Je marche, donc je suis, Monika Espinasse

Photo : Marlen Sauvage

Ah non ! Pas sur le béton, ni sur le goudron ! s’écrient les vrais randonneurs très vite et sans réplique possible. Il n’y aucun plaisir !

Mais si ! Mais si ! Quand tu es né enfant de la ville, tes pieds apprennent très vite le béton des trottoirs ou le goudron de la chaussée. Tu marches dans les rues, tu cours après le tramway, tu sautilles aux feux rouges, tu flânes dans les parcs civilisés sous les marronniers et les tilleuls, avant de t’aventurer dans les forêts des environs. Plus tard, tu trouveras un autre plaisir dans les chemins de randonnée, de plus en plus loin, mais tu ne perdras jamais le goût des premiers pas dans ta vie.

D’ailleurs, plus tard, beaucoup plus tard, tu habiteras à la campagne, à la montagne, et si les routes goudronnées t’étaient familières, les chemins sinueux, caillouteux, embarrassés de racines enchevêtrées, de creux et de bosses, demanderont un apprentissage. Les pieds sont incertains, tâtonnent, trébuchent, et demandent une attention de tous les instants. La nature est belle, sauvage impitoyable. Il faut prévoir le soleil trop pesant, l’ondée soudaine, le vent qui secoue les branches au-dessus de ta tête, la rivière qui déborde, l’herbe poussée trop vite qui te fait avancer dans une petite jungle, qui te mouille, qui s’accroche, qui t’emprisonne, …et ce n’est pas l’arc en ciel poétique et lointain qui te consolera de tous ces désagréments. Il faut aussi avoir une boussole dans la tête pour ne pas s’égarer. Il y en a qui savent d’emblée, qui sont doués. Tu les mets dans la forêt, au milieu des arbres, ils s’en sortiront toujours. Ils tracent tout droit, ils créent leur chemin, ils n’ont besoin ni de soleil, ni d’étoiles pour se retrouver. C’est inné. Ce sont des chanceux… Je vous l’ai dit, il faut apprendre, exercer, pour aimer la nature sauvage.

C’est pour ça que j’aime les chemins qui demandent juste l’effort des pieds. Mes pieds savent faire. Ils avancent, d’un pas régulier, pas besoin de penser, de les guider, ils trouvent leur rythme qui est aussi le mien. Nous sommes en harmonie. Je leur fais confiance et je pense à autre chose. Ou à rien. Cent mètres plus tard, les pieds font toujours leur travail et je ne m’en suis pas aperçu, j’ai à peine vu le paysage, j’étais dans les nuages…Détente complète quand je marche ainsi, liberté totale de l’esprit qui vagabonde, qui balaie, qui invente, des mots, des sons, des idées, des projets, des mélodies, des poèmes, des romans entiers, je sais tout faire quand je marche avec mes pieds. Ce qui est difficile, c’est la mémoire. Retenir. Retenir, ce que je viens d’inventer. Trouver le bouton d’enregistrement dans ma tête. Ne pas arrêter les pieds. Le rythme qui berce. Le flottement qui permet l’envol de l’esprit. Pas de petit carnet, de crayon, ça casse l’élan. Pas de dictée téléphone, les pieds perdront leur équilibre. Et si on s’arrête pour noter, si on interrompt le merveilleux équilibre par une courte pause, une prise de conscience, c’est fini, plus d’idées, plus d’envol, plus de nuages. Ce sera une, deux, une deux, ce sera accélération, course, sport, santé. C’est bien aussi. Cela entretient, le corps est heureux. Mais l’esprit s’est mis en veille, en laisse. Et le rêve, le rêve s’est envolé.

Texte : Monika Espinasse

Ma proposition d’écriture
Une histoire de marche et d’écriture, où le texte s’élabore en marchant, et en ces temps de confinement (à ce moment-là !), nous pouvons marcher dans notre tête. La phrase restitue le mouvement de la marche, dans son allure, ses arrêts, ses hésitations, selon le sol et ses accidents.
 MS

Automne (To do list 4)

Dans la série des « To do list » écrites en atelier et inspirées par  Christine Jeanney et Marie-Christine Grimard, voici un quatrième texte, écrit par Liliane Paffoni.

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  • Attendre les pluies d’automne pour noyer ses larmes
  • Fuir la sécheresse qui s’est repue de la sève des arbres et des cœurs
  • Retrouver un chemin perdu dans les broussailles
  • Tendre ses mains vers le feu pour tenir l’hiver à la frontière
  • Ouvrir les portes, écouter les rires et les paroles des passagers de l’été
  • Cacher des objets, témoins muets du bel été
  • Reprendre sa respiration à deux

Texte : Liliane Paffoni
Photo : Marlen Sauvage

Un matin dans la vallée

 

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Hier, j’ai regretté de ne pas photographier cette petite vallée cévenole dans le brouillard et, le hasard a voulu qu’Arnaud Maïsetti ait publié ce matin un texte magnifique accompagné de vues splendides du Vietnam… [non, j’ai vérifié, la publication est plus ancienne, mais je l’ai relayée sur ma page FB ce matin !] Le rapport n’est pas évident, mais il faut aller voir pour comprendre ce que je veux dire. Nous aurions chacun donné à voir « notre » brouillard…

Peu après cette lecture, je descendais dans ma petite vallée par « la route du haut » sous un grand soleil, cogitant sur ces chemins, métaphores usées de l’écriture…

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Après le passage sous les frondaisons de bouleaux, de mélèzes, de châtaigniers, voilà ce qui nous attend. La beauté de ce paysage m’émeut depuis treize ans, à chaque saison.

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Une autre fois, d’autres brouillards…

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Texte et photo : M. Sauvage