Texte issu du stage d’écriture à La Ronceraie, en Lozère, mai 2022. Autrice : Sabine Lavabre Chardenon
Tromperie, manipulation, tant de temps passé à calculer combiner cacher, tant de temps perdu pour en finir là !
Vous le voyez dix contre un, le combat était inégal. Trente ans durant ils ont cherché, tissé leur trame, sans jamais trouver. Trente ans à zigzaguer, vêtir différents costumes, Cinquante ans à prêcher le faux pour faire le vrai. Comment imaginer un instant qu’un petit Français ferait tout capoter ? Comment imaginer qu’ils feraient feu de tous bois, qu’ils exploiteraient sa vie son physique ses amis. Comment être aussi tordu, imaginer une telle souricière ?
Faire des mièvreries devant, aller jusqu’à faire croire ce qui n’est pas, se jeter dans les bras du loup au risque d’y rester ? Se laisser tripoter caresser, presque jusqu’à la phase ultime, s’être montré tactile, sensible sans aucune retenue dans le seul but final que j’agisse, je parle. Me faire monter dans les tours de telle façons que j’explose. Il fallait qu’ils soient bien démunis pour en arriver là. Trahir une amie, trahir des règles et des principes . La fin explique les moyens diront-ils , je le crie je vous le dis trahison, manipulation.
Texte issu du stage d’écriture à La Ronceraie, en Lozère, mai 2022. Sur une proposition élaborée à partir d’un texte de Tristan Mat, Le journal de la phrase. Marlen Sauvage
Autrice : Sabine Lavabre Chardenon
Hier je n’ai pas voulu, je n’y ai pas cru
Hier j’ai refusé de voir d’entendre, d’écouter
Hier il s’est fâché on s’est disputé
Aujourd’hui à l’ombre du cyprès j’ai rêvé j’ai pleuré .
Aujourd’hui j’ai cru que ça arriverait
Aujourd’hui rien ne s’est passé
Aujourd’hui il a ricané
Aujourd’hui il est parti
Aujourd’hui je suis seule pensive.
Demain tout recommencera
Demain je saurai je lui écrirai
Demain je finirai cette lettre
Demain il la déchirera ou la lira
Demain j’y croirai
Hier j’ai été convoquée
Hier j’ai écouté noté caché ma honte
Hier j’étais au désespoir
Hier j’ai cru que tout était fini
Hier j’ai crié pleuré tempêté
Aujourd’hui j’ai compris
Aujourd’hui je sais rien n’est définitif
Aujourd’hui je sais tout se mérite
Aujourd’hui je change, je continue
Hier tout était fleuri, vert
Hier la nature naissait vivait
Hier dans les arbres, les oiseaux nichaient
Aujourd’hui les feuilles jaunes marron ou rouge tombent
Textes issus du stage d’écriture à La Ronceraie, en Lozère, mai 2022. Autrice : Sabine Lavabre Chardenon
Narcissique, il déambule en se dandinant dans le hall de l’aéroport, guettant les coups d’œil de ces dames, envieux de ces messieurs, il se trouve particulièrement bien fait.
Les derniers invités partis, la porte verrouillée, les doubles rideaux tirés, enfin pense t’elle un week-end cocooning peut commencer, on sonne à la porte tout est foutu.
B. sort son porte-feuille, montre des photos de famille, sa femme y est trapue, carrée, sans finesse, cheveux courts poivre et sel, regard dur autoritaire. Bon sang ! c’est elle qui porte la culotte, parfait, ce sera plus facile, pense M.
Toujours attirée par les mêmes hommes grands, blonds musclés et bien bâtis. Pourtant c’est un petit brun tout rond qu’elle a épousé.
Quatre autour de la table, cartes en mains, regards scrutateurs, silence d’outre-tombe que seul le bruit des jetons vient perturber, elle pousse son tas au milieu du tapis, abattant son jeu : un full au roi dit-elle d’une voix qui se veut rassurée mais que l’on sent tremblante, ça passe et je suis sauvée, ça casse et je suis ruinée ; il ne me le pardonnera jamais.
Bruits des voisins à travers les parois trop fines, escaliers crasseux, fauteuil éventré. Sur tous les murs des cartes, sur les bureaux des cartes, toutes bariolées de traits de toutes les couleurs. Des chemins faits pour fuir, qu’il ne suivra sans doute jamais, sauf dans sa tête.
Noir, bleu, jaune, ou blanc, il lui cachait une partie du visage, c’est bien dommage qu’elle l’ait enlevé, pense t’il en voyant pour la première fois sa grande bouche aux lèvres pincées où un nez trop long crochu plonge presque.
Regarde ce chemin devant toi il serpente monte, t’amène aux sommets, te guide
Regarde ce champ qu’il traverse, ces arbres qui le bordent se dressent fiers droits rigides, à l’ombre desquels tu reposes. Pleure, ris, pense, rêve, sommeille.
Retourne-toi sur celui de ta vie passée, espère sur celui du futur.
Imagine un idéal quel sera-t’il pour toi ? Tout rose, gris ? Peu importe il sera le tien
Regarde le blanc des petits graviers, les pierres roulent sous tes semelles mais doucement un pas après l’autre, un pied devant l’autre tu avances.
Prends le temps, arrête-toi, regarde, écoute.
Écoute la nature te parle, le bruissement du vent dans les feuilles te berce, le chant des oiseaux t’égaie, l’appel du coucou au loin te guide, où vas-tu ? nul ne le sait.
Avance monte descends continue
Regrette, espère, crois-y, chemine.
Autrice : Sabine Lavabre Chardenon
Texte issu du stage d’écriture à La Ronceraie, en Lozère, mai 2022. Proposition élaborée à partir d’une suggestion de François Bon ! Marlen Sauvage
Encore un jour où le téléphone n’a pas sonné, voilà trois jours qu’elle n’a vu personne, qu’elle n’a parlé à personne. Il n’a pas appelé, il n’appellera pas, il n’a plus besoin d’elle, elle le sait, encore un qui se souvient de son existence quand il en a besoin, quand il veut un service. Ça c’est l’histoire de sa vie, elle le sait c’est ainsi. Ah ! il n’y a pas que lui, la voisine il y a huit jours est venue la voir, soi disant pour prendre des nouvelles tiens rien du tout elle voulait parler de son problème de santé elle sait qu’elle a des connaissances elle voulait son avis éventuellement un nom… Depuis plus rien, plus de nouvelle, qu’a-t-elle fait ? Lui est entré dans sa vie par hasard pour elle mais peut-être et certainement pas pour lui, il était perdu, elle pouvait l’aider, elle l’a accompagné, ça a duré des mois, elle n’en pouvait plus, elle ne pouvait pas le dire, on l’avait élevé comme ça « tu dois aider, écouter, comprendre les autres, disait sa mère, on ne peut ignorer ceux qui sont dans la détresse, bien sûr elle ne peut agir au niveau de la société mais à son petit niveau oui » . Elle peut ouvrir sa porte, sa table, des contreparties elle n’en veut pas, mais un sourire, même pas de la reconnaissance mais sentir qu’il est réconforté. Sentir qu’il ne profite pas mais est apaisé, cela suffit. Mais non rien, pas un mot juste « il a boudé » parce qu’elle a dit non alors là c’était trop, elle a réagi, il a claqué la porte. Depuis silence. Un de plus pense-t-elle, encore un qui n’a besoin de rien pour le moment et qui reviendra quand ça recommencera. Départs, silences, oublis, abandon, utilisation seraient des mots qui pourraient décrire sa vie. Parfois elle l’écrit, parfois elle le crie (cela ne gêne personne, elle est seule) mais pourquoi cela se répète-t-il ? que fait-elle ? que dit-elle qui incite les autres à venir la sucer jusqu’à sa substantifique moelle puis à claquer la porte, à l’oublier. Depuis son enfance c’est cela, si elle maintient des relations, c’est qu’elle fait le premier pas, elle ne peut oublier ceux qu’elle croyait ses amis. Ils ne sont pas inquiets ils savent qu’elle est là, elle peut rager, râler quand le silence se fait lourd plusieurs jours durant, décider que plus jamais elle ne se laissera prendre au piège, il suffit d’un petit coup de téléphone, d’un texto et c’est reparti, elle se remettra en quatre pour eux. Pourtant elle s’était bien juré d’écouter simplement, ne plus agir, ne plus s’impliquer, ne pas s’en mêler. C’est plus fort qu’elle, elle est comme ça elle a été élevée comme ça. « tu dois aider, écouter, comprendre, toi tu es verni » disait sa mère oui tiens rien du tout elle, elle se secoue, elle, elle ne proscratine pas, elle réagit certes parfois un peu trop vite. Et après tout ce silence, elle s’en moque, elle s’occupe, à elle la musique à tue-tête et pas du classique s’il vous plaît, non de la pop que ça fasse du bruit, là au moins elle se trémousse, s’éclate et personne ne la juge, et si on profite d’elle après tout elle s’en moque elle, elle vit.
Autrice : Sabine Lavabre Chardenon
Texte issu du stage d’écriture à La Ronceraie, en Lozère, mai 2022.
C’est accepter de vivre malgré tout, tenir contre vents et marées, ne plus écouter ne plus entendre, avancer envers et contre tout réagir.
Encore un livre de terminé, comme toujours je suis nostalgique, pourtant celui là aussi ouvre la porte à la vie, à la renaissance.
Quelle aurait été mon attitude ? Elle s’est courbée mais n’a pas rompu, aurais-je tenu ?
On peut survivre à une guerre, une pandémie, on lutte, s’arme s’abrite, on s’organise, s’adapte.
Là que faire ? Contre l’entreprise, en voyant la tour de la défense elle aurait dû savoir comprendre ce n’était pas pour elle. Mais la maison, le travail stable, le bon salaire à la fin du mois tout était attirant. Comment réagir ?
Le monde moderne est dans cette spirale, aucune sonnette d’alarme ne le réveille. Le profit, l’aisance, le pouvoir, les égos surdimensionnés nous guident. Au premier confinement une petite vague d’espoir surgissait tout le monde réagissait, ramener les usines en France, aider les soignants…. Deux ans après c’était fini les masques arrivaient de Chine, les horaires impossibles reprenaient, les politiques faisaient toujours des promesses qu’ils ne tiendraient pas, ils s’en moquaient on les avait vus, on avait placardé des affiches avec leur photo. La folie de certains a réintroduit la guerre en Europe….
Contre ça à notre niveau tout n’est qu’impuissance.
Parce que je ne supporte plus les horaires impossibles,
Parce que j’ai besoin de simplicité, de nature,
Parce que je veux enfin vivre et non subir
C’est décidé je m’en vais, je plaque tout, fini les multinationales, fini la domination du Boss, fini la spirale de l’argent du profit, des horaires, plus besoin de bouée je sors la tête de l’eau. Ils me font du chantage je les prends au mot, « si vous ne restez pas ce soir à la réunion je vous enlève le projet » disaient ils, « je vous colle l’idiot du troisième comme supérieur votre place il y a longtemps qu’il la lorgne ». bla bla bla et bla bla bla…
Pas besoin de me menacer, tiens tu la veux ma démission la voilà moi je vais vivre, j’ai deux mains, des compétences, des enfants à aimer, à voir grandir, je me « casse »
Oui je vais monter ma boîte, Oui ça va être difficile, Oui on aura moins mais moi je vais retrouver ma famille !
Allez ! bye bye la compagnie, à moi la vie…
Autrice : Sabine Lavabre Chardenon
Texte issu du stage d’écriture à La Ronceraie, en Lozère, mai 2022.
Manipulation, comment peut-on être aveugle à ce point ? Comment cela ne saute pas aux yeux immédiatement ?L’enfance, période d’apprentissage, de vie, d’espoir, de formation, mais aussi de difficultés, qu’il est dur d’arriver à se bâtir ! Qu’il est dur de savoir écouter, comprendre, ne pas frustrer un enfant ! Ne pas l’abaisser, quelle que soit la personne il faut à tout moment savoir accompagner. Petit grand brun blond maigre, matheux littéraire intellectuel cela a peu d’importance pourvu que l’on soit soi, qu’on s’affirme.
Tu es arrivé dans une grande fratrie, pas le premier donc on était occupé avec les autres, pas particulièrement doué donc pas cité en exemple. La famille ni riche ni pauvre mais d’après-guerre qui savait compter, réutiliser, économiser. Des pantalons neufs tu n’en as pas eu, tu pouvais toujours mieux faire, d’autant plus que tu avais des exemples avec les grands qui, eux, réussissaient, auraient un bel avenir. Avec toi, rien n’est simple, personne ne t’écoute alors pour une fois tu y as cru, tu as espéré, et quand il t’a un peu flatté, tu as suivi, tu as tout accepté, c’était « parole d’évangile », le bien, le mal, l’amour, la générosité, les règles de vie n’existaient plus. Pour une fois tu crois avoir gagné ou est-ce lui ? Tu fais partie de la bande, mais y es-tu bien?
Tu cries haut et fort que tu le veux, en fait tu suis… Enfin pour une fois tu es quelqu’un, ou tu le crois, ne vois-tu pas qu’à aucun moment il ne tient compte de toi mais de lui, tu te plies, tu te soumets, tu peux proposer, c’est son avis qui compte. Voilà maintenant tu es dans la spirale aveugle, bavant, suivant.
Autrice : Sabine Chardenon
Texte issu du stage d’écriture à La Ronceraie, en Lozère, mai 2022.
Le week-end dernier, nous écrivions sur le thème des Visages avec un groupe de stagiaires, à la Roncière (Cans-et-Cévennes). J’ai décliné ce thème en quelques propositions dont les intitulés donnent une idée : « Et le temps a passé », « Galerie », « Mon essentiel dans ton visage », « Ton visage est un paysage (ou tout autre chose) », « Je te reconnaîtrais parmi cent mille visages », et « Ce que ton visage me dit de toi »… Tous les participants n’ont pas toujours écrit à partir de chaque proposition, aussi j’en redonne l’intitulé avant chaque texte, ainsi que l’auteur principalement convoqué pour son écriture. Enfin, je restitue les textes tels qu’ils m’ont été livrés, dans leur ponctuation et leur présentation.
Henri Cartier-Bresson (1908-2004)
Et le temps a passé (avec Marguerite Duras, L’Amant)
Ma grand-mère maternelle à eu 10 enfants. Ma cousine journaliste à un jour décidé d’écrire un livre sur la vie de cette femme qui pour nous ne ressemblait à personne. Feuilleter ce livre m’a permis de voir des photos de ma grand-mère jeune. Son visage resplendissait, on ne peut pas dire qu’il était beau, mais il était lumineux, gai, il semblait que rien ne pouvait l’attrister. Plutôt ovale la peau paraissait nette et lisse, aucune cicatrice ne venait altérer cette sérénité. À 98 ans son expression était identique et malgré les tracas les souffrances ses yeux étaient toujours pétillants, espiègles, comme s’ils avaient effacé de sa mémoire les mauvais souvenirs. Les paupières n’étaient plus étirées donnant des yeux que l’on aurait décrit comme des yeux de biche, elles étaient gonflées tombantes leurs bords étaient discrètement rouges et leurs formes s’étaient bizarrement rétrécies et arrondies. Ses yeux n’étaient plus lubrifiés une certaine sécheresse donnant un aspect plus terne à ses cornées et ses conjonctives hyperhémiées montraient leur irritation, dans ces yeux vieillis persistaient des pupilles hyper-réactives prêtent à tous moments à réagir, à se dilater ou au contraire à se rétrécir témoignant de l’interprétation que ma grand mère avait au sujet de ce qu’on lui disait ou qu’elle voyait.
Jeune sa peau était lisse, ses joues à peine perceptibles n’étant ni pommées ni creusées, sa peau claire ne laissait apparaître aucune tâche, quel changement par rapport à cette vieille dame au port encore altier dont les bajoues tombantes molles étaient parsemées de tâches brunâtres plus ou moins épaisses aux contours irréguliers certaines surplombées d’une croûte qu’on nommait comme étant de la crasse sénile, quelle vilaine expression ! pour des lésions qui nous ne nous gênaient pas.
Son menton naguère discrètement fuyant s’était épaissi d’une peau un peu poilue granuleuse, on pouvait y apercevoir de-ci de-là quelques petits points noirs, qui cependant ne rendaient pas ce visage disgracieux. Deux éléments m’avaient frappée chez mon aïeule son nez et ses cheveux. Alors qu’à vingt ans on pouvait noter un nez certes bien présent mais non imposant, assez droit avec le temps il semblait être devenu proéminent, irrégulier déformé par une bosse centrale lui donnant un aspect un peu crochu. Tout ce visage était surplombé d’une chevelure blanche gracieusement coiffée en un chignon. La mèche frontale relevée discrètement bombante était striée d’une touffe sombre gris foncé, aspect qui était bien présent à vingt ans et donnait toujours à ce visage aimé et aimant une grande classe et dignité.
Galerie (avec Walt Whitman, Feuilles d’Herbes)
La table est mise le repas est prêt les pèlerins entrent seuls ou en groupe et s’installent. Pensive j’observe ces visages burinés par le soleil éreintés d’un long chemin parcouru.
Qui tête haute, menton relevé, regard vif et conquérant fier tel un lion dominant la troupe; qui petite chétive à la peau brûlée par le soleil le foulard sur la tête cachant ses cheveux qui n’ont pas encore repoussé, visage lumineux fendu par un large sourire voix guillerette et chantante heureuse de sa petite étape du jour il en émane une certaine dignité ; qui absent rêveur le regard lointain un peu terne une discrète larme au coin qu’il cache en se mouchant bruyamment, il aurait tant voulu qu’elle soit là ! qui en groupe bruyant tel un essaim entre brutalement jacassant visages indéfinissables indifférentiables tellement identiques modelés conformes cheveux courts c’est plus pratique, trace de lunettes de soleil témoignant qu’aucun d’entre eux ne les a oubliées, petit bandana aux coquilles autour du cou il leur a été offert par le club avant le départ au moins eux on le sait ils vont à Saint-Jacques.
Mon essentiel dans ton visage (avec Bernard-Marie Koltès, Combat de nègre et de chiens)
Rouge vif, strié de vermisseaux veineux et artériels, réactivée au froid sa couperose occupe son visage tel un papillon dont les ailes se déploient du nez sur les 2 joues.
Pincé, mince, crochu à son extrémité, ce nez déformé par une bosse centrale faisait peur aux enfants qui évoquaient une sorcière.
Longue, savamment taillée, peignée, nette, englobant sa bouche, avalant ses lèvres, cachant un menton un peu trop proéminent ; cette barbe finement crépue parfois parlante, douce au toucher adoucissait son visage.
Ce que ton visage me dit de toi (avec Michel Butor, La Modification et à partir de la photo de Henri Cartier-Bresson, au début de cette publication.)
Je vous vois, je vous regarde intriguée un peu perdue. Votre visage allongé maigre qui serait presque pointu, cela étant accentué par votre nez très long dont l’arête se dédouble en narines assez développées sur une bouche à peine étirée encadrée de part et d’autre par un pli tout juste marqué, pourrait être inexpressif, peut-être discrètement narquois, si vos yeux globuleux profondément tristes ne vous racontaient pas. On vous voit jeune belle grande femme élancée, racée arrivant dans la famille de votre mari . Oui vous avez été mariée très jeune vous ne l’avez pas choisi mais vous étiez promise et chez vous on ne discute pas. Fini les cheveux au vent, fini les robes multicolores, fini l’espièglerie les jeux, dans le lit de cet époux vous vous êtes soumise. Sous le joug de sa mère vous avez obéi, la maîtresse femme dirigeait la maison, dirigeait ses brus eh ! oui vous n’étiez pas la seule. Au moins entre vous vous pouviez rire, papoter en nettoyant, en frottant, en cuisinant , en vous occupant des enfants, oui vous en avez eu des enfants, moments de souffrance mais aussi multiples moments de bonheur. Très jeune cela a commencé au moins durant ces grossesses il ne vous touchait pas s’occupant d’en engrosser ou d’en épouser une autre….
Je ne peux vous donner d’âge, votre lassitude, votre aspect désabusé qui n’attend rien, qui n’espère rien si ce n’est que surtout il vous oublie, l’absence de fantaisie sous ce voile sombre qui couvre totalement votre chevelure dont naguère vous étiez si fière me perd. Le regard de vos belles-filles ou de vos remplaçantes plus jeunes m’intrigue : êtes-vous devenue la « mère » de la maison, la vieille est-elle morte ? Vous souvenez-vous des jours passés sans doute pas si lointain où vous subissiez ? vos belles-filles vous craignent-elles? vont-elles vieillir comme vous en permanence grosse ou allaitant, soumises, s’éteindront-elles peu à peu ou bien les aiderez-vous malgré vos traditions, vos croyances à se défendre à retrouver des couleurs des cheveux, des yeux rieurs une bouche souriante mais assez ferme pour refuser la domination ?
Votre visage ne me le dit pas.
Ton visage est un paysage… ou tout autre chose(avec Hubert Haddad)
Dans cette nuit noire, pas d’étoile, pas de lune rien seul ce feu nous attire, nous réchauffe et nous emporte.
Dans la danse des flammes rouges, vives élancées, m’apparaît un visage maigre plutôt que mince déformé par les ondulations du feu. Sa bouche ovale étirée douloureuse crépite venant résonner dans ma tête: « aide-moi, sors-moi de là » ses yeux écarquillés orangés, sanguins, semblent terrifiés apeurés effrayés me répètent inlassablement « aide-moi sors-moi de là ».
Qui est-ce ? que faire ? Je ne peux l’attraper, je ne peux la saisir !
Ses longs cheveux pendant de part et d’autre de son visage sont léchés, happés par le brasier, une fumée grisâtre épaisse s’échappe et de loin en loin l’écho répète « aide-moi sors-moi de là »
Angoissée larmoyante cette femme semble prise, seul son visage apparaît part en fumée et réapparaît répétant inlassablement « aide-moi sors-moi de là »
Je le saisis entre les deux mains, je veux la rassurer sans savoir comment faire, mes mains se joignent se touchent rien tout à disparu, doucement la flamme diminue passant du rouge au jaune, je suis inquiète et soulagée incapable de bouger, mais déjà quelqu’un a jeté du bois sec de longues flammes vives surgissent et avec le visage rouge intense rageur râlant, vigoureux mais impuissant, les sourcils froncés me menacent, les yeux noirs me reprochent mon impuissance cette fois les flammes crient « aide-moi sors-moi de là » sa bouche se déforme colérique, grimaçante, reprochante, incapable de réagir devant ce visage douloureux je ne souhaite qu’une chose que ça s’arrête !
Le temps s’écoule, le bois s’épuise les flammes diminuent la fumée me pique les yeux , dans ma tête résonne toujours « aide-moi sors-moi de là »
Je te reconnaîtrais parmi cent mille visages (avec Emmanuel Levinas)
Tu viens de passer devant moi, encore une fois sans me voir sans m’adresser la parole, voûté, tête baissée, bouche bougonne, visage à la peau acneïque. Je devine ton regard blasé, exaspéré.
Qu’ai-je fait ? qu’ai-je dit qui mérite cela ? Rien je le sais, je dois y passer, on doit y passer. Où est mon bébé à la peau douce, qui sentait bon et souriait aux anges ? Est-ce ce grand dégingandé que je ne reconnais que par le cœur et non la vue ? Combien de temps faudra-t-il encore subir ce visage indiffèrent à tout, fermé, qui se sent mal-aimé ?
Que faire de plus que remplir le frigo, les placards, veiller sur lui, avoir un regard bienveillant mais pas trop ? Oui c’est sûr je dois patienter, accompagner de loin, surveiller discrètement je le sais mais « mon Dieu « que c’ est long ! » , que c’est fatiguant. Je ne peux tout accepter quand même ! Il pourrait faire un effort ! comme ranger un peu, se coiffer, se doucher, déposer son linge dans la corbeille et non par terre éparpillé dans toute sa chambre, je vais le lui dire, c’est assez ! Non Non, je dois accepter, après tout quand il en aura assez du désordre, de la crasse, de l’indifférence et d’être le plus malheureux de la terre il reviendra. Je dois continuer, surtout ne pas râler, ne pas questionner, ne rien montrer, fermer ses poings rageurs les mettre dans les poches, se taire, se dominer, accepter patienter sourire être accueillante, être prête.
Comme tous les vendredis soirs, Ines arrive à la médiathèque, deux livres dans son sac. Toutes les semaines elle en emprunte deux qu’en général elle dévore. Il est rare qu’elle ne les ait pas terminés. Comme d’habitude elle traîne devant la table où les nouveautés sont exposées, jetant un coup d’œil par-ci par-là, attirée par les couvertures. La photo, le dessin, les couleurs sont très importants. Cela doit la tenter, lui donner l’envie d’ouvrir le livre, d’aller plus loin. Alors seulement elle en saisit un, regarde le titre, le retourne afin d’en lire la quatrième de couverture, le résumé, le nom et la présentation de l’auteur. Celui-ci aussi a une grande importance pour elle, car son style d’écriture doit lui convenir, elle sait être incapable de finir certains romans du fait de l’écriture. Mais aujourd’hui son regard est attiré par un flyer jaune rectangulaire plus long que large, en papier glacé ; sur lequel sont écrits en majuscules noires, grasses, ces quelques mots : « Osez écrire, osez être publié » et dessous, en italiques plus fines : « Tentez votre chance ». Au dos, une dizaine de lignes expliquent le but de l’éditeur, donnent le site où trouver les modalités. On s’adresse à des écrivains amateurs, il ne s’agit pas d’écrire quelques lignes mais si possible un vrai roman. « Osez être lu ! De vraies pépites se cachent dans vos tiroirs, vos disques durs, osez, envoyez-les nous. » conclut-il.
Ines repose le flyer, ce n’est pas pour moi pense t’elle. Nonchalante, rêveuse, elle part dans les rayons chercher des livres pour la semaine. Elle en sort un puis le repose, elle a beau lire le titre, le résumé, sa pensée est ailleurs, ce flyer occupe son esprit. Dans son ordinateur il y a un roman écrit à partir de l’histoire de son adolescence. Elle a mis le point final il y a déjà un bon mois, mais jamais elle n’osera. C’est prétentieux de croire que les états d’âme d’une gamine pourraient intéresser un lecteur potentiel. De plus très vite celui-ci, s’il la connaissait, saurait qui est l’auteur. Tout le monde connaîtrait les problèmes qu’elle a rencontrés entre 14 et 18 ans car écrire c’est se livrer un peu, parfois beaucoup, c’est se libérer et même se mettre à nu. Non ce n’est pas possible jamais elle ne l’enverra. Son choix se fixe sur deux romans dont elle ne se souvient déjà ni du titre ni de l’auteur. En sortant ses pas s’arrêtent une nouvelle fois devant la table, son regard est aimanté, le flyer occupe tout son champ de vision. Elle jette un coup d’œil à droite à gauche, comme une voleuse, il ne faudrait pas que quelqu’un la voit et conclut à sa participation… Elle se décide enfin et glisse d’un geste rapide la feuille au fond de sa poche.
Une fois arrivée à la maison Ines ressort ce précieux papier, le défroisse de la paume de la main et le range dans le tiroir de son bureau. Il n’est pas l’heure de la rêverie. Tout le monde est gai ce soir à la maison ; chacun, du plus grand au plus petit raconte sa petite histoire si bien que la soirée passe sans que ce flyer n’occupe son esprit. Une fois que toute la maison dort, il lui saute au visage, alors quoi, qu’attend t’elle ? est elle trop orgueilleuse ? trop complexée ? Et si elle essayait ? Sous un pseudonyme, personne ne le saurait ? Elle l’enverrait par mail avec une adresse où il n’y aurait pas son vrai nom. Personne ne pourrait se moquer ou lui faire une remarque… même la maison d’édition ne saurait pas qui se cache sous ce pseudo. Elle s’endort mais rêve : d’un clic le texte est parti, quelques jours après une réponse arrive dans la boîte secrète, l’éditeur est emballé, veut la rencontrer. Oh ! certes c’est une toute petite maison d’édition mais quand même. Il y a bien sûr quelques retouches à faire mais ce roman est agréable, intéressant et peut fort bien être publié. Ines accepte, son nom ne doit pas être dévoilé, ni sa photo publiée, que son histoire soit un best-seller ou fasse un flop, elle restera anonyme. Un pseudonyme est choisi. La couverture, cette photo qui a tant d’importance, ces couleurs qui doivent attirer le regard, le titre qui doit interpeller. Elle corrige, re- corrige, enfin ça y est le livre est publié ! C’est un succès tout le monde veut connaître l’auteur, la télévision souhaite la faire participer à une émission littéraire. Jamais elle n’acceptera d’être reconnue. Son éditeur trouve un compromis : un simple interview avec une radio nationale, ils se retrouveront dans un café. Quand elle arrive ils sont déjà là tous les deux confortablement assis dans des fauteuils de velours côtelé marine, devant une table de bois clair, un troisième siège vide l’attend. Elle hésite, n’ose pas pousser la porte, c’est alors que son éditeur l’aperçoit, lui fait signe et se lève pour l’accueillir. Malgré elle, elle pousse la porte, le carillon retentit, elle sursaute… c’est son réveil. Ouf ! ça n’était qu’un rêve.
Elle appuie sa tête contre l’épaule de David. « Dis donc quelle nuit ! dit il, tu n’as pas arrêté de rêver, de parler tantôt cordialement, tantôt irritée. Que se passe t’il ? tu as un problème ? » « Non non tout va bien, j’ai dû avoir trop chaud. » »Arrête je te connais, quelque chose te tracasse. » Ines n’a jamais su lui mentir. Il sait qu’à ses moments perdus elle écrit, il sait qu’un roman est caché dans son ordinateur. Il ne pensait pas qu’il était achevé. Alors elle lui parle du flyer et raconte son rêve. « Pourquoi ne tenterais-tu pas? L’épilogue sera peut être moins glorieux mais essaie, fais-toi confiance pour une fois, ose, c’est juste un clic. Tu risques d’être déçue, mais je sais comment tu écris, c’est en général agréable à lire et après tout, tu risques quoi ? et qui ne tente rien n’a rien… On ne le dira pas aux enfants ainsi personne ne te questionnera. » « Je vais réfléchir, dit elle, j’ai jusqu’au 24 janvier 2021. »
Les jours passent, la vie quotidienne le travail, la maison, les enfants reprennent le dessus. David l’observe, il voit bien que par moment elle est ailleurs. Il sait que dans sa tête les pensées se contredisent, il la connaît trop bien pour poser la moindre question. La boîte secrète est prête, c’est lui qui l’a ouverte à sa demande, il aurait presque envie de cliquer à sa place, mais il ne peut pas, même pour lui faire une surprise, elle n’apprécierait pas, c’est beaucoup trop personnel.
Le 24 janvier est un dimanche, David va se promener avec les enfants. Pour prendre sa décision finale, elle doit être au calme. Ines lui est reconnaissante de la comprendre sans qu’un seul mot ne soit prononcé. Assise confortablement dans son canapé, elle ouvre son ordinateur, sort le précieux flyer du tiroir. Sa décision n’est toujours pas prise, si elle essayait ? Elle relit quelques lignes, fait glisser les pages les unes après les autres. Tout d’un coup dans le jardin elle entend les enfants, mon Dieu déjà ! mais quelle heure est il ? 16h30… voilà deux heures qu’elle est là assise à se relire… si elle s’est laissée prendre par sa propre histoire, pourquoi pas d’autres ? C’est peut être idiot, prétentieux. Incidemment, son index de la main droite se place sur la souris, et fait glisser le document dans la boîte mail, inconsciemment l’adresse du destinataire est inscrite, puis tout s’arrête… l’index en l’air semble attendre un signal. La porte de la maison s’ouvre, les enfants arrivent en riant, affamés, réclamant le goûter. Alors d’un coup sec, comme si elle avait toujours su ce qu’elle ferait, elle abat son index, clique, ferme l’ordinateur et se lève souriante, accueille ses enfants bras ouverts. David la regarde d’un air interrogateur. « Il n’y a plus qu’à attendre, dit elle, en se dirigeant vers la cuisine pour préparer des chocolats chauds… »
Auteure : Sabine Lavabre Chardenon
Ce texte répond à la proposition d’écriture de décembre 2020 où il s’agissait d’écrire à partir d’un événement vécu, ou d’un fait divers, susceptible de nourrir une fiction. MS
Parce qu’il était seul rescapé, lumineux, jaune d’or à la cime rouge, il l’attirait comme un aimant, elle partit à sa rencontre.
Parce qu’en l’embrassant, elle sentit l’odeur de la fumée sur ses vêtements, elle sut qu’un bon feu attendait dans la pièce commune.
Parce qu’assis sur l’accoudoir du fauteuil de son père, il le regardait assidument, on sut qu’il l’aimait profondément.
Photo : MS
Une errance dans le passé
Comme tous les matins Marie arrive à 8 h 30, elle la trouve dans la cuisine, assise rêveuse devant son bol de café presque terminé. Sur la table un deuxième bol, vide, deux tranches de pain prêtes à être grillées.
– Bonjour madame. Elle l’appelle madame tout simplement car elle sait que cela lui fait plaisir. Elle pourrait, maintenant qu’elle vient tous les jours dire madame Odile, ou madame Durand mais non c’est madame avec un grand « M ». Elle sait que ce Madame résonne en elle, dans son brouillard, comme quand elle allait à l’usine de son mari où tous les ouvriers lui disaient « Madame » signe d’une certaine distance mais d’un grand respect. Ce Madame lui permet de se situer dans ce flou qui s’est abattu sur elle voilà un an déjà, brusquement à la mort de son mari. Accident de la route. Parce qu’il y avait du verglas, il a perdu le contrôle de sa voiture et plus rien, tout était fini. Elle était seule. Ils ne s’étaient jamais quittés longtemps, c’était un couple fusionnel dont la passion n’avait jamais tari. Bien sûr ils ont eu des enfants (une fille et trois garçons) bien sûr elle les a aimés, dorlotés, a tout fait pour eux ; mais lui c’était son Amour. Parce que pour elle, depuis ce jour tragique son mari était toujours là occupant son esprit ; il y avait depuis un an Marie dans la journée et une jeune fille la nuit.
– Bonjour Marie, monsieur n’est pas encore descendu, il a travaillé tard hier au soir, merci de lui servir son café, je dois me préparer.
– Bien Madame, aujourd’hui que souhaitez-vous ?
– Monsieur aime les tripes à la mode de Caen, peut-être le boucher en aurait-il pour midi avec des pommes de terre bouillies, il se régalera. Jamais Marie ne la contredisait, comme tous les jours dans un moment elle enlèvera le bol et les deux tartines et lui demandera ce qu’elle désire pour manger, Monsieur étant en déplacement.
Comme tous les matins Anne sa fille aînée arrive, d’un coup d’œil discret à Marie elle comprend que c’est toujours pareil, sa mère erre dans son passé.
– Tiens Anne tu es là ! Ah! c’est vrai c’est lundi jour de lessives. Anne acquiesce, elle aussi, comme tous, joue le jeu. Il y a bien longtemps qu’elle a sa propre machine à laver à la maison. Mais ses parent avaient, vers le milieu des années 50, acheté une des premières machines et à tour de rôle leurs enfants venaient laver le linge.
– Ton père est parti tôt ce matin, il avait de la route à faire. Fais attention aux rouleaux, présente bien ton linge à plat et n’avance pas trop tes doigts tu pourrais te blesser.
– Je sais maman ne t’inquiète pas. Anne est triste sa mère ne fait pas son deuil et chaque moment de la journée est prétexte à revivre le passé.
Hier Martin l’aîné de ses petits-enfants est venu, elle lui a demandé des nouvelles de l’usine, disant que elle savait qu’il s’entendait très bien avec son grand-père, qu’il pourrait bientôt seconder son père ainsi l’usine lui rendrait son époux.
Marie est juchée sur un escabeau quand elle voit Madame arriver chapeautée, gantée, chaussée mais en chemise de nuit, cherchant son sac et ses clefs.
– Où allez vous ainsi ? demande Marie, qui a appris à ne plus rire, quand elle se présente dans un tel accoutrement.
Chez le coiffeur, j’ai rendez-vous, Claudine m’attend. Aujourd’hui c’est coupe et teinture, Monsieur aime les cheveux courts et bruns. Voila bien longtemps que Claudine a fermé son salon, que Madame a les cheveux blancs élégamment remontés en un chignon « banane » lui conférant beaucoup de classe et d’élégance. Elle était toujours bien habillée, soignée. Elle ne gaspillait pas, cousant souvent elle-même, tout comme elle cuisinait, préparait conserves et confitures avec tout ce que lui procurait le jardin qu’ils cultivaient tous ensemble. Encore une fois Marie ne la contredit pas, à quoi bon….
– Je crois Madame que vous vous trompez de jour, le lundi Claudine est fermée.
– Suis-je sotte! Elle repart vers sa chambre, discrètement Marie la suit, par la porte entrebâillée elle la voit déposer son chapeau, ses gants et entreprendre sa toilette. Tranquille elle sait que tout ira bien pendant un petit moment. Comme prévu à midi le repas s’est bien déroulé, Monsieur étant en déplacement Marie est restée manger avec Madame. Toute la conversation a été orientée vers lui, qui travaillait trop, il venait de prendre la succession de son père à la direction de l’usine de textile et avec la concurrence il fallait se battre, évoluer. D’ailleurs il ne fallait pas qu’elle traîne car elle avait tout un devis à taper pour une commande en prévision. L’après-midi plusieurs fois par semaine elle allait aider au bureau. Marie lui propose cependant un café au salon avant de partir, sachant qu’une fois assise dans son fauteuil elle s’assoupirait une heure ou deux. Au réveil il ne sera plus question de devis, de bureau mais sans doute de préparer une sortie avec Monsieur ou un bon dîner. Préparatifs qui seront interrompus par le petit Maxime, le premier de ses arrière-petits-enfants qui en sortant de l’école viendra goûter, elle l’appellera Xavier, Pierre ou Guilhem (prénom de ses trois garçons.), le petit éclatera de rire, il a l’habitude, puis ils feront un jeu avant qu’elle ne l’envoie faire ses devoirs et prendre son bain. Ce sera alors le moment le plus long de la journée : attendre le retour de Monsieur jusqu’à l’arrivée d’un de ses fils qui viendra dîner avec elle, ils discuteront des enfants, de l’usine, elle ira se coucher, il prétextera du travail à finir, elle a l’habitude, elle s’endormira sereine. La jeune fille viendra prendre le relais pour la nuit. Ainsi la nuit s’écoulera, personne ne saura où elle sera demain, ni en quelle année, mais par contre tous sauront avec qui.
Texte : Sabine Lavabre Chardenon
Ces textes répondaient aux suggestions d’écriture de l’atelier de novembre 2020. MS