Carnet d’écrivain #36

Un inventaire : nos routines de lire-écrire. Hier a passé sans que j’aie eu le temps justement d’écrire quoi que ce soit. Essayé pourtant. Mais voilà. La machine a des ratés !

Un réflexe qui a maintenant trente-sept ans : lire les mails, y répondre. L’habitude date d’Apple, au temps où le logiciel s’appelait AppleLink, précédait Mail ou tout autre. Allumer le portable : WhatsApp et un message de La Réunion ? Du Québec ? De Guyane ? D’Orléans ? Naviguer sur les réseaux sociaux, marcher dans Avignon, visiter telle exposition, me retrouver à Paris, écouter un brin de musique, ailleurs quelle pièce de théâtre en vue, quel atelier d’écriture ? Terrain fragile : s’aventurer. Lire les nouvelles (Reporterre surtout, Médiapart, Les Mutins de Pangée). Planifier sur mon blog les publications déjà écrites. [Ou me lamenter de ne rien avoir préparé.] Trier les dernières photos prises ou reçues, les destiner à telle ou telle rubrique. Moleskine rouge, c’est le modèle du moment : y noter le rêve de la nuit (pour ma rubrique Rêves), l’essentiel du jour à venir, ou ce que j’ai omis de mentionner la veille (pour mon Carnet des jours. Jeter un œil à mon agenda, lister les impératifs de la journée. En ce moment me pencher sur la proposition d’écriture du jour (40 exercices pour le carnet d’écrivain) et la laisser mûrir. Voilà pour la matinée. En soirée, écrire la proposition du jour – ou prendre des notes dans le carnet du récit en cours – ou tenter l’écriture de la suite d’une fiction – ou commencer la rédaction d’un Va-et-vient. Une fois par semaine, ouvrir mon carnet des lectures et noter la synthèse de la dernière. Et tous les soirs quelle que soit l’heure, m’allonger à demi et lire enfin le roman ou l’essai du moment (Mes mille et une nuits, de Ruwen Ogien et Fragments de Marilyn Monroe pour cette semaine en cours).

Carnet d’écrivain #35

Ça m’arrive plus souvent qu’à mon tour ! Oublier les noms de lieux, de poètes, des titres de film, d’œuvres ultra connues, des compositeurs, un peu moins des noms de romanciers, mais je ne me berce pas d’illusions… c’est la proposition n° 35 des 40 exercices pour le carnet d’écrivain, et ça donne ceci…

© Marlen Sauvage 2019

Tu as vu Orgueil et préjugés ? Trois fois oui. Et Raison et Sentiments ? Humm… je ne sais plus, pourquoi ? Love and friendship ? Ben, non mais pourquoi ? [Je ne sais pas pourquoi justement, je cherche à retrouver un titre de film dont je ne sais strictement plus rien, ni le réalisateur, ni les acteurs, à peine une ambiance, et en tout cas même pas une histoire] Jane peut-être ? Je crois, oui. Mais c’est quoi ton souci ? Et La leçon de piano ? Oui, oui, Oui. Avec La leçon de piano, je comprends que je débloque totalement… Je tourne autour de quelque chose de vraiment flou, car si Jane Austen inspire les trois premiers, c’est d’une autre Jane dont il s’agit ici, Jane Campion, mettant en scène un roman d’une autre Jane. Je vais y arriver… Et ça y est, ça me revient, oh ! pas tout de suite ! Une fois que j’ai lâché l’affaire, décidé que ma mémoire me ferait défaut une fois encore, que je perdais la boule, que ce que je croyais impossible était entrain de m’arriver, quand j’ai juré in petto x fois de suite… Emma Thompson, Antony Hopkins, et le titre du film, le titre, le titre… Les Vestiges du jour ! Réalisé par James Ivory ! Il m’a sans doute fallu passer par trois Jane et une bonne dizaine de minutes pour arriver à James, c’est ce que j’en conclus sur les méandres de ma mémoire. 

Carnet d’écrivain #34

« Ça ferait bien une histoire pour… » voilà, c’est la consigne ! Quelque chose se passe aujourd’hui et on imagine ce qu’en ferait tel auteur… 

© Marlen Sauvage 2019

Elle glisse ses paumes tièdes sous le bas du dos de la patiente, appuie légèrement du bout des doigts sur… – où êtes-vous là, demande justement la patiente, – sur le rein, répond la praticienne d’un ton sûr et dégagé… L’intensité de la douleur est inversement proportionnelle à la délicatesse du geste – avec quel humour Daniel Pennac aurait-il raconté la scène dans son Journal d’un corps ? Elle s’attarde maintenant sur les vertèbres de la base de la colonne et explique avec précision l’attache du diaphragme, non seulement sur la cage thoracique mais aussi sur les trois premières lombaires, et comment le muscle respiratoire tellement sollicité durant l’hiver a occasionné des soubresauts répétés des vertèbres et autant de souffrances – Manu Larcenet aurait talentueusement dessiné ce faisceau de longues lanières musculeuses, le carré des Lombes, le psoas et jusqu’au visage de la patiente qui s’interroge à son propos tout en appréciant les lents étirements infligés dans cette partie de son corps par l’ostéopathe consciencieuse… 
Et au même moment, c’est le Traité des gestes de Charles Dantzig qui s’impose à la mémoire – sous quel intitulé aurait-il réuni ces palpations exploratoires?

Carnet d’écrivain #33

« Construire le vide on fait comment. » Tout François Bon dans cette consigne ! 40 exercices pour le carnet d’écrivain. J’ai testé pour vous.

© Marlen Sauvage 2019

Les yeux perdus | sans chercher où | les mains sur le clavier j’attends | un arbre une montagne un bout de nuage le vol d’un oiseau | contempler et oublier que je contemple | capter l’entre-deux | vous savez | ce vide entre les bouteilles d’un tableau de Morandi | errer entre| se laisser environner de bruits divers | entendre les silences | quelque chose a tourné tout le jour dans les pensées | faire confiance à mes doigts | au clavier peut-être

Carnet d’écrivain #31

« Prendre chacun un petit lambeau de colère, terreur, désespoir, refus, injustice et on distord la phrase… » Je poursuis mes 40 exercices pour le carnet d’écrivain… La colère en ce moment, c’est du quotidien, j’ajoute ma phrase, mes mots, au « triste état du monde ».

© Marlen Sauvage 2019

Flammes | de barricades en cordes vocales | hurlent les chants | et la foule piétine | des larmes aux banderoles | flammes et pneus | le monde gueule | les slogans volent au-dessus | de la jeunesse | un morceau de chiffon | autour des bâtons dressés | on ne croit plus à rien | dans les porte-voix | flammes | pour une colère arrachée | au juste et au simple| rouge dans la rue | embrasons-nous | fichez le feu | flammes | des jours de colère | du ciel jusqu’aux abysses |des têtes au bout des piques | et l’enfer à vivre | puisque l’enfer à espérer

Carnet d’écrivain #30

Enoncer un fait divers. Sans déborder. 480 signes. Je crois que j’ai le compte !

© Marlen Sauvage 2019

A Saint-Brévin-les-Pins| station balnéaire de 16 000 habitant.e.s | sidération | deux voitures et la façade d’une maison incendiées | celles du maire et de son épouse | la raison ? | le choix d’accueillir un centre d’accueil de demandeurs d’asile à la fin de l’année 2023 | qui s’acharne sur l’élu local ? | par le biais des réseaux sociaux et de tracts ? | ses opposants | l’extrême-droite locale | pourtant composée d’une quinzaine de personnes au maximum ! | lesquels « ont fait appel à Reconquête ainsi qu’à l’Action française et aux  cathos intégristes » | dixit le président du Collectif des Brévinois attentifs et solidaires 

Carnet d’écrivain #29

« Affûtez, condensez… ce que dans une journée on n’aurait pas dû… » voilà en gros la consigne… 

© Marlen Sauvage 2019

Pas faute de s’être tâtée pourtant | et pourtant partie d’un bon pied ce matin | rejoindre les cinq cents autres sur la place du marché | immobile pendant quarante minutes à tenter de comprendre ce qui se racontait dans le micro et dans le porte-voix | applaudir les lycéens | piétiner sur des centaines de mètres | entendre d’un seul coup crier ses genoux et ses hanches | danser d’un pied sur l’autre | avancer en grinçant des dents contre les nantis de ce monde | une petite voix te dit ça en valait la peine | et l’autre tu n’aurais pas dû |

Carnet d’écrivain #28

L’idée était de trouver une phrase qu’on remâche parfois tout un jour, le genre de choses qui m’arrive plus souvent qu’à mon tour et sur quoi je pense ne jamais avoir écrit ! Ça devait être quelque chose sans début ni fin, sans ponctuation non plus, et en 480 signes seulement. Je n’ai rien respecté de cela pour la bonne raison que j’écris pour moi, hors de tout groupe et que je ne me suis pas imposé cette double contrainte (car de ponctuation, il n’y a guère hormis les |)…

© Marlen Sauvage 2019

Je ne dois pas oublier la phrase | je ne dois pas oublier la phrase | surprise à répéter je ne dois pas oublier la phrase | depuis ce matin | et le soir pas de phrase | quand je ne savais même plus pourquoi je répétais en boucle je ne dois pas oublier la phrase | ça me revient ce soir un peu en panique | des phrases j’en ai toujours plein la tête | ce matin au réveil par exemple « la guerre est à prendre » | mais c’est une phrase de rêve | une phrase de nuit ou de sommeil paradoxal | ça ne compte donc pas | pourtant la guerre est à prendre ça m’a posé question | d’emblée | au réveil | si vous voyez ce que je veux dire | j’ai répété plusieurs fois la guerre est à prendre en me demandant bien ce que ça voulait dire ça | la guerre est à prendre | et d’ailleurs ce soir | pareil | la guerre est à prendre finalement je ne comprends franchement pas ce que ça peut bien vouloir dire | même dans un rêve | est-ce que ce serait par exemple y aller | partir en guerre | ou bien prendre le parti de la guerre | ce qui ne serait pas exactement la même chose | voyez | partir en guerre ça peut être une obligation | morale ou circonstancielle | ce qui ne signifie pas que l’on prend pour autant le parti de la guerre | mais on y va |  alors que prendre le parti de la guerre | quelle que soit la guerre c’est être du côté de la guerre | et même en paix d’ailleurs | c’est faire le choix de la guerre | c’est être de l’avis que rien ne se règle autrement que par la guerre | ou que seule la guerre peut régler un conflit |  ça devient compliqué là | la guerre est à prendre | j’ai envie d’ajouter | ou à laisser |

Carnet d’écrivain #27

Une suggestion d’écriture qui m’a valu un vrai fou rire intérieur… parce que j’étais justement en train de me voir attendre ce matin dans une file de gens avant d’en connaître la teneur… Car oui, je lis les propositions d’écriture le jour où je dois les écrire…

© Marlen Sauvage 2019

dans le froid de 7h30 et une file de huit personnes, elle attend que le laboratoire ouvre ses portes, resserre son écharpe autour de son cou, pense qu’elle aurait dû se couvrir davantage, lève la tête vers le ciel, tourne un peu à gauche, puis un peu à droite, se dit qu’elle a l’air de quelqu’un qui ne tient pas en place, s’imagine vue d’en haut dans son grand imper beige, tournant comme une toupie, observe les gens de dos qui la précèdent, se demande à quoi elle ressemble de dos, s’interroge sur l’heure d’arrivée du premier patient de la file, un travailleur, peintre sans doute étant donné l’apparence de son pantalon, tente de trouver un attrait au minuscule jardin à la française qui se déploie de part et d’autre de l’allée, découvre la frise de galets qui orne le dallage, jette un œil à son téléphone pour vérifier l’heure | trois personnes entrent à l’invitation d’une secrétaire, les autres continuent de faire le pied de grue dehors et elle calcule qu’à ce rythme elle n’est pas près d’avoir plus chaud | comme elle a emporté les 40 exercices pour un carnet d’écrivain, elle jette un œil à la proposition du jour, surprise ! il va falloir observer son double, elle aurait presqu’envie d’éclater de rire | elle se dit que son air béat doit étonner l’homme devant elle qui s’est retournée et dont elle sent le regard sur elle | elle répond au sourire de la dame qui vient de lui succéder dans la file, lui trouve de beaux cheveux longs frisés d’un roux naturel, soupire encore d’attendre | un quart d’heure plus tard, c’est à l’intérieur que se retrouvent quasiment les mêmes personnes, dans un étroit couloir et une salle minuscule, elle décline son poids au guichet, quelle drôle de question pense-t-elle, l’homme devant elle a annoncé soixante-dix, il s’agissait donc de kilos et non de son âge, on ne peut s’empêcher d’entendre ce qui se dit dans si peu d’espace, bonjour la confidentialité, l’exclamation lui vient aux lèvres, dans un murmure | quelques minutes plus tard, devant le dessin d’un téléphone portable barré d’une croix rouge, elle remarque au même moment que la jeune fille arrivée bien plus tard consulte le sien, happée par son écran, avant de s’asseoir sur la dernière chaise disponible, elle invite le monsieur âgé près d’elle à s’y installer, mais non, l’homme décline et elle comprend aussitôt pourquoi quand il est appelé par l’infirmière.

Carnet d’écrivain #25

Pour cette proposition, « c’est le corps et son écriture qu’on interroge », pas ses petits bobos (ou ses grands maux d’ailleurs) qu’on raconterait aux autres… « Notation sur le corps, et qui n’empiéte pas sur ce privé, qu’on respecte » , ajoute François Bon dans ces 40 exercices pour le carnet d’écrivain. Essai.

© Marlen Sauvage 2019

au bout de la main un poids – les doigts qui s’accrochent autour du cylindre – le tenir à peine – sans forcer – plus haut dans l’épaule tout de suite les tendons relâchés – première sensation – le  membre comme dissocié – poignet – avant-bras – coude – bras – le vide entre chaque élément – l’espace de liberté donné aux muscles aux tendons aux os – enfin ils respirent – et ce mouvement de pendule que l’haltère imprime à l’ensemble – malgré soi – puis le cercle qui se dessine et s’amplifie – la détente – le bien-être – la sensation d’exister jusque dans chaque cellule