Visages, par Chrystel Courbassier

Fin octobre, nous écrivions sur le thème des Visages avec un groupe de stagiaires, à la Roncière (Cans-et-Cévennes). J’ai décliné ce thème en quelques propositions dont les intitulés donnent une idée : « Et le temps a passé », « Galerie », « Mon essentiel dans ton visage », « Ton visage est un paysage (ou tout autre chose) », « Je te reconnaîtrais parmi cent mille visages », et « Ce que ton visage me dit de toi »… Tous les participants n’ont pas toujours écrit à partir de chaque proposition, aussi j’en redonne l’intitulé avant chaque texte, ainsi que l’auteur principalement convoqué pour son écriture. Enfin, je restitue les textes tels qu’ils m’ont été livrés, dans leur ponctuation et leur présentation.

Klimt, L’Espoir 1, 1903

Et le temps a passé (avec Marguerite Duras, L’Amant)

Un beau port de tête, des cheveux noirs et fins, la raie sur le côté, un menton assuré, des yeux brillants et noirs aussi, au milieu de ce visage souriant, amoureux de la vie, des femmes, confiant en l’avenir. Debout sur la photo, je ne sais où, ne vois pas les entours, l’imagine tenant fièrement de la main gauche, le bras tendu, un beau brochet fraîchement pêché (il n’était pourtant pas pêcheur…) Avec le poids des ans, des soucis, des dettes et du deuil, la tête s’est affaissée sur son cou effacé, les yeux ont grossi, gonflé, devenus ronds et globuleux, ils ont perdu leur charme, gagné en peine et en ressentiment ; les joues se sont remplies de haine et de mépris ; la bouche s’est vidée de ses dents, transformant son sourire enjôleur en rictus effrayant, une bouche tordue gobant un air vicié, dépourvue de paroles censées, réconfortantes ou bienveillantes ; les cheveux grisonnants et gras,  négligés, sur son crâne rond et sec ; la peau aride et tiède de ses bas-joues creusés qui s’enfoncent mollement quand on l’embrasse du bout des lèvres. Un visage si lointain à présent, déserté par l’amour et la confiance, asséché par la vie, esseulé, ravagé par la rage, la frustration et la souffrance.

Mon essentiel dans ton visage (avec Bernard-Marie Koltès, Combat de nègre et de chiens)

Deux globes proéminents, aux reflets gris dilatés cernés de jaune, deux boules bouillonnantes, prêtes à jaillir, à bondir hors de leur coquille et à se déverser en lave poisseuse sur sa victime, giclée de boue dévorant tout sur son passage.

Ils forment deux haies de broussaille au-dessus des paupières, deux haies plantées là à la hâte et sans règle, en zigzag, deux sentiers en friche, infranchissables, à l’herbe brune, solide et drue ; un havre de mystère et de sécurité mêlés. 

Une multitude de taches de rousseur, grains de blé gorgés de soleil, recouvrant creux et bosses, monts et merveilles, petits points lumineux également répartis et formant une plaine chatoyante au milieu du visage, paysage rond, coloré, piqueté, qu’on a envie de traverser pieds nus en plein été. Envie de glisser le bout du doigt entre les points, se frayer un chemin, partir à l’aventure, vers l’inconnu, n’en jamais voir la fin.

Ton visage est un paysage… ou tout autre chose (avec Hubert Haddad)

Rien d’autre que la cascade de tes cheveux auburn et ondulés sur ta peau satinée et l’envie de plonger dedans, de m’y envelopper

Rien d’autre que ces taches de rousseur inondant ton visage, éclaboussant tes joues par vagues colorées et l’envie de barboter dedans comme un bébé 

Rien d’autre que la peau mouillée de tes lèvres formant un ruisseau, une rivière, un fleuve aux eaux tumultueuses et aux bords ravinés, m’y laisser glisser et couler au fond, tout au fond parmi algues, limon et poissons, me laisser entraîner par le courant, rencontrer creux et bosses, monts et merveilles, monstres et sirènes, amertumes pensées

Et sur le rivage de tes yeux clairs et limpides comme la mer en plein été, surprendre cette goutte froide et salée, goutte de pluie, goutte glacée qui coule, lente, inexorable, impitoyable

Juste m’y noyer et rien d’autre.

Galerie (avec Walt Whitman, Feuilles d’Herbes)

Visage dissimulé derrière un masque de couleurs ; visage sévère du beau-père ; visage naturel marqué par les années ; visage désabusé de l’oncle pervers ; visage lointain et disparu ; visage chauve et moustachu ; visage qui ne vieillit jamais ; visage gai et barbu ; visage sévère de tante Hélène ; visage tordu et effrayant ; visage gourmand toujours rieur; visage malade de l’hypochondriaque ; visage hâlé de la belle espagnole ; visage coquin de l’éternel petit frère ; visage aux joues rosies par la bouteille ; visage mystère du père/grand-père demeuré inconnu.

Je te reconnaîtrais parmi cent mille visages (avec Emmanuel Levinas)

J’ai encore perdu, peut-être l’ai-je fait exprès après tout, ai-je vraiment fait de mon mieux, n’ai-je jamais gagné ?… je déteste ce jeu, j’accepte de participer pour leur faire plaisir, c’est tout. Parce que je ne peux pas dire que j’apprécie vraiment ça, ses baisers, à moins que ce ne soit l’inverse, que ce soit elle qui n’aime pas m’en faire… la peau de ses joues si collante, le rouge carmin de ses lèvres humides qui se répand sur la mienne, l’odeur âcre de la poudre dans mes narines, le métal froid de ses boucles d’oreilles qui se balancent en cadence venant heurter ma tempe … j’ai perdu parce que je cours moins vite aussi… mais j’aurais pu courir plus vite, c’est juste que je n’en avais pas envie… je le vois bien qu’elle préfère quand c’est les autres qui gagnent… quel jeu ridicule ! Tout ça juste pour un baiser… je ne sais jamais ce qu’elle pense quand je m’approche, son regard si lointain quand elle m’embrasse, ses yeux dissimulés sous un fard bleu, vert, gris, si fuyants à mon égard. Je vois bien qu’elle ne les regarde pas pareil les autres. C’est sûr, elles lui ressemblent plus, même couleur des yeux et des cheveux. Peut-être que ma peau abîmée d’adolescente la dégoûte… cela me permet au moins d’éviter ses baisers poisseux chargés de senteurs capiteuses qui me donnent la nausée. Peut-être se donne-t-on  mutuellement la nausée maman, qu’en penses-tu ? Un jour, il faudra bien qu’on se le dise. Un jour, il faudra que tu me racontes pourquoi ce masque sur ton visage, ce que tu cherches tant à dissimuler, quel secret honteux, quels faits indicibles… un jour peut-être me laisseras-tu toucher ta peau sans artifice, naturellement, un jour peut-être me laisseras-tu m’approcher de toi sans crainte, un jour peut-être t’adresseras-tu à moi avec des mots qui parlent vrai, un jour peut-être me laisseras-tu gagner un peu de ton amour.

Ce que ton visage me dit de toi (avec Michel Butor, La Modification et à partir du tableau, L’espoir, II, de Klimt, qui figure au début de cette publication.)

Vous êtes là et vous me regardez. Vous me regardez comme si j’étais une bête curieuse, oui, c’est cela, une bête curieuse. Je ne sais pas qui vous êtes d’ailleurs, oui qui êtes-vous d’abord ? Je ne vous ai jamais vu par ici, pourtant je connais tout le monde. Vous êtes nouveau peut-être ? Médecin ou infirmier ? Allez, n’ayez crainte, approchez, je ne mords pas… Vous vous demandez,  n’est-ce pas ? Vous vous demandez comment j’en suis arrivée là ? Pas besoin de sortir de St-Cyr pour voir ce que vous voyez et que tout le monde voit… Mais enfin cessez d’avoir peur, de vous sentir embarrassé… au passage, c’est moi qui devrais l’être et qui le suis d’ailleurs. C’est bien comme cela que l’on dit en espagnol, non ? Embarazada … Comment est-ce arrivé ? Je ne sais pas, je ne sais plus… Oui, je vois ce que vous vous dites là dans votre petite tête, elle est un peu dérangée celle-là… Vous savez, oui vous savez forcément puisque vous êtes ici avec votre blouse blanche et moi, je suis en face de vous, sans rien… Vous êtes celui qui sait d’ailleurs, celui qui n’est pas sans savoir, un sachant, n’est-ce pas ainsi que l’on dit par ici ?… Non, vraiment, je vous assure, je ne sais pas. C’est arrivé comme ça : un jour j’étais vide et le lendemain, j’étais pleine. Il y a bien eu enquête mais cela n’a rien donné, cela n’a pas duré non plus… Il faut que je vous prévienne, il y en a qui disent que je suis une sorcière, les cheveux roux, la peau piquetée de taches de rousseur ; avancez-vous, ce n’est pas contagieux, regardez là autour du nez, des yeux, de la bouche, un vrai champ de mine… une sorcière, vous imaginez, c’est comme si le temps n’avait pas fait son travail en ces lieux ; l’épaisseur des murs sans doute, la hauteur des grillages, le poids des préjugés… Vous comprenez maintenant pourquoi je ne souris pas, pourquoi je me méfie et vous observe ainsi… Y en d’autres qui racontent que je l’ai bien mérité ce qui m’arrive… c’est parce que j’étais une fille des rues avant de me retrouver ici un soir, je me rappelle plus comment ni pourquoi, j’avais trop bu je crois… Dehors, j’avais besoin d’argent et je n’étais bonne à rien ou plutôt qu’à une chose, pas besoin de vous faire un dessin… mais ça fait deux ans déjà, vous savez compter vous aussi, et ça fait pas deux ans que je suis dans cet état. C’est arrivé ici mais je sais plus comment, impossible de me rappeler, les neuroleptiques, tout ça, on n’est plus dans son état normal, on est dépossédé et non pas possédé… Alors tant pis, j’attends, j’attends que ça passe et après on verra. Vous avez l’air gentil, vous voudrez bien vous occuper un peu de moi ?

Chrystel Courbassier

Cartes postales, Chrystel Courbassier

La tente

On a là une photo prise en extérieur, à contre-jour, un cliché surexposé donc compte tenu de la lumière blanche qui jaillit de derrière les arbres situés à l’arrière-plan. Des arbres hauts en plein cœur de l’hiver ou bien au début du printemps, sans couleur et sans feuillage. Une photographie prise par une belle matinée ensoleillée. Devant les arbres, un pré à l’herbe rase, brûlée par la neige de  janvier. On devine cependant, aux différentes nuances de jaune que revêt la prairie, un verdoiement prochain. Sur la gauche, à l’avant-plan, une tente, fermée et isolée, d’une capacité de six personnes environ, est plantée dans le sol. La toile grise de l’objet nous ramène dans les années 60-70. Autour de la tente, le vide absolu. Pas de feu de camp éteint ni de restes de victuailles, de linge en train de sécher sur une branche ou une corde improvisée ni de déchets à évacuer. Rien. Vu l’avancée du jour, l’état de la végétation alentours et le désert environnant, on imagine sans peine que la tente est vide, installée là uniquement pour la photo. Pour promouvoir les Scouts de France d’après le sigle qui orne l’arrière de la carte, dans le coin en haut à gauche.

©Fonds SGDF

Partie

Elle s’en va. Elle est partie. 

Jeune et seule, les bras chargés, elle est partie. 

Elle aurait pu partir l’hiver, dans la neige froide et blanche, elle est partie en plein cœur de l’été, quand les corps se dénudent et bronzent sous un soleil radieux.

D’un pas décidé, elle a pris la route, sans se retourner, sans savoir ce qui l’attendait, elle s’en est allée.

Derrière la ligne d’horizon, loin, si loin.

Sans un regard, sans mot dit, sans grâce et sans prévenir.

J’aurais pu courir pour la rattraper, prendre sa main, la serrer très fort, ne plus la lâcher, faire un petit bout de chemin supplémentaire avec elle, l’accompagner.

Soulager ses épaules, porter avec elle un peu de tout ce qui l’encombrait.

Faire que la route soit moins longue et que ça passe plus vite.

J’aurais pu tenter de la retenir, la convaincre même de rester encore un peu, juste pour un moment.

Faire le tour de son visage avec mon doigt, l’imprimer, le tracer.

Enregistrer sa voix sur les sillons de ma mémoire.

Respirer son parfum, le fixer sur ma peau.

J’aurais pu mais elle est partie. Trop loin.

©Christian Malon – Gens du pays – Par tous les temps…

Paternité

Blanche avait épousé cet homme sur les conseils de son père, pour ne pas dire les ordres. De famille bourgeoise, Edouard était avocat, cultivé et passionné de marqueterie. Dans sa position, Blanche n’avait pas eu tellement droit au chapitre. Le mariage, précipité, avait eu lieu en l’église Notre-Dame-de-la-Prairie, par une belle journée printanière. Cinq mois plus tard, naissait Benjamin, nourrisson prématuré puis, quelques années plus tard, garçonnet malingre et chétif, couvé par sa mère, rejeté par son père, plus intéressé par ses meubles sculptés que par cet enfant dans lequel il ne se reconnaissait point. Et pour cause, il n’était pas de lui. Edouard avait accepté cette union en tout état de cause mais c’était Blanche qu’il désirait par-dessus tout, non son rejeton. L’état de santé fragile de l’enfant n’avait fait que confirmer son aversion pour la chose. Il avait fait en sorte par la suite que sa femme ne tombât plus jamais enceinte. La pauvre Blanche souffrait de la situation. Pendant les premières années, elle avait tout tenté pour rapprocher Benjamin de son père et inversement mais rien n’y avait fait. Toute activité commune se révéla un échec. Ces deux-là n’avaient décidément rien à partager, rien à se dire ni rien à faire ensemble. Tout cela aurait pu demeurer supportable si Benjamin n’avait atteint un jour l’adolescence. Tout échange de mots entre le père et le fils virait alors au conflit. Les repas s’achevaient en pugilat. De leur regard respectif jaillissaient des flammes de haine au moment où ils se croisaient dans un couloir, ce qu’ils évitaient de faire soigneusement à tous prix l’un et l’autre. Posture difficile à tenir sur la durée lorsque l’on vit sous le même toit et que se trouve entre nous la personne qui nous est la plus chère à chacun. Blanche vivait un enfer. Elle passait ses journées et ses nuits à tenter d’éviter le pire, une rencontre fortuite, des paroles malheureuses, des bris d’objets propulsés à travers la maison. Un après-midi, alors qu’elle venait de ramasser le linge sec sur la corde au fond du jardin, elle entendit des hurlements féroces provenant de la maison. Elle lâcha les vêtements qui s’éparpillèrent un peu partout sur l’herbe et se précipita vers le foyer. Là, sur le sol carrelé de la cuisine, Benjamin tentait de poignarder son père avec un couteau de cuisine long de 28 centimètres. Elle se saisit sans réfléchir d’une cruche qui se trouvait à portée de main sur la table et assomma son fils. L’objet contondant dégringola près de l’épaule gauche d’Edouard.  La pauvre femme parvint à convaincre son mari de ne pas trucider le petit ni de déposer plainte contre lui. En revanche, il somma la mère de mettre son protégé à la porte de chez lui dans les plus brefs délais. Benjamin quitta le domicile familial le soir-même avec son sac sur le dos. Dès le lendemain, Blanche partit à sa recherche. Elle ne tarda pas à le trouver, frigorifié, à l’entrée d’une grotte. Elle lui procura une tente et l’aida à s’installer dans un pré non loin de là en attendant la suite. Et tous les deux jours, quel que soit le temps, en voiture ou bien à pied si la neige recouvrait la chaussée, elle portait à manger à son fils, en cachette d’Edouard qui, à présent déchargé de toute responsabilité paternelle, avait repris activement sa collection de fauteuils Louis XV. 

Chrystel Courbassier

La proposition en 3 étapes était la suivante : à partir d’une carte postale tirée au hasard à chaque étape, décrire la première carte comme on le ferait pour un aveugle ; choisir dans la 2e un élément rappelant un souvenir ; et ajoutant la troisième aux précédentes, tisser un fil entre ces cartes pour inventer une fiction. Parmi les suggestions d’écriture, l’utilisation de la cataphore, celle du « il y a » ou encore la description à la Perec, pour la première. L’appui de Charles Juliet pour l’écriture du souvenir, et enfin la recherche de sa propre voix pour ce qu’il en est de la fiction. Marlen Sauvage

Brouillard, Chrystel Courbassier

 © Chrystel Courbassier©

Synopsis du film Fog de John Carpenter, 1980 : En Californie du Nord, le petit village de pêcheurs, Antonio Bayest sur le point de célébrer son centenaire. Mais la quiétude de la ville est perturbée par de mystérieux événements, dont le meurtre horrible de trois pêcheurs locaux, accompagné par un étrange brouillard lumineux qui s’étend sur terre et sur mer. Le prêtre de la localité, le père Malone, découvre le journal de son grand-père, qui contient un sombre secret inconnu des habitants actuels de la ville. Le journal révèle que, en 1880, six des fondateurs d’Antonio Bay (dont le grand-père de Malone) ont délibérément coulé et pillé l’Elizabeth Dane, un navire appartenant à Blake, un homme riche mais atteint de la lèpre qui voulait trouver un havre de paix pour lui et sa communauté aussi atteinte de la même maladie. Les six complices ont allumé un feu sur la plage près des rochers, et l’équipage, égaré par le faux phare, s’est écrasé sur les rochers. Tous les passagers du navire ont péri. La motivation des six était la cupidité et le dégoût de voir s’installer une léproserie à Antonio Bay. La ville et son église ont ensuite été fondées avec l’or pillé sur le navire échoué. 

Le brouillard mystérieux qui s’étend sur la ville est parcouru par les fantômes de Blake et de son équipage, qui reviennent, assoiffés de vengeance, pour le centième anniversaire du naufrage et de la fondation de la ville, afin de prendre la vie de six personnes. 

Citation d’ouverture : « Is all that wee or seem but a dream within a dream » (tout ce que nous croyons voir n’est qu’un rêve dans un rêve) Edgar Allan Poe.

Au terme d’une journée de fin de saison chaude. Après avoir généreusement tiédi les corps en selle essoufflés par l’effort, réchauffé les buissons et le sol recouvert d’herbes sèches, le soleil entame sa descente progressive derrière les montagnes. L’ombre commence à s’étendre et une masse brumeuse à se répandre sur le paysage caussenard. Brouillant la vue lointaine, elle s’avance, inquiétante, à petits pas sournois d’abord puis plus prestement. Marée montante, elle inonde inexorablement la terre sous son poids, camoufle l’horizon, efface les sentiers, recouvrant tout sur son passage d’un immense halo enveloppant. Happe les éléments, obscurcit l’atmosphère. Et de l’opacité perfide, jailliront bientôt quelque monstre terrifiant qui m’entraînera, me faisant disparaître à jamais. Tout repère effacé par la mer de nuages, cette terre que j’ai choisie soudain devient hostile. Cette terre qui me fascine, m’apaise et m’angoisse à la fois. Cette terre désertique, mystérieuse, peuplée de fantômes que je ne connais pas, d’histoires qui me sont étrangères comme je me sens parfois moi-même. Juste envie de fuir, se sauver, trouver un refuge, cesser de regarder derrière.

Texte et photo : Chrystel Courbassier

Ce texte a été écrit par Chrystel Courbassier, fidèle participante des Ateliers du déluge, pour le Club de Mediapart cet été 2020, et publié ici. La proposition était de décrire un lieu aimé en lien avec une œuvre d’art, une sorte de diptyque où l’un et l’autre se feraient écho en toute subjectivité. C’est ainsi en tout cas que j’ai compris la proposition. Marlen Sauvage

Un beau soleil, Chrystel Courbassier

Photo : Marlen Sauvage

Une liste

Du soleil, de la douceur, un café, cartables, école, réunion, visages, paroles, croissants, pain au chocolat, table, manger, barbecue, viande grillée, flambée, omelette, pommes de terre, champignons, salade, vin rouge, clafoutis, en reprendre, jardin, chaises, masques, désinfectant, visages, paroles, sonnerie, téléphone, écrits, entretiens, écran, échanges, messages, satisfaction, retrouvailles, visages, paroles, sourires, lettres, écrits, dessins, coiffures, tables, chaises, lumière, ordinateur, silence, pudeur, continuité, reprise, bien-être, verre d’eau, chocolat, se nourrir, de mots, de textes, d’aliments, de douceur, de soleil, des autres.

Un beau soleil

Il était beau le soleil ce matin, tout luminayant, tout gouleyant, t’aurais dû voir ça mon tendre, j’avais plus idée que ça existait un soleil tout rond, tout jaune, tout claironnant comme ça, si chatoyant et si gourmand qu’on aurait cru une grosse brioche de chez le boulanger du coin de la rue de l’église, tu sais, celui qui fait des croissants plus beurrés que le beurre, tout gros comme une baleine ce soleil, tellement magnifiquescent que quand j’ai sorti de la maison, j’avais envie de rire et de sourire à tout ce qui passait par là, même le bougre de voisin qu’a plus de dent et qui grogne tout le temps tellement si fort qu’on dirait un vieux bouc qu’aurait perdu ses cornes, j’avais envie de tout balancer, les corvées, les savates, la vaisselle, les marmots et d’aller me courir dans les champs avec toi, tous les deux, pour une fois, se coucher sur l’herbe toute douce et toute mouillée, chaude et humide, envie de m’empiffrer de douceurs, de ton odeur, de ta sueur et de me laisser remplir de lumière et de baisers salés qu’on se partagera comme des carrés de chocolat, et on se serrera les entrailles et on se scrutera dans les yeux, toi et moi, on se parlera des mots doux plus brûlants que le soleil et on oubliera un instant tout petit, tout minuscule, qu’il y aura un après et qu’un autre jour, il fera froid à nouveau et tu seras loin de moi à nouveau et on sera seuls à nouveau.

Chrystel Courbassier

Ma proposition d’écriture 
A la façon de Tarkos, dans son texte 
Le contre-jour, dresser une liste de votre environnement mental ici et maintenant, en un bloc de texte, où seuls se succèderont des mots séparés par des virgules. Puis dans un deuxième temps et un deuxième texte, écrire en vous inspirant de cette citation de Virginia Woolf :« Ecrivez. Soyez niais, soyez sentimental, lâchez la bride à toute impulsion, faites toutes les fautes de style, de grammaire, de goût et de syntaxe, débordez, culbutez, dans n’importe quelle prose ou poésie. Ainsi vous apprendrez à écrire. » Marlen Sauvage

Plaisirs minuscules, Chrystel Courbassier

©hjaynefoster. Montefalcone Appennino, Les Marches, Italie. 

Nouvelles lointaines

Dès le matin, en jetant un coup d’œil à son portable, on voit qu’elle nous a répondu. On lui a écrit juste hier soir, après des mois voire des années de silence et elle nous a répondu, tout de suite. On ne pensait plus guère à elle qu’épisodiquement, un texte écrit récemment dans un autre contexte, un brin nostalgique, on savait la relation rompue physiquement, par le temps et par la distance, on savait qu’il n’y avait plus à espérer et puis voilà qu’avec les événements, l’Italie au cœur des actualités, on s’est remis à penser à elle, pour de vrai, pour de bon. Et on a eu envie de lui envoyer ce petit message pour prendre de ses nouvelles. Elle, partie en retraite dans l’Italie des Marches. Elle, qui nous a accompagnée si régulièrement pendant sept ans. Elle nous a répondu aussitôt et pas juste une ligne mais plusieurs, des nouvelles, des encouragements, des propositions. La lire et la relire avec bonheur. Le lien existait donc toujours, latent, affleurant, près à ressurgir à l’aune d’un mauvais virus.

Retour à la maison
L’après-midi s’achève, il est l’heure de rentrer. On pose ses papiers justificatifs sur le siège passager aux côtés du sac à main élimé et on démarre. On ne croise personne sur la route, personne sur les trottoirs, pas de bus scolaire, pas de cris d’enfants, pas de bruit, même pas un gendarme au rond-point ! La route est étrangement morte. Et enfin on arrive. Un dernier virage à droite, en descente, il est là, avec son gilet bleu marine, la capuche sur la tête, un bâton à la main, en chaussettes. Il bondit et s’amuse sur la plate-forme bétonnée autour du muret, de la boîte aux lettres, il attend sa maman, rescapée du travail. Il accourt, fait la fête, nous sourit, nous enserre, nous inonde du récit de ses aventures journalières.  Tant de vie nous ravit. Après une morne journée, on apprécie l’accueil, on commence enfin à sourire à son tour, on se sent soudain moins seule. On retrouve des forces pour continuer, pour entamer la soirée dans une autre temporalité, avec une nouvelle énergie.

Chrystel Courbassier

Ma proposition d’écriture : Dans l’idée de La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules, de Philippe Delerm et sur ce mode du petit rien qui éclaire la vie, je vous propose d’écrire un plaisir minuscule. En ces temps de confinement, vous avez dû prêter attention à bien des détails du quotidien, que ce soit du côté du corps, des sensations, de la nature, de la vie à deux, des enfants… L’enjeu est d’écrire ces petits moments de plaisir avec légèreté ! MS

Le dîner, Chrystel Courbassier

© Marlen Sauvage – La can de L’Hospitalet

Le téléviseur trônait sur un meuble brun collé au mur, tapisserie années soixante-dix aux reliefs jaunis par les années. Dans tout l’appartement on pouvait entendre les voix mornes des deux candidats choisissant consonne ou voyelle de façon lente et saccadée. La comtoise égrenait ses secondes inéluctablement tandis qu’il lapait sa soupe dans un bruit de succion régulier. Chaque trois cuillérées, il portait de façon méthodique son crouton de pain rassis à la bouche, en croquait un morceau laissant tomber quelques miettes dans l’assiette. Il avala une gorgée de mauvaise piquette avant de porter le regard à l’écran. Après un bref instant, sept lettres : arriéré, il marmonna avant de retirer dans une moue grimaçante et à l’aide d’un cure-dents un bout de poireau coincé entre ses dents. L’assiette restée vide devant la sienne. Il acheva son potage puis se leva pour aller remettre proprement la chaise en place face à l’assiette vide. Il revint s’asseoir à sa place. L’animateur, vainement enthousiaste, dictait les chiffres à présent. Il se leva à nouveau, déplaçant son corps raide et épais jusqu’aux toilettes, ne prenant pas la peine de fermer la porte derrière lui, plus besoin. Après un jet d’urine puissant et prolongé dans la cuvette, il retourna se poser sur sa chaise, satisfait, achevant d’avaler son morceau de pain. Il attendait la suite, jeta un coup d’œil vers la cuisine restée allumée, s’apprêta à parler puis se ravisa, savait que ce n’était plus la peine. Il se décida enfin à se relever et traîna ses savates élimées jusqu’aux fourneaux. On l’entendit heurter un corps mou, l’enjamber, soulever un couvercle, renifler bruyamment et revenir vers la salle à manger, une casserole de daube réchauffée à la main. Le compte est bon, il se rassit, écouta la solution et piocha directement dans le plat.

Texte : Chrystel Courbassier

[Atelier en Cévennes, les textes (3)]

Rappel de la proposition
Il s’agissait de construire des personnages à partir de situations, d’actions, de description des lieux, sans que l’on sache grand-chose des personnages ni de leurs intentions. Pas de monologue intérieur, par exemple, pas de « tentation psychologique ou explicative »1. L’auteur convoqué est Cormac McCarthy, L’obscurité du dehors. MS

1- Une proposition issue d’un vieux bouquin que j’utilisais au début de ma pratique d’animatrice, très bien fichu, Atelier d’écriture : mode d’emploi, d’Odile Pimet (1999).

Joséphine, Josépha…

Atelier d’écriture en Cévennes, des photos étalées sur la table, la même image existe deux fois ; deux participantes, sans le savoir, écrivent donc par hasard à partir d’un document identique. Le plus étrange reste le prénom similaire qu’elles choisissent pour leur personnage principal, alors qu’elles se tiennent chacune à un bout de la table, séparées par trois ou quatre autres écrivaines… 

Joséphine est assise sous le tilleul avec ses deux enfants, Emile, le bébé, et Jeanne, sa petite fille. Elle a demandé à l’oncle Marcel de la prendre en photo avec ses enfants, là, sous le tilleul, pour qu’elle puisse envoyer une photo à son mari qui est loin, là-bas, dans l’Est, parti pour arrêter l’ennemi. Elle ne sourit pas, son visage est lisse, son regard est caché par son chapeau, cadeau de son mari bien-aimé, et elle est vêtue de noir. Un pressentiment ? Une inquiétude ? Le départ de son mari est déjà un deuil. Se retrouver seule, avec deux enfants en bas âge, la maison à faire tourner, et travailler dans son petit atelier de couture. Les commandes se font rares, les temps sont difficiles. 

Joséphine n’a pas envie de sourire. Elle entend les plaisanteries grivoises des quelques hommes qui restent : des vieux surtout et des très jeunes. Les autres sont tous partis. Ce sont les femmes, et même les enfants qui travaillent et s’occupent des fermes. Elle resterait bien là toute l’après-midi à poser sous le tilleul. Elle n’a pas envie de retourner se mêler aux invités du repas dominical, de répondre aux questions pressantes de ses parents et d‘écouter les prédictions alarmantes sur la guerre. De la cuisine, sa mère l’appelle d’une voix énergique. Elle se lève, hésitante, à regret, elle quitte son refuge et retourne dans le brouhaha des discussions.

Le père de Joséphine est inquiet. Il regarde sa fille et ses petits-enfants. Est-ce que ce sera, elle, la prochaine. Non, surtout pas ça. Il est maire du village et c’est lui qui recevra la lettre fatidique. C’est lui aussi qui devra annoncer la terrible nouvelle. Lui n’est pas parti, trop vieux, avec un bras en moins, perdu, un jour, à la scierie. Il tente de faire au mieux, de rassurer sa famille, les voisins, les amis, mais certains jours, le cœur n’y est vraiment pas.

Texte : Liliane Paffoni

Joséfa s’était pointée là pour la photo, contrainte et forcée, la pauvre. Cela faisait trois fois que le photographe lui faisait faux bond, cuvant à chaque fois derrière son comptoir les litres de gnole ingurgités pendant la nuit. Il pestait de longue après sa femme partie avec le facteur trois mois auparavant. Oui, mais voilà, Joséfa, elle y était pour rien elle dans tout ça. Ce jour-là, il faisait un froid glacial, elle se serait bien passée d’aller se vêtir comme une dame des villes avec son chapeau ridicule que sa voisine, la mère Paulette, lui avait prêté pour l’occasion. Les bêtes l’attendaient à l’étable, son René était à l’hôpital depuis la veille à cause de vertiges qui le prenaient depuis plusieurs jours et c’était elle qui devait prendre le relais en son absence. Enfin, entre sa fille qui venait de vomir ses tripes après avoir mis à la bouche la balle baveuse du chien de la mère Paulette et le petit qui ne faisait toujours pas ses nuits et qui lui causait du souci par-dessus le marché parce qu’il grandissait pas comme les autres celui-ci, et tout le monde le regardait au village d’un air contrit comme si elle avait pondu un monstre, elle savait pas ce qu’il avait à la fin, il souriait jamais, il tenait même pas encore sa tête et il était gras comme un bouddha. Elle devait voir le docteur mais ne se décidait pas. La photo serait ratée mais tant pis, il fallait le faire et l’envoyer à ses beaux-parents qui habitaient loin là-bas en Alsace et ils avaient encore jamais vu les enfants, c’était pour leur faire plaisir, ils avaient donné des sous pour ça dans une petite enveloppe, même que la petite, qui faisait décidément que des âneries, quand elle l’avait ouverte l’enveloppe, elle avait déchiré un billet de 10 francs, Joséfa était verte de rage, elle lui avait foutu une taloche et l’avait envoyé au lit la petite sans manger ce soir-là. René l’avait défendue, c’était pas grave, qu’il disait mais elle, elle savait que déchirer de l’argent, c’était grave et ça portait malheur. 

Chrystel C.

Photo : collection personnelle de Marlen Sauvage

Trop loin, peut-être, par Chrystel C.

Photo : ©Marlen Sauvage

Soixante-cinq jours qu’il la séquestrait là, comme un animal. Il passait une ou deux fois par jour pour lui changer son eau ou bien lui déposer quelques restes de nourriture séchée. Elle ne savait plus très bien comment cela était arrivé, comment les choses avaient tourné sans qu’elle n’y prît garde. Au début, tout se passait plutôt bien, il était amoureux, elle en faisait ce qu’elle voulait. Elle l’avait convaincu de placer sa mère dans une maison de retraite, prétextant qu’ainsi, elle serait mieux soignée. Dix mois avec elle à la maison avaient été de trop ! Elle ne la supportait plus, elle avait pourtant essayé plusieurs fois d’abréger ses souffrances en s’emmêlant les pinceaux dans la posologie des dizaines de cachets qu’elle lui administrait chaque jour mais la vieille, coriace, avait toujours résisté. Bon, une fois ce problème réglé, il y avait eu celui de son travail. Il travaillait trop à son goût et puis, elle avait besoin de lui, besoin qu’il soit là, à ses côtés, à prendre soin d’elle. Alors elle avait simulé une dépression nerveuse carabinée, feignant la tentative de suicide à chacun de ses départs. Il avait fini par capituler et avait posé sa démission. Il avait des réserves sur son compte en banque, elle le savait, il n’aurait qu’à puiser dedans. Là, ça avait été le meilleur moment, l’avoir près d’elle à chaque minute du jour et de la nuit. Elle l’appelait, il accourait. Ils se faisaient livrer les courses, tout pouvait se faire par internet à présent, plus besoin de mettre le nez dehors. Même son gosse prenait le transport scolaire pour aller à l’école et pour rentrer le soir. Bon ça, ça avait été un problème plus épineux à régler. C’était peut-être là d’ailleurs que tout avait basculé, qu’il avait peut-être compris que quelque chose n’allait pas. Pourtant, elle avait bien joué le jeu, elle avait tenté d’être au maximum de sa gentillesse quand elle lui avait cuisiné, exprès pour lui, une belle omelette aux champignons qu’elle était allée ramasser la veille lors d’une ultime sortie en forêt, avant qu’il ne parte avec le voisin à son entraînement de football. Il lui fallait des protéines avant toute cette activité physique. Ensuite, elle avait entendu dire que le pauvre malheureux s’était effondré sur le terrain après s’être vidé de ses entrailles. Et malgré l’intervention rapide des pompiers, ils n’avaient pas pu le sauver. Grégoire ne s’en était pas remis. Toujours est-il qu’elle ne l’avait pas vu venir le jour où il l’avait attrapée par les cheveux et enchaînée comme une bête dans le sous-sol de leur maison. Elle était peut-être allée trop loin, songeait-elle en regardant les pierres grises de la voûte… 

Texte : Chrystel C.

Un texte écrit en atelier d’écriture avec le groupe de Florac, 2018.

Petits bonheurs (90)

chrystel-les-ateliers-du-deluge

« Entre le blanc du sable et le bleu de la mer, quelques touches de violet pour le plaisir des yeux »

Texte et photo : Chrystel C.

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1 image et 1 phrase à m’adresser à
marlen.sauvage@orange.fr
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D’un mot à l’autre, par Chrystel C.

@marc-guerra-ateliers-du-deluge

Capricieuse

Où l’insatisfaction guette à chaque coin de rue

Rue

rue de son enfance, rumination, rumeur, ruade contre le temps qui passe

Temps

qui blesse sans vergogne, qui ne lâche rien, pas même une poussière de soi

Poussière

voile léger sur mon âme, je souffle et tu t’envoles

Souffle

ton air chaud dans mon cou adoucit mes rancœurs, apaise mes colères

Apaise

comme une main posée sur sa joue jusqu’à ce qu’elle s’endorme

Main

toujours tu valses, tu caresses, tu entoures, tu es la vague sur la mer bleue qui berce

Valsent

les mots, les voix, les rires, les arbres qui se balancent en chœur au fil des heures

Voix

d’hier et d’aujourd’hui, envoûtantes, éclatantes, autant qu’effrayantes, voie rapide, voie sans issue

Effrayante

la noirceur de la nuit, le vide intersidéral du silence, lourdeur des insomnies

Nuit

tu viens parfois trop vite, parfois trop peu, promesse de rêves et d’infinie torpeur

Torpeur

tu as tort d’avoir peur, aie confiance et fais semblant d’y croire, redeviens capricieuse

Capricieuse

où l’insatisfaction guette à chaque coin de rue.

Texte : Chrystel C.
Photo : M. Guerra

Un texte écrit en atelier à partir d’une proposition que j’ai intitulée « D’un mot à l’autre », inspirée d’un texte de Anna Jouy, publié sur sa page Facebook le 5 avril (à lire ci-dessous). Marlen Sauvage

poète

– se demande si 58 kilos ce n’est pas trop pour le plaisir et le goût éthéré des choses

choses

-un mot que j’aime bien, comme s’il soutenait tous les indéfinis de trottoir et que cela m’exemptait de chercher à monter et à les assembler

assembler

-peut-être mais trop souvent, il faut ensuite en découdre, un fil sous la peau et puis le trou suivant… encore.

découdre

-c’est un poing dans l’espace, je ne frôle que le vide, la fuite, et je ne les bats même pas.

frôler

-caresse inaboutie qui tient entre ses dents, son chapeau. toutou sage et formaté. la peur est une amante sans la moindre idée de mon désir

chapeau

-toujours le porter sur le côté responsable. la vie se vit avec un rebord large, comme un anneau de Saturne. mais que des manèges et des tournées de veste

anneau

-je le retiens celui-là, pour toutes les conneries qui passent au travers du feu et n’en sortent même pas roussies

conneries

-fortes, âcres, sentant leurs reflets fauves, oppression de pores et remugles de caniveau où je navigue- paraît que je suis folle-, c’est l’essentiel à dire. je n’en doute pas. ça suinte.

doute

-pourtant. tout est fuites sans corde de rappel. les choses n’ont pas de prix, ne valent pas certes le temps de disparaître. elles vont dans le silence, silence de ce qui est mort.

silence

-pour en finir. on y voit la liberté de vivre, selon soi. à l’autre bout, il n’y a personne – parait-

mais j’en doute

poète

-58 kilos de mots et de gras sur les papiers.

©Anna Jouy