Une vie en éclats (22) – Cinq du Tonkin

J’essaie tant bien que mal depuis des mois de dresser un portrait de toi à travers Une vie en éclats, quand je trouve hier soir cette photo de toi parmi des camarades… C’était un 16 mai 1951… il y a tout juste 70 ans.
Ce 17 mai, nous aurions fêté tes 95 ans.

©Marlen Sauvage, archives personnelles.

Comme tu avais le sens de la formule, tu avais écrit au dos de cette photo où tu avances d’un pas décidé – tu es le deuxième à droite, l’homme au képi blanc – tu avais écrit, donc, « Cinq du Tonkin. Rue Catinat à Saïgon le 16 mai 1951 ».

Il y a si longtemps que tu nous as quittés. Je suis triste encore de ne pas t’avoir dit adieu.

©Marlen Sauvage, archives personnelles.

MS

Bon anniversaire, Justin !

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Petit lutin blond
Trotte la main dans la mienne –
Bonheur envolé

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Enfant de printemps
De feuilles rousses ivre –
Chavirent nos rires

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Vole écureuil gris –
Cache-cache autour de l’érable
Justin te poursuit

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La poule caquète
De couleurs se pare
La mini se gare
Près de la fourchette

Texte et photos : Marlen Sauvage
Avec l’aimable autorisation de Justin !

Un 14 janvier à Carthage

Jour férié en Tunisie ce 14 janvier anniversaire de la Révolution.
Les rues de Carthage sont animées, les terrasses des cafés bondées, je croise le peuple des chats perchés ou non.
Marlen-Sauvage-ChatfameliqueAu bord de l’eau, un pêcheur guette. Il retire de son sac un poisson pour me le montrer. Je comprends qu’il s’agit d’un « bouri »… Je n’ose lui demander de répéter. Sur sa casquette, il est écrit gruyere.com. Je souris.

Marlen-Sauvage-Pecheur Au loin sur la mer, toujours des cargos, un paquebot aussi aujourd’hui auquel on doit peut-être tous les grands frémissements de l’eau. Et dans un sillon plus clair, la palme noire d’un nageur, avec au-dessus de lui, les mouettes tournoyantes. Mes photos sont ratées. A quelques mètres de là, une autre impasse qui mène à la mer. Sur les escaliers en contrebas s’abrite un couple d’amoureux.

Marlen-Sauvage-Impasse

Le soleil descend. Je poursuis ma route vers les ports puniques où des pêcheurs s’activent.

Marlen-Sauvage-Pecheurs

A droite, d’autres barques oscillent dans le couchant.

Marlen-Sauvage-Barques

Au retour, une guérite comme tant d’autres à d’autres coins de rue.

Marlen-Sauvage-Guerite

Et la surprise des poubelles accrochées en hauteur…

Marlen-Sauvage-Poubelle

 

Photos Marlen Sauvage

Licence Creative Commons

Ce(tte) œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Pas de Modification 4.0 International.

 

 

Combien de temps dure le début ?

Le temps a ses pliures
et dedans ses énigmes
ses brisures mortelles
arrachent des sanglots
Le temps joue du tambour
et se joue de l’effroi
jeté au creux des cœurs
un instant si fragiles
Le temps sommeille
Le temps s’étire
Il a l’éternité pour lui
Nos dix ans quelque part
alors se cristallisent
sillon de certitude
creuset immatériel

Combien de temps dure le début ?

Le 31.12.2003, pour M.

Un certain état ≠1

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Nostalgie, par Azza S.

J’avais ce sourire, un sourire innocent, j’étais assise là, avec ma robe rouge décorée de dentelle blanche. Je regardais tout le monde autour de moi. On fêtait un événement, si je me rappelle bien, c’était mon anniversaire, maman m’avait bien coiffée, j’avais les cheveux longs, elle m’avait fait de très belles tresses avec des rubans. J’ai senti que j’étais belle, ravissante, je portais une couronne, j’avais le sentiment d’être une princesse que tout le monde essayait de satisfaire.

Je regardais cette photo entre mes mains avec des larmes dans les yeux, mais enfin pourquoi est-ce que je pleurais ? Cette photo était empreinte de spontanéité. J’étais là avec ma mère qui m’embrassait très fort, entourée de ma famille, tout le monde souriait, on voyait la brillance de leurs yeux, une brillance qui reflétait leur bonheur.

Mais ce n’était qu’une photo ancienne qui avait quinze ans déjà. C’était un souvenir, un beau souvenir que je ne parviendrai jamais à oublier.

J’ai posé la photo et je me suis regardée dans le miroir.
Comme j’avais grandi ! J’avais perdu ce sourire spontané et le bonheur dans mes yeux.

©Azza Souli

Lever de soleil, Korba
Lever de soleil, Korba

Photo Marlen Sauvage

Un petit Moleskine tout noir [≠1]

Souvenirs

Je les suivais à bonne distance. Le sentier s’élargissait, s’aplanissait, à deux reprises, je vis des taupes mortes, le museau effilé mordant la terre, on aurait dit des jouets en peluche et en caoutchouc. La canicule était exceptionnelle, on avait annoncé 40°C à l’ombre pour le week-end, je transpirais sous mon chapeau de paille. Ils avançaient devant moi, devisant pour se donner le change, elle, la silhouette fine, traînait légèrement les pieds, elle était chaussée de tongs en plastique jaune. Elle avait noué un paréo court autour de sa taille et portait un T-shirt à bretelles qui laissait voir ses belles épaules larges et musclées. Lui avançait d’un pas allongé qu’elle s’efforçait de suivre claquant des tongs à chaque pas. Son pantalon de jean noir, trop grand, bâillait aux fesses et tirebouchonnait sur ses chaussures. Il parlait beaucoup avec les mains. Je ne percevais pas ses paroles, seulement parfois le son de sa voix quand je me rapprochais d’eux.

Quand le jardin apparut sur notre gauche, il fallut grimper un peu pour le voir vraiment. C’était un terrain plat, entouré d’arbres de toutes essences, et dans cet espace au dessin accidenté, tout semblait pousser en harmonie. Pommes de terre au feuillage vert dense, tomates signalées par des piquets de bois, haricots à rames, pois mangetout… Il se tourna vers moi pour que je confirme son admiration, c’était un beau jardin. Et nous reprîmes notre route vers la maison du frère.

D’abord on vit un chalet sur la gauche, dominant le chemin, elle dit c’est la maison d’Yvan, et nous avions tout en tête ce que cela signifiait. Tout de suite, à droite, en contrebas, j’aperçus des cabanes à lapins, un tas de fumier, des planches. Il se retenait de trop regarder les clapiers, ça lui rappelait sa mère et soulignait l’attachement que son frère avait encore pour elle. C’est ce qu’il pensait en tout cas. Il me le dit plus tard. On prit un chemin caillouteux qui descendait brutalement, au milieu des herbes hautes, et je vis se dresser une ruine devant moi. Elle expliqua que son père la remontait pierre par pierre depuis quelques mois et malgré elle de sa voix suintait l’admiration. On contourna la ruine par la droite, on passa le long d’un fil où pendaient marcels et shorts, et pantalons juste posés là, sans pince à linge, essorés et jetés sur ce fil, je pensais que la personne à laquelle appartenaient ces habits vivait dans la pauvreté, indifférente à la bonne tenue de ses vêtements.

Enfin, je vis la maison mitoyenne à la ruine, un cube de pierres sèches percé d’une porte ouverte. Les deux venaient de s’inscrire dans le cadre et j’entendis une voix dont j’ignorais jusqu’à présent le timbre : « Qu’est-ce que tu fous là, toi ? » « Tu pouvais pas me prévenir ? » à l’adresse successivement du frère d’abord, puis de la fille, sa fille.
J’arrivai à mon tour, personne ne me présenta et je restai debout face à l’homme assis devant une télévision allumée. Il ne lâchait pas l’écran des yeux. Je fus frappée par la couleur de ses yeux, bleue. Un bleu qui hésitait entre l’outremer et l’indien, plus tard je vis que son œil gauche était vairon, bleu et marron par moitié.
Il avait un visage anguleux, hâlé par le soleil, cuivré, et une tignasse blanche, coupée court, en houppe devant, qui soulignait un front haut barré verticalement en son exact milieu d’une ride rouge, comme frappée au fer.

Je m’avançais, me présentais et l’embrassais sur les deux joues. Il n’avait pas bougé du canapé, il esquissa un sourire. Il fit une place à son frère près de lui, sa fille se recroquevilla sur une malle face à moi qui trouvai un morceau de bûche pour me poser. De là, je les observai tous les trois, les trois G. coincés dans leur pudeur.

[C’était en Ariège, en 2001, l’homme du canapé fêtait ses 50 ans, enfin, il ne les fêtait pas justement et nous étions venus le surprendre avec quelques pâtés, un gâteau et une bouteille… Nous avons passé un moment délicieux, à quatre, ils se remémoraient leur passé, leur « Tata Giulia », les histoires de famille. J’eus un coup de cœur pour cet homme seul, qui avait quitté sa région trente ans plus tôt et qui vivait isolé loin de toute famille, par choix. Il me compara à Rita, sa cousine, et ça, ce fut le plus beau des compliments…]

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