La montagne de l’âme, Gao Xingjian


© Marlen Sauvage 2021

« Tu n’as envie que d’exposer les faits en t’aidant d’un langage qui dépasse les relations de cause à effet et la logique. On a déjà raconté tellement de bêtises, rien ne t’empêche d’en raconter encore.

Tu inventes de toutes pièces, tu joues avec le langage comme un enfant joue aux cubes. Mais aux cubes, on ne peut construire que des figures fixes, toutes les structures sont sans doute contenues dans les cubes, impossible de faire quelque chose de nouveau, quelle que soit la manière dont on les dispose.

Le langage est comme une boule de pâte dans laquelle passent des phrases. Dès que tu abandonnes les phrases, c’est comme si tu pénétrais dans un bourbier dont tu ne peux plus ressortir.

Dans les ennuis, les tracas, l’homme est seul. Une fois que tu es dedans, tu dois t’en sortir par toi-même, pas de sauveur pour s’occuper de ces vétilles.

Tu rampes dans le langage en traînant tes pensées pesantes. Tu voudrais tirer un fil conducteur pour t’aider à en sortir, mais plus tu rampes plus tu es harassé, tu es ligoté par le fil conducteur du langage ; tel un ver à soie qui tisse son fil, tu fabriques un filet autour de toi, qui t’enserre dans des ténèbres de plus en plus profondes. La faible lumière au fond de ton cœur est de plus en plus ténue et, tout au bout du filet, ce n’est que le chaos. »

La Montagne de l’âme, Gao Xingjian