblablement, elle l’aimait bien. Heureusement qu’elle n’était pas là quand c’est arrivé !
  • Il faut dire que son père à elle, il était pas très présent. Depuis que les parents étaient séparés, on le voyait plus. Il devait la prendre un jour ou deux par mois, pas plus.
  • Si c’est pas malheureux tous ces couples qui se séparent ! Enfin, après, il a bien été obligé de prendre ses responsabilités, le père. 
  • Oui mais tu vois, on croit connaître les gens et on ne les connaît pas du tout en fait. On fait connaissance sur internet, on se donne rendez-vous dans un café, on s’invite à la maison et puis voilà ce qui se passe… Il faut se méfier de tout.
  • Tu crois qu’ils se sont rencontrés sur internet ? Non, un coup de folie moi je dis. 
  • Ou une dispute qui tourne mal.
  • Je crois pas que tout ait été dit au procès. D’après ce qu’on m’a raconté, il était pas très loquace le bonhomme quand on l’interrogeait.
  • Il avait honte à mon avis. 
  • Ou bien il avait bu ou il se droguait, on ne sait pas. C’est pas écrit sur la tête des gens ce qu’ils font quand ils sont chez eux bien au chaud en famille.
  • Peut-être qu’elle le trompait tout simplement. Il a découvert le pot-aux-roses et il a pété les plombs. Moi, si ma femme me trompait, je sais pas comment je réagirais.
  • Quand même, quinze coups de couteau, c’est pas rien ! Il fallait qu’il soit sacrément en colère.
  • Il paraît qu’il n’avait pas de casier judiciaire, rien ! Pourtant, tu vas pas me dire, on se retrouve pas à commettre un crime pareil comme ça du jour au lendemain sans préalable. On n’en vient pas là par hasard.
  • C’est dans les gènes ce truc-là.
  • Oui, le gène du tueur, j’ai déjà entendu ça quelque part à la télé.
  • Bon, ce qui compte, c’est qu’il est enfermé pour un bon bout de temps maintenant.
  • Oui mais quel gâchis quand même ! On est en sécurité nulle part.

    Autrice : Chrystel Courbassier

    Comme thème de stage, j’avais proposé « Le mouvement ». Et sans entrer dans le détail des propositions, le mouvement s’appliquait aussi bien aux situations qu’aux personnages, à leurs discours ou encore à la « technique » d’écriture. Merci à Chrystel pour ce premier texte.
    MS

Un mot, une définition, par Guy Castelly

Photo © Marlen Sauvage 2021 – Saint-Laurent-de-Trèves (Cans-et-Cévennes)

Texte issu du stage d’écriture à La Ronceraie, en Lozère, mai 2022.

« Le rêve ne nous quitte pas au réveil. Il est la couleur qui va imprégner notre journée. Il nous surprend, alors que nous l’attendons. Nous le faison naitre, et il nous enfante. C’est quand nouss l’oublions qu’il est le plus fort en nous. Et pour cette raison, il nous enchante et nous effraie. »

Chroniques martiennes, Ray Bradbury.

Partager un rêve. Se réveiller, revenir dans ce qu’on nomme réalité, vouloir retrouver – ou devoir retrouver – le contrôle de soi, puis retourner par fragments au déroulement des images, des couleurs, des bruits si réels et si forts. Et dans la foulée avoir envie de raconter, de partager, pour se soulager du poids des émotions, pour se rassurer, ou bien pour ne pas oublier, pour que cette autre réalité reste vivante, frémissante, touchante. Prendre le risque alors  de la défaillance de la mémoire, de la trahison. Ces scènes si réelles, si persistantes, peuvent en fait alors, rétives, s’évader , disparaître par bribes. Ou même s’échapper totalement, définitivement. Il reste, avec l’être aimé, le partage souvent réconfortant du ressenti. Il reste au plus profond de nous, loin parfois de notre conscience, les graines de vécu, d’émotions passées ou à venir que le rêve a semées.

Auteur : Guy Castelly