Et après avoir écrit durant 39 jours dans son carnet, quelles instructions faudrait-il suivre pour que celui-ci continue ? C’est le quarantième et dernier texte des 40 exercices pour le carnet d’écrivain. Rien d’exhaustif à cette liste très personnelle !
Ce à quoi il faudrait se tenir pour continuer ce carnet ou un autre et plus largement, écrire au long cours:
D’abord, « ouvrir » un carnet pour le récit, les nouvelles, le recueil en cours (ou poursuivre celui-ci donc) avec l’idée d’y noter chaque jour quelque chose en lien avec le projet : une scène, une réflexion sur un personnage, une situation, une citation qui viendrait nourrir l’écriture, etc.
Faire le choix d’un carnet « générique » ou de plusieurs carnets si l’on travaille plusieurs projets en parallèle, auquel cas les intituler selon leur objet…
Garder donc toujours le carnet en question et de quoi écrire sous la main, un carnet facile à trimballer dans son sac, dans une poche, un tout petit crayon à papier feront l’affaire…
Pour écrire en marchant, ne pas négliger l’intérêt d’un enregistreur (le téléphone portable suffit).
Observer la rue, la ville, la campagne, les individus croisés, prendre des notations sur tout ce qui surprend, même les choses les plus ténues, surtout elles sans doute.
Lire et relire ses auteurs favoris, se nourrir d’un style, d’une pensée, se saisir d’une idée surgie au hasard d’un mot, d’une phrase, d’une image entrevue dans l’entre-deux de la lecture et de la rêverie.
Lire bien sûr les livres qui ont déjà traité du thème, du sujet que l’on aborde pour y trouver sans forcément le chercher l’indice qui permettra d’avancer, de voir l’angle qu’on n’avait pas imaginé..
Décider d’une forme avant de s’interroger sur un style d’écriture.
Consulter les journaux de l’époque qui nous intéresse, l’actualité politique et sociale, culturelle…
Faire un tour du côté des artistes en tous genres (peintres, sculpteurs, collagistes, photographes, architectes…) pour s’emparer d’une couleur, d’une tonalité, d’une ligne…
Ecrire, écrire, écrire.
Ne pas négliger l’apport des dictionnaires de toutes sortes : symboles, synonymes, analogiques, historiques, étymologiques, vieilles éditions, etc.
Ecrire pour soi, oublier « les lecteurs ».
Ne pas se satisfaire d’un premier jet sous prétexte qu’il a été écrit justement d’un seul trait.
Ne pas faire lire son travail en cours à des proches !
Laisser mûrir un récit, le relire avec distance, comme un lecteur lambda et…
Décider de le ranger au fond d’un tiroir, voire de le détruire, l’important est peut-être de l’avoir écrit.
Couper, couper, couper sans état d’âme et amender son texte jusqu’à en être satisfait.
Le faire relire à deux ou trois personnes de confiance, dont on pourra entendre les critiques sans penser à se jeter du premier pont venu.
Cette avant-dernière proposition du Carnet d’écrivain (40 exercices pour le carnet d’écrivain, éditions tiers-livre) fait appel au rêve comme matériau d’écriture… Comme je les consigne ici dans une série intitulée Rêves – bien qu’il paraît que c’est ce qui intéresse le moins les lecteurs (tant pis) – j’ai passé en revue les thèmes récurrents et retenu celui de la claustrophobie.
Ce sont de grands espaces – salles d’exposition, pièces d’accueil, immenses chambres, routes – où la tonalité reste blanche quel que soit le rêve. Blanc, lumineux, clair. Des espaces peuplés d’inconnu.e.s que je croise, auxquel.le.s je parle parfois, qui me questionnent… Je suis toujours accompagnée de proches, d’amis. Invariablement, à un moment donné du rêve, quelque chose vient « recouvrir » un morceau de l’espace : rambarde, route… Cela prend la forme d’algues, d’eau mazoutée, de goudron… Des rêves assez souvent liés à des morts proches ou advenues.
Dimanche 5 mars Et je n’ai rien écrit encore dans ce carnet (moleskine rouge, pour Patricia Lacourte 😉). J’avais noté dans mon agenda que j’ai choisi large et épais pour cette année 2023 : « Envoyer L’heure attendue à Amélie + photo ». Cette « heure attendue », premier épisode d’un jeu littéraire intitulé « Va-et-vient », que nous mettons en route avec Dominique Hasselmann et Amélie Gressier, justement (alors que se joignent à ce projet Brigitte Célérier et Dominique Autrou). J’ai donc écrit ces derniers jours. Sous cette note, dans mon agenda, « mal en point ». Et cela ne s’était pas arrangé puisque le jeudi 2 j’indiquais « couchée toute la journée, bronchite, maux de tête ». Le souvenir que le moindre bruit me vrillait le. cerveau. Enfin le 3 mars, notre ronde de textes apparaissait sur nos blogs respectifs et déjà nous avions en tête notre prochain défi « Ce drôle d’effet ». J’allais mieux le samedi 4, jour de la réunion des copropriétaires de mon petit immeuble, puisque nous nous retrouvions réunis autour d’une bouteille en compagnie de ma nouvelle voisine – et donc des anciens – venus faire leurs adieux à leur lieu de vie. Ne jamais sous-estimer le deuil que suppose un déménagement. A. en est sans doute le plus affecté. C’est ce jour-là que j’ai visité, en bonne compagnie donc, l’immense appartement du dessous (600 m2) de HLS, 80 ans cette année, mis en vente dans sa totalité et ne trouvant pas acquéreur… Voué à une partition en quatre appartements distincts. Ces premiers jours du mois, je les ai consacrés à la lecture et l’écriture : terminé Aux îles Kerguelen de Laurent Margantin, dont je lis aussi la lettre mensuelle. Ainsi que Le grondement de la montagne, de Kawabata, lu en grande partie la nuit, puisque celles-ci sont amputées de deux bonnes heures systématiquement que je n’aime pas perdre en seules rêveries. Lu donc, et écrit, car je me tiens quotidiennement aux 40 exercices pour le carnet d’écrivain de François Bon. Ce dimanche 5 mars, en admiration devant les toits de l’église, à l’écoute de sa cloche sur le coup de 18 heures dans la lumière douce de ce soir froid, j’ai passé une heure au téléphone avec Julie, planché sur deux propositions exceptionnellement pour prendre un peu d’avance compte tenu du programme de demain. Mais ensuite une et une seule par jour, comme convenu avec moi-même.
Du 6 au 10 mars En Cévennes gardoises (le système me propose « grandioses », ça me va aussi), pour garder la petite-fille à béquilles. J’admire le soir penché sur la clairière… Une seule journée pour nous, ce sont les vacances ! Et du sommeil à rattraper. Une tempête, un gros coup de vent en fait, qui se déchaîne la dernière nuit de notre séjour. Chaises de jardin sur la terrasse jetées en bas, plantes renversées, pots divers tombés à l’étage en-dessous ! On repart le vendredi matin après un passage à Thoiras au magasin de producteurs. Pique-nique à Lussan devant la vallée et ses champs labourés.
Samedi 11 mars Carnet d’écrivain, 17e proposition. Je sèche. Retour à Vinsobres.
Mardi 14 mars Visite à S. et R. à l’Unité de soins longue durée. S. me répète que son anniversaire aura lieu la semaine prochaine, le 21 ! Je file lui acheter une carte d’anniversaire.
Mercredi 15 mars Journée de manif à laquelle je n’irai pas. Virée prévue de longue date avec J., à la Fontaine de Vaucluse entre mistral et confidences. Et puis Pernes-les-Fontaines et ses ateliers d’artistes au chemin marqué de petits soleils jaunes. Je découvre sur FB que François m’a envoyé le lien vers la compilation des textes issus de 40 exercices pour le carnet d’écrivain. Contente comme tout, et me demandant encore comment cet homme parvient à accomplir tout ce qu’il propose…
Jeudi 16 mars Une séance de spa ionisant et l’apparition de drôles de bulles sur l’eau ! Demander l’AVE pour le Canada et prendre contact avec Karen pour l’échange d’appartements. Elisabeth Borne et le 49.3.
Vendredi 17 mars Un repas d’anniversaire au vin blanc, viognier fruité et parfumé à l’apéritif (Roucas Toumba), puis côtes du Rhône bio, du domaine Julien de L’Embisque, superbe pour accompagner le foie de lotte et le grenadin de veau.
Samedi 18 mars Quel binôme pour le prochain Va-et-vient ?
Lundi 20 mars Grosse journée où je supprime la réunion du matin à laquelle de toute façon je n’étais pas prévue initialement. Du temps pour revoir mon cours d’italien du début d’après-midi, avant de filer chez le toubib et puis cinéma ce soir. Le fameux Interdit aux chiens et aux Italiens, manqué deux fois déjà et que nous partons voir à Bollène.
Mercredi 22 mars Mon rêve foisonnant dans les tons gris et blancs bleutés de cette fin de nuit, se terminant dramatiquement par le départ d’une enfant et sa poupée. Elle traversait un porche pour aller dans la campagne et sautait sur une mine tandis qu’une voix off assénait « La guerre est à prendre ».
Jeudi 23 mars Manif monstrueuse à Nyons. Dos et hanches en compote.
Vendredi 24 mars Formation FRAPP. Encore une bonne journée pour clarifier notre mode de fonctionnement au sein de C & R…
Dimanche 26 mars « On ne doit pas y être si mal puisque personne n’en revient » disait ma mémé du Cateau à propos de l’autre côté de la vie (Jo).
Mardi 28 mars Visite aux dames de l’USLD. Colère de R. qui me raconte comment elle s’est sentie maltraitée par une nouvelle aide-soignante… Je transmettrai à qui de droit. Ce matin, séance ostéo et sa question étonnante. La vie et ses drôles de rencontres depuis ces dernières années…
Jeudi 30 mars Jour de marché. Mon préféré de la semaine ici ! J’achète du persil et de la ciboulette pour mes jardinières…
Vendredi 31 mars Loupé le n° 36 hier des 40 exercices…
Elle glisse ses paumes tièdes sous le bas du dos de la patiente, appuie légèrement du bout des doigts sur… – où êtes-vous là, demande justement la patiente, – sur le rein, répond la praticienne d’un ton sûr et dégagé… L’intensité de la douleur est inversement proportionnelle à la délicatesse du geste – avec quel humour Daniel Pennac aurait-il raconté la scène dans son Journal d’un corps ? Elle s’attarde maintenant sur les vertèbres de la base de la colonne et explique avec précision l’attache du diaphragme, non seulement sur la cage thoracique mais aussi sur les trois premières lombaires, et comment le muscle respiratoire tellement sollicité durant l’hiver a occasionné des soubresauts répétés des vertèbres et autant de souffrances – Manu Larcenet aurait talentueusement dessiné ce faisceau de longues lanières musculeuses, le carré des Lombes, le psoas et jusqu’au visage de la patiente qui s’interroge à son propos tout en appréciant les lents étirements infligés dans cette partie de son corps par l’ostéopathe consciencieuse… Et au même moment, c’est le Traité des gestes deCharles Dantzig qui s’impose à la mémoire – sous quel intitulé aurait-il réuni ces palpations exploratoires?
Les yeux perdus | sans chercher où | les mains sur le clavier j’attends | un arbre une montagne un bout de nuage le vol d’un oiseau | contempler et oublier que je contemple | capter l’entre-deux | vous savez | ce vide entre les bouteilles d’un tableau de Morandi | errer entre| se laisser environner de bruits divers | entendre les silences | quelque chose a tourné tout le jour dans les pensées | faire confiance à mes doigts | au clavier peut-être
La crête accidentée des Dentelles comme point d’horizon et un sentier pour y parvenir. Ils iraient là. Sa main indique le chemin | Le trou dans le bois truffier où rôtissait l’agneau du méchoui annuel. Son rire à travers les arbres | Les Jeux interdits qu’il enseignait à la guitare douze cordes. La musique forcément qui le rappelle | Cette façon de tourner les cheveux dans ses doigts. Souvenir raconté d’une fillette à sa petite sœur | La voix de la gamine de trois ans qui s’étonne d’un trou dans la roche. Ses explications sur l’érosion qui a façonné la pierre. Le ton du pédagogue. La matière dansante des mots dans l’oreille |
Pas faute de s’être tâtée pourtant | et pourtant partie d’un bon pied ce matin | rejoindre les cinq cents autres sur la place du marché | immobile pendant quarante minutes à tenter de comprendre ce qui se racontait dans le micro et dans le porte-voix | applaudir les lycéens | piétiner sur des centaines de mètres | entendre d’un seul coup crier ses genoux et ses hanches | danser d’un pied sur l’autre | avancer en grinçant des dents contre les nantis de ce monde | une petite voix te dit ça en valait la peine | et l’autre tu n’aurais pas dû |
L’idée était de trouver une phrase qu’on remâche parfois tout un jour, le genre de choses qui m’arrive plus souvent qu’à mon tour et sur quoi je pense ne jamais avoir écrit ! Ça devait être quelque chose sans début ni fin, sans ponctuation non plus, et en 480 signes seulement. Je n’ai rien respecté de cela pour la bonne raison que j’écris pour moi, hors de tout groupe et que je ne me suis pas imposé cette double contrainte (car de ponctuation, il n’y a guère hormis les |)…
Je ne dois pas oublier la phrase | je ne dois pas oublier la phrase | surprise à répéter je ne dois pas oublier la phrase | depuis ce matin | et le soir pas de phrase | quand je ne savais même plus pourquoi je répétais en boucle je ne dois pas oublier la phrase | ça me revient ce soir un peu en panique | des phrases j’en ai toujours plein la tête | ce matin au réveil par exemple « la guerre est à prendre » | mais c’est une phrase de rêve | une phrase de nuit ou de sommeil paradoxal | ça ne compte donc pas | pourtant la guerre est à prendre ça m’a posé question | d’emblée | au réveil | si vous voyez ce que je veux dire | j’ai répété plusieurs fois la guerre est à prendre en me demandant bien ce que ça voulait dire ça | la guerre est à prendre | et d’ailleurs ce soir | pareil | la guerre est à prendre finalement je ne comprends franchement pas ce que ça peut bien vouloir dire | même dans un rêve | est-ce que ce serait par exemple y aller | partir en guerre | ou bien prendre le parti de la guerre | ce qui ne serait pas exactement la même chose | voyez | partir en guerre ça peut être une obligation | morale ou circonstancielle | ce qui ne signifie pas que l’on prend pour autant le parti de la guerre | mais on y va |alors que prendre le parti de la guerre | quelle que soit la guerre c’est être du côté de la guerre | et même en paix d’ailleurs | c’est faire le choix de la guerre | c’est être de l’avis que rien ne se règle autrement que par la guerre | ou que seule la guerre peut régler un conflit |ça devient compliqué là | la guerre est à prendre | j’ai envie d’ajouter | ou à laisser |
Une suggestion d’écriture qui m’a valu un vrai fou rire intérieur… parce que j’étais justement en train de me voir attendre ce matin dans une file de gens avant d’en connaître la teneur… Car oui, je lis les propositions d’écriture le jour où je dois les écrire…
dans le froid de 7h30 et une file de huit personnes, elle attend que le laboratoire ouvre ses portes, resserre son écharpe autour de son cou, pense qu’elle aurait dû se couvrir davantage, lève la tête vers le ciel, tourne un peu à gauche, puis un peu à droite, se dit qu’elle a l’air de quelqu’un qui ne tient pas en place, s’imagine vue d’en haut dans son grand imper beige, tournant comme une toupie, observe les gens de dos qui la précèdent, se demande à quoi elle ressemble de dos, s’interroge sur l’heure d’arrivée du premier patient de la file, un travailleur, peintre sans doute étant donné l’apparence de son pantalon, tente de trouver un attrait au minuscule jardin à la française qui se déploie de part et d’autre de l’allée, découvre la frise de galets qui orne le dallage, jette un œil à son téléphone pour vérifier l’heure | trois personnes entrent à l’invitation d’une secrétaire, les autres continuent de faire le pied de grue dehors et elle calcule qu’à ce rythme elle n’est pas près d’avoir plus chaud | comme elle a emporté les 40 exercices pour un carnet d’écrivain, elle jette un œil à la proposition du jour, surprise ! il va falloir observer son double, elle aurait presqu’envie d’éclater de rire | elle se dit que son air béat doit étonner l’homme devant elle qui s’est retournée et dont elle sent le regard sur elle | elle répond au sourire de la dame qui vient de lui succéder dans la file, lui trouve de beaux cheveux longs frisés d’un roux naturel, soupire encore d’attendre | un quart d’heure plus tard, c’est à l’intérieur que se retrouvent quasiment les mêmes personnes, dans un étroit couloir et une salleminuscule, elle décline son poids au guichet, quelle drôle de question pense-t-elle, l’homme devant elle a annoncé soixante-dix, il s’agissait donc de kilos et non de son âge, on ne peut s’empêcher d’entendre ce qui se dit dans si peu d’espace, bonjour la confidentialité, l’exclamation lui vient aux lèvres, dans un murmure | quelques minutes plus tard, devant le dessin d’un téléphone portable barré d’une croix rouge, elle remarque au même moment que la jeune fille arrivée bien plus tard consulte le sien, happée par son écran, avant de s’asseoir sur la dernière chaise disponible, elle invite le monsieur âgé près d’elle à s’y installer, mais non, l’homme décline et elle comprend aussitôt pourquoi quand il est appelé par l’infirmière.
Pour cette proposition, « c’est le corps et son écriture qu’on interroge », pas ses petits bobos (ou ses grands maux d’ailleurs) qu’on raconterait aux autres… « Notation sur le corps, et qui n’empiéte pas sur ce privé, qu’on respecte » , ajoute François Bon dans ces 40 exercices pour le carnet d’écrivain. Essai.
au bout de la main un poids – les doigts qui s’accrochent autour du cylindre – le tenir à peine – sans forcer – plus haut dans l’épaule tout de suite les tendons relâchés – première sensation – lemembre comme dissocié – poignet – avant-bras – coude – bras – le vide entre chaque élément – l’espace de liberté donné aux muscles aux tendons aux os – enfin ils respirent – et ce mouvement de pendule que l’haltère imprime à l’ensemble – malgré soi – puis le cercle qui se dessine et s’amplifie – la détente – le bien-être – la sensation d’exister jusque dans chaque cellule