Étiquette : déluge
La fève bleue, Anne Lavenant
Premier texte :
Il s’agit d’un tableau carré de 20 x 20 cm. Une photo prise en plongée, qui a été retravaillée comme une photo ancienne, sombre et froissée. On y voit une femme assise à une table de bois, qui écosse des fèves. Elle est brune, les cheveux relevés en chignon. Elle porte une robe rouge décolletée qui laisse voir sa peau dorée et ses bras nus. A son annulaire gauche, une alliance dorée. Elle tient entre ses mains une cosse de fève. Devant elle, sur la table, une vingtaine de cosses sont entassées, quelques fèves sont déjà écossées. A sa droite, un verre à pied, dans l’ombre, contient un liquide rouge sombre. De part et d’autre du verre, trois tomates sont posées là ainsi qu’un bol en terre. En face de la femme, de l’autre côté de la table, légèrement sur la droite, il y a une autre chaise. On aperçoit au sol le pied gauche de la femme sur les grandes dalles de carrelage clair.
Deuxième texte :
Elle avait attendu le printemps avec fébrilité parce qu’à la fin de l’été, elle avait rencontré une drôle de petite fille qui lui avait dit qu’elle trouverait la réponse à ses interrogations dans une cosse de fève… Cela l’avait beaucoup intriguée. Qui était cette petite fille au regard sérieux et profond qui se promenait sur la plage ce soir-là ? Et pourquoi s’était-elle arrêtée devant elle longuement en la regardant ? Elle n’avait pas osé l’interroger, c’est la petite qui lui avait souri et lui avait dit : « Je sais des choses dans le cœur des grandes personnes, veux-tu savoir ce que je vois chez toi ? ». Tu feras un choix qui déterminera ta vie, alors attends le printemps et tu trouveras la réponse en épluchant une cosse de fève. Puis la gamine avait ri et s’était enfuie en courant.
Elle n’avait alors pas attaché d’importance à cette rencontre. Mais dans l’hiver, elle s’était trouvée devant un dilemme… Quel choix faire ? Et la phrase de la petite fille lui était revenue… Et si elle attendait le printemps pour se décider ? Aussi quand les pommiers ont refleuri, elle est allée au jardin et a guetté les tiges des fèves jusqu’à ce que les cosses se forment et gonflent, prêtes à être cueillies.
Elle a rapporté sa cueillette à la maison et s’est mise à l’écosser. Elle adorait les fèves fraiches, crues, avec un morceau de pain beurré… Et là, quelle surprise ! En ouvrant cette cosse, une fève d’un beau bleu jaillit de son écrin et tomba sur la table. Elle sut tout de suite que c’était là le signe annoncé par la petite fille et le choix qu’elle devait faire… Elle serait infirmière et non sage-femme, en effet elle hésitait depuis la rentrée quant à son orientation, car il fallait déposer les dossiers d’entrée dans les écoles avant le mois de juin. Jusque là elle avait envisagé les deux orientations sans parvenir à se décider. Mais la couleur bleue de cette fève extraordinaire lui indiquait clairement qu’elle serait infirmière car les élèves infirmières portaient une blouse bleue la première année, alors que les élèves sages-femmes portaient une blouse rose !
2010/Une cage d’étoiles, Monika Espinasse

Le 10 mars 2010 avait lieu une séance d’initiation à l’atelier d’écriture, dans les locaux de la bibliothèque de Florac, et à l’initiative des Amis de la bibliothèque.
Monika Espinasse a signé le texte qui suit, rédigé en une vingtaine de minutes sur une suggestion au croisement du réel, de la mémoire et de la fiction.
Elle était enfermée dans une cage pleine d’étoiles et de fleurs bleues. Elle était triste. Il n’y avait personne pour l’aider à en sortir. Même la jolie coiffe de plumes sur sa tête ne lui était d’aucun secours. Arlequin aussi était parti. Il lui avait promis de revenir, lui avait même laissé un calendrier pour qu’elle pense à lui, mais elle n’avait aucune nouvelle de son retour.
Alors elle s’échappa en rêve. Elle monta sur la plus haute crête pour le guetter. Elle suivit un sentier de plus en plus raide, escalada la pente de sable blond. Ses pieds s’enfoncèrent dans le sol tout mou. Elle peinait, mais elle continuait à monter. Tout en haut, le ciel bleu l’enveloppait, le soleil l’aveuglait et courbait ses épaules. Elle flottait dans l’air. De là-haut, elle pouvait voir partout, les paysages comme les gens qui – minuscules points dans ce vaste monde – vaquaient à leurs occupations. Elle voyait tout, mais elle ne trouvait pas Arlequin parmi eux. Découragée, triste, elle descendit de cette montagne si haute, si belle, si dorée, elle glissa, glissa le long de la pente. La montagne se mit à chanter doucement…
Elle se réveilla en sursaut, en pleurs, dans sa cage pleine d’étoiles et de fleurs bleues. Arlequin était là. Il avait réussi à trouver la clef de la serrure qui enfermait sa douce amie. Il ouvrit, la prit dans ses bras et la consola. Puis ils partirent loin, loin de la cage sur la montagne dorée où les fleurs bleues poussaient dans la terre et où les étoiles brillaient dans le ciel.
Droits réservés pour cette photo issue du site http://www.photo-fotos.com/
2010/Un abécédaire avec des CP

Bruit de pages
Ils ont aimé ça les petits CP de l’école publique de Florac, revoir l’abécédaire, en fin d’année dernière, sous une forme ludique et imagée ! Le projet était celui de deux institutrices qui ont fait appel aux Ateliers du déluge pour animer les jeux d’écriture, à un plasticien pour les travaux de land-art, et à l’association Kaméléon pour la fabrication d’un livre réunissant l’ensemble des travaux.
Pour être plus précise encore, ce projet s’inscrivait dans une manifestation initiée par la Bibliothèque départementale de prêt de la Lozère, « Bruit de pages » dont l’objectif est de diffuser la connaissance sur le territoire lozérien en allant à la rencontre du public. En travaillant avec les bibliothèques du département, aussi. La bibliothèque de Florac était donc partenaire de cette initiative. Pour cette première édition de Bruit de pages, la thématique proposée était celle de l’environnement.
Petite promenade dans l’imaginaire des enfants des classes de Isabelle Agulhon et Anne-Lyse Mazauric
G comme Greffe
L’arbre-musicien jouerait de la musique dans le vent
Le caillou-magicien transformerait en bonne terre tous les cailloux du jardin
La rivière-pompier éteindrait tous les feux
La feuille-pâtissière fabriquerait des mille-feuilles !
Z
ZZZZ… ZZZZ… Ce matin-là, Aziza, la petite abeille à la robe rayée jaune
et noire, sortit de la ruche pour butiner quelques fleurs. Assoiffée, elle but une goutte d’eau sur une feuille de maïs et se sentit mal. Un bourdon,
qui vit tomber la petite abeille, la rattrapa et prévint la colonie. Les abeilles décidèrent de quitter la ruche, et l’essaim s’envola vers un jardin biologique où les propriétaires n’utilisaient pas de pesticides. Comme les propriétaires avaient une ruche vide, celle-ci accueillit les abeilles de la colonie.
De Hugo Eluchard et Kevin Costner !
Sur l’idée d’une salade de vers…
On n’avait pas de pain
et on allait pieds nus
Tels des loups ennoblis
par leur disparition
Dans une chambre abandonnée
Une chambre en échec
On s’endormait dix mille
On se réveillait cent.
2009/La chapelle, Liliane Paffoni
Mon origine se perd dans la nuit des temps… Je suis si vieille que ma mémoire défaillante ne peut plus vous dire pour quelles raisons des mains noueuses, des mains robustes ont, un jour, mis bout à bout les pierres du Causse pour me faire naître. Je conserve dans mes veines la chaleur des étés torrides, le froid mordant des hivers sans fin, le vent glacial des automnes. Ma beauté est pure et simple : pas de fioritures superflues ni de lignes sophistiquées. Je vis avec mes souvenirs, mes joies, mes blessures, mes peurs aussi…
Je saigne et je pleure quand on perce ma porte : c’est une opération à cœur ouvert. Je frissonne de plaisir quand des mains douces ou rugueuses caressent mes flancs pour sentir vivre sous leur peau mon cœur qui bat. Je me réchauffe quand le soleil darde ses rayons à travers ma rosace colorée. Je tremble et j’ai peur quand le feu tourne autour de moi comme une bête féroce qui ne veut pas lâcher sa proie. Je donne la vie quand j’accueille dans mes entrailles deux minuscules graines d’épilobes en épi qui croissent entre les lauzes de mon toit. Je suis même un peu coquette. J’aime quand on me rend plus belle et que je retrouve mon éclat perdu à cause du temps et des intempéries. Mes rides disparaissent. C’est dommage que je ne sois pas sollicitée pour que je donne mon avis. Je n’aime pas du tout, mais pas du tout, le grillage posé sur un de mes modestes vitraux. Pourquoi?
Causse Méjean, 30 juillet 2009, balade « Mémoires de pierres ».
Photos : M. Sauvage
Mon petit tas de pierres, Elia

Photo : DR
C’est le soir, une nuit d’orage.
Le tonnerre éclate au lointain, les éclairs fusent en brûlots incandescents dans le noir. Une pluie diluvienne s’abat sourdement contre la porte d’entrée.
Dehors, la bourrasque tournoie, s’apaise par moments et revient à la charge en vagues saccadées.
Le vent rugit, trépigne, s’infiltre en sifflant entre les pierres disjointes des vieux murs.
Sur le toit, les lauzes s’ébranlent mais résistent…
L’immense frêne, gardien des lieux, plie, gémit, se redresse, se cambre et se laisse emporter au pas de cette valse lancinante.
Les éléments se déchaînent… C’est une belle tempête, comme je les aime !
La chevêche s’est blottie dans le fenestrou, mon chien s’est réfugié dans l’alcôve. La voûte pleure en une myriade de stalactites qui gouttent et s’étalent en flaque au pied de la cheminée de guingois…
Assise à même le sol, sur les dalles tiédies par la chaleur de l’âtre, j’écris à la lueur d’une bougie… Il n’y a pas âme qui vive à la Retournade et je me sens bien, à l’abri dans ma petite maison de pierres.
Le temps s’est figé dans l’immensité cacophonique de ce désert de calcaire et je frissonne d’un plaisir égoïste… La solitude, quel bonheur !
Mon clapassou, mon petit tas de pierres, ma maison…
Dans la nuit, Elia

Photo : ©Adri
http://www.flickr.com/photos/otge/
Dans la nuit, le Causse soupire,il semble, non, il jouit avec la lune au sein du chaos de pierrailles qui se meut en vagues minérales à l’infini.
Les cheveux d’ange ondulent sous la caresse du vent.
Matin et soir, sac et ressac de tendresse planent au-dessus des herbes sèches.
Les lauzes, brûlées par le soleil, s’étalent lascivement sur l’échine de la voûte céleste.
A l’infini, les ventres nuageux sucent l’ocre du calcaire : je ferme les yeux au chemin de tes pas.
J’ai rêvé du néant, rompu les chaînes du quotidien et frissonné au passage aérien de l’apollon… Plaisir irréel d’un autre monde ce jour-là : le ciel était mauve, zébré de bleu électrique. Je me suis enfouie lascivement dans les entrailles de l’aven.
Mes pensées valsaient en zone interdite tout au fond de ton monde souterrain et la terre dégustait les mots que je te destinais…
Je n’oublierai jamais. Toi, tu as poursuivi ta route, le regard dans les étoiles et je me suis endormie, dans ce paysage, où seules les pierres pensent..
A l’oreille du Causse, Elia

En cette fin de journée, les grillons stridulent, s’époumonent à retenir le soleil.
Les oiseaux pépient, s’interpellent pour observer un silence consterné au passage sonore et métallique d’un avion.
Le temps s’arrête à l’écho des moteurs qui résonnent lourdement dans la moiteur des rares nuages.
Soudain, l’appel d’un bruant jaune, aigu, ponctué, régulier, reprend le ballet mélodieux auquel se joignent gaillardement tous ses congénères. Les mouches bourdonnent, vrombissent en quête d’une nourriture sucrée dans le léger sifflement de l’air où se décalquent les murmures lointains d’une conversation – un volet claque – des pierres gémissent sous les roues d’une voiture qui arrive…
Les sons se massifient lentement dans l’immensité calcaire sous le fondu ruisselant d’un robinet qui fuit, les casseroles tintent en cuisine, bruissement des pages refermées d’un livre… La radio s’éveille au journal du soir… C’est l’heure de passer à table.
Photo : M. Sauvage
Ce soir-là s’est ajoutée la honte, Hélène Barathieu
« Je ne pouvais plus passer devant le château de Monsieur P. sans être assailli par la rage. Rage à cause de ce procès révoltant. Ce soir-là, s’était ajoutée la honte. Honte parce que j’avais manqué de courage. La peur m’avait noué. Marcel m’avait lancé, alors que je rentrais de la ferme de Cochoneplo, que je n’étais qu’un pauvre bougre, un drôle de trouillard. Il l’avait crié très fort, de l’autre bout du chemin, et j’étais parti en courant, sans rien répondre, ce qui me trahissait. J’avais couru, couru, et c’est là, près de cette barrière où j’avais senti comme une présence d’homme muet, et que je m’étais arrêté, à bout de souffle.
Finalement P. a soupçonné Armand et son père, parce qu’ils les avait humiliés publiquement un jour de foire. Il les avait accusés de mettre des cailloux sous les sabots de ses chevaux pour les faire boiter. C’était faux. P. a appris la vérité quelques jours plus tard : c’était son propre fils qui avait fait le coup, pour s’amuser. Il ne s’est jamais excusé.
De toute façon, tout le monde lui en voulait et n’importe qui aurait pu abattre ses arbres. Avec ces nouveaux mûriers, il augmentait encore son prestige en nous exploitant chaque jour un peu plus. Notre seigneur ne respectait plus rien des lois du Seigneur, le seul qui mérite une majuscule sur les papiers, le seul qui mérite qu’on lui obéisse.
Je n’aurais pas dû fuir devant les moqueries de Marcel. J’aurais dû me planter face à lui et lui dire tout ça. Il aurait compris s’il m’avait écouté. Mais Marcel était fort comme le bœuf des Pantel, alors que tous me surnommaient le Magnan. Et c’est pas avec ce que P. nous laissait pour manger que j’allais grossir. En perdant mon meilleur ami et son père, qui avaient été vidés du domaine, j’avais payé moi aussi pour ce sale coup qui n’était que justice. Parfois me venaient des envies de brûler tout le château, et de les tuer tous, ces gens qui s’engraissaient sur notre dos. »
Balade écriture du 9 août 2009, à la Magnanerie de la Roque.
Ce texte répond à une suggestion d’écriture basée sur un incident raconté dans « Les seigneurs de la soie », de Jean-Paul Chabrol.