Quel livre, et s’en séparer où et comment ? A cette consigne m’est venu spontanément à l’esprit un souvenir très lointain de ce qui aurait pu faire livre, et que sais-je ce que j’avais en tête alors, à une douzaine d’années ? C’est l’objet du premier court texte ci-dessous. Quand au second, parfois la fiction vient au secours de la mémoire…
Enterrés les beaux timbres aux couleurs passées – vert pâle, sépia, incarnat – venus d’Indochine, du Maroc, d’Algérie, découpés sur les enveloppes du courrier de mon père. Tellement d’histoires derrière ces noms de pays inconnus, avec cette mention attristante ORPHELINS DE LA GUERRE, tout un monde à inventer. Glissés dans l’écrin satiné d’un ensemble de baptême (cuillère et coquetier enlevés de la solide boîte bleu marine) et enfouis dans la terre de la chênaie derrière la maison de l’enfance. Appris à perdre à douze ans. Ça ne fait pas un livre ?
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Avant de refermer le paquet, il avait glissé un exemplaire du dernier livre lu, l’engloutissant sous les dizaines de lettres, de cartes postales, de dessins, de collages qu’il retournait à son ancienne compagne, celle qui l’avait supporté durant plus de vingt ans. Le verrait-elle tout de suite ? En comprendrait-elle la signification ? Le lirait-elle ? Yoga racontait un peu son histoire, celle d’un homme qui se découvrait bipolaire à plus de soixante ans, et qui revivait sa vie à l’aune de cette information. Les débuts de leur rencontre et leur vie commune avaient été tissés de ces échanges épistolaires, longtemps quotidiens, de missives spontanées délirantes, de lettres cartonnées peintes ou débordantes de papiers collés, de fax à l’encre délavée, de boîtes de sardines expédiées tels de petits colis, comme il était encore possible de le faire des années plus tôt. C’était tout un passé où il ne se reconnaissait plus qu’il retournait à leur destinataire.
La photo en noir et blanc est de taille moyenne, une moitié de page A5, sans cadre, partagée en deux à l’horizontale par la rencontre d’un ciel opaque et lourd et de la mer étale. Un soupçon de colline accompagne la ligne d’horizon. L’ensemble est grisâtre, sans force. Dans le coin gauche inférieur, un bateau se découpe très nettement. Une grande coque de noix soutenue par des bordures ou traverses horizontales épousant la courbe du bateau. Au fond du bateau, des caisses ou paniers carrés sont empilés, une douzaine peut-être, au premier abord. Une silhouette massive surplombe le tout, cheveux long ruisselants, manteau épais, deux jambes de pantalon qui émergent parmi les caisses et se cachent ensuite sous l’ourlet du manteau. La silhouette noire, peu identifiable, tient une perche en diagonale, à droite au bout un plateau ou une rame plongent dans l’eau, l’autre bout pointe à gauche vers le ciel. Les vaguelettes sont peu prononcées, dans le sillage du bateau une épaisse traînée d’ombre trace une verticale jusqu’au bord inférieur de la photo. L’ensemble donne l’impression d’être figé et plombé.
Me perdre dans un livre. Ne plus voir autour, ne plus sentir la présence des autres, ignorer tous les repères sauf les lettres noires sur la page blanche, les mots, les phrases, les lignes, les histoires, les personnages. Une plongée dans une autre vie, passionnante, plus intéressante que le présent qui m’environne. Assise, à genoux, couchée dans le lit ou à plat ventre sur le tapis, rien ne peut plus me toucher, me déranger, me détourner. Les yeux courent de ligne en ligne, les mains tiennent le livre et tournent les pages, le reste du corps n’existe plus. Immobile. Quand je lis, j’oublie de courir, de sauter, j’oublie de manger, j’oublie l’école et le temps qui passe. Je n’entends pas ma mère qui appelle, mon frère qui m’asticote, la sonnette qui annonce une visite. Un mot après l’autre, une existence se déroule, m’englobe, je suis elle, lui, je vis avec eux jusqu’à la fin du livre. Happée, engloutie, ensorcelée. Un monde s’est ouvert, la tête chauffe, le cœur déborde, je lis, j’apprends, je ressens, je voyage, je suis ailleurs jusqu’à la fin de l’histoire.
Lili s’était immergée dans son livre et l’avait lu avec tant d’intérêt et de passion qu’elle avait perdu tout contact avec la réalité. Elle avait l’impression de s’être endormie sur son histoire et dans un rêve étrange, elle était partie en voyage sur une pile de livres, des livres volants, avec des ailes comme des anges qui la transportaient dans l’air comme les tapis volants des mille et une nuits. Elle se perdit dans un ciel gris rempli de nuages bizarres, en montagnes, en moutons, en traînées, en tours menaçants qui se couraient après, se cognaient, se lançaient vers elle comme des ballons sautillants. Elle aurait dû avoir peur, mais non, ça l’amusait pendant un long moment. Traverser cette voûte grise, glisser sur un toboggan, balancer sur une escarpolette, monter, descendre, tourbillonner dans l’espace. Elle aurait dû avoir froid, très froid, dans ce ciel hostile et mouvementé, mais elle ne sentait rien. Par contre, c’était tout drôle, elle pouvait s’observer d’en haut, spectatrice de son voyage, de ses mouvements, de ses tournoiements. Puis elle perdit connaissance.
A son réveil, ça flottait, glissait, balançait sous elle, autour d’elle, elle eut un haut le cœur sévère, c’était le noir et c’était l’odeur, une odeur de poisson qui l’écœurait, une odeur de sel, d’iode, de mer agitée, de bois mouillé, elle se boucha le nez, ouvrit les yeux, mais elle était toujours dans le noir, enfermée dans une caisse en bois, parmi d’autres caisses en bois qui s’entrechoquaient. Elle se tourna, se tortilla, essaya de sortir, ne trouva pas d’ouverture, pas tout de suite, tâtonna, décrocha un truc en fer, une serrure en métal lisse, réussit à renverser le couvercle, clac, et sortit prudemment la tête. Elle se trouvait sur un petit bateau bas en bois rempli de caisses pleines de poissons. Elle se secoua, tremblant de froid, de dégoût et de peur et découvrit avec effroi qu’elle naviguait en pleine mer, sur une coque que conduisait une silhouette noire, on aurait dit un géant, lourd et massif, aux cheveux grouillant comme des serpents jusqu’au milieu du dos et des mains épaisses qui serraient une longue canne ou rame ou perche plongeant dans les vagues. Un géant planté tout seul sur un petit bateau qui n’avançait guère, gouvernant, pilotant ou simplement flottant sur cette étendue d’eau immense. Lili se sentit bizarre et révisa à toute vitesse dans sa tête toutes les histoires de géants qu’elle avait pu lire… aucune ne parlait d’un géant marin, à part l’histoire de Neptune avec son trident, mais ici, le géant n’avait qu’une perche longue et fine, à se demander à quoi ça pouvait servir puis que le bateau n’avançait pas. Est-ce qu’il était condamné à voguer à perpétuité sur la mer comme dans les légendes ? Et elle, qu’est-ce qu’elle faisait dans cette histoire de marin ? Il fallait en sortir aussi vite que possible !
« Et Monsieur, on ne peut pas aller plus vite, regardez au loin, la terre s’étale devant nous, elle nous attend ! »
Elle l’apostropha malgré sa peur, parlant avec politesse et amabilité. Mais lui resta immobile comme une statue, comme un sourd, comme un fantôme noir. Elle chercha une issue, elle n’allait pas voguer là jusqu’à l’éternité. Nager vers la terre ? Trop loin, trop froid, trop mouillé surtout ! Voler ? Il lui manquait un moyen, plus d’ailes, plus de tapis volant ! Elle se sentit très seule. Abandonnée. Elle ferma les yeux, réfléchissant, retenant les larmes qui montaient avec son désespoir. Reste positive, concentre-toi, trouve un moyen…
Une vive lumière transperça ses paupières, le ciel s’était éclairci, les nuages s’étaient écartés et à travers ce grand espace de lumière, une ombre avança à grande vitesse. Elle écarquilla les yeux, angoissée et en même temps curieuse de voir cette boule noire, non, plutôt une ellipse, un ballon ovale, d’une taille impressionnante, environné de cordes qui semblaient s’attacher au ciel et d’autres qui pendaient vers la mer. Ce n’était pas une montgolfière, pas assez rond, et la nacelle manquait, ce n’était pas un avion, rien à voir, elle avait déjà voyagé en avion, elle aurait compris tout de suite, alors elle pensa à ce qu’on appelait un Ovni, mais il n’y avait pas de bruit de moteur, l’engin avait l’air mou, plus ou moins gonflé, les cordes qui pendouillaient lui rappelaient vaguement les attaches d’un ballon gonflable, mais sans gondole, ni nacelle, je ne suis qu’une petite fille, je ne peux pas tout savoir, mais j’aimerais bien qu’on m’enlève de ce maudit bateau, ne jure pas, Lili, pas de gros mot, elle se gourmande, mais elle aimerait bien avoir quelqu’un qui s’occupe d’elle et qui la sorte de là….
« Hé, Lili, regarde-moi ! Viens ! Monte ! »
C’était son ami Tom Pouce qui la héla, se penchant par une ouverture du ballon, par une petite fente qui semblait être une fenêtre. Une toute petite fenêtre, comme son ami était petit, petit, mais intelligent et débrouillard. Elle était heureuse de le voir, il allait l’aider, elle en était sûre. Il lui disait de monter, mais monter où ? Une des cordes qui pendaient du ciel, tomba dans le bateau et s’y enroula. Accroche-toi ? Elle ne comprenait pas bien, mais attrapa la corde qui monta aussitôt vers le ciel, vers Tom Pouce qui se dandinait dans le ballon bizarre, comme sur une balançoire. En bougeant, il fit avancer l’engin qui s’envola tout droit vers la bande de terre toute mince au fond de l’horizon.
« Tu viens avec moi dans le pays où on rit tout le temps ? »
« Un pays où on lit tout le temps ? » Cela lui semblait tentant, mais impossible, il fallait bien manger et boire, au moins…
« Mais non, un pays pour rire, être joyeux, sans soucis ! »
Lili réfléchit, être joyeux, cela lui plaisait, mais tout le temps ?… il y avait bien d’autres choses à faire dans la vie…
« Je préfère que tu me ramènes à la maison ! »
Elle avait soudain la nostalgie de sa chambre, de ses livres, de maman, papa et de grand-mère. Dans son impatience, elle se pencha par la petite fenêtre qui n’était finalement pas si petite que ça, qui s’élargissait, s’allongeait, grandissait à toute vitesse. Lili perdit l’équilibre, voulut s’accrocher à Tom Pouce tout petit, trop petit pour la retenir, passa par l’ouverture et tomba tête la première dans l’espace. L’air et le vent la portèrent un instant, puis elle ne sentit plus rien… Elle réfléchit, crut entendre la voix de sa mère : « Lili, viens manger, il y a des spaghettis ! » Son ventre gargouilla et elle s’aperçut qu’elle était couchée sur le tapis de sa chambre et qu’elle avait très faim. Sa tête était lourde, posée sur les pages ouvertes de son livre. Ses yeux étaient encore collés et ensablés, mais ses oreilles fonctionnaient, elle avait bien entendu sa maman appeler de la cuisine. « Oui, maman, j’arrive ! »
Monika Espinasse
La proposition en 3 étapes était la suivante : à partir d’une carte postale tirée au hasard à chaque étape, décrire la première carte comme on le ferait pour un aveugle ; choisir dans la 2e un élément rappelant un souvenir ; et ajoutant la troisième aux précédentes, tisser un fil entre ces cartes pour inventer une fiction. Parmi les suggestions d’écriture, l’utilisation de la cataphore, celle du « il y a » ou encore la description à la Perec, pour la première. L’appui de Charles Juliet pour l’écriture du souvenir, et enfin la recherche de sa propre voix pour ce qu’il en est de la fiction. Marlen Sauvage
« Il y a de la crevette dans le pâté », ce sera notre expression fétiche pour dire qu’un grain de sable vient de se coller dans l’engrenage.
Il y a cette paella dans une immense poêle posée à même le sol où nous grapillons crevettes roses et calamars, moules et poulet, du bout des doigts. La ronde des autres, autour, leurs rires, leurs voix. Un petit verre de vin rosé, blanc, rouge, pas loin.
Il y a ces livres partagés, ces questions posées, ces réponses que l’on n’attendait pas, qui viennent crever notre univers de pensée, et que pourtant l’on espérait ; tout ce qui nous parle d’humanité, de terre à arpenter, d’arbres à planter.
Il y a tant d’émotion que les regards s’embrument. Dans ce temps de l’après, quand le monde a quitté le festival et que chemine au creux du ventre le sentiment de la fin, un peu comme une perte, une dépossession.
Sandrine Cnudde et son éditrice, Danièle Faugeras, deux voix pour Patience des fauves.
Il y a Sandrine et Danièle, André, Catherine, Eva, Pascale, Sophie et Raphaëlle, les fous rires enthousiastes du premier matin, la fougasse et le café, les confidences partagées, Liliane, Monika, Stéphane, les tableaux blancs à effacer, Monique, Marité, les pastilles de couleur à distribuer, Johan et son sourire, la pelouse sous le soleil, la cigarette roulée, le grand chien de Catherine affalé sous une chaise, le repas de midi dans le parc du château, les discussions à bâtons rompus, la foule qui se presse dans la salle aux chaises rouges, le frôlement des corps entre les stands des éditeurs, au-dehors les danseurs, baluchons sur le dos, le micro qu’on abandonne mais les mains qui se lèvent et soudain les questions fusent quand l’heure a déjà trop tourné, le souhait de se revoir, les chaises à ranger, les sanglots de l’une, les tissus à rouler, les kakémonos à décrocher, au coin d’une fenêtre, Balthasar joue en cognant deux boules l’une contre l’autre, les Figues que l’on se promet d’organiser à l’automne, le public qui remercie, les hésitations de l’auteur, la voix courte, la sincérité, l’autre voix puissante qui s’élève, la barbe blanche et rousse, les grandes mains de paysan, le souffle de la marcheuse, ses craintes dans la nuit des loups, cette Lozère qui nous rassemble, les larmes imprévues de la pompe à essence, les pas de la petite fille dans le tribunal de Justice durant le concert de musique, les souvenirs des uns qui se mêlent aux souvenirs des autres, Eliane et la route de la Baume Haute ignorée, Eliane et son envie de se perdre, jusqu’aux Bondons, mais se perdre…
André Bucher, ci-dessus, pendant une lecture au château du Parc national des Cévennes.
Voilà. C’était le festival du livre à Florac les 13 et 14 mai derniers. Des moments intenses avant, pendant, après. Lignes de partage a réuni des centaines de visiteurs autour des trois auteurs « vedettes » du festival : Catherine Poulain (éd. de L’Olivier), Sandrine Cnudde (éd. Po&Psy) André Bucher (éd. Le Mot et le Reste), et de quelques auteurs locaux (Marie-Pascale Vincent, Christophe Blangero, François Capelier, Marc Lemonnier et bien sûr Patrick Cabanel qui était le parrain du festival). Autour de petites maisons d’édition indépendantes, aussi, qui nous ont enchantés comme toujours par la qualité de leur production et leur engagement (Winioux, Cambourakis, le Diplodocus,Alcide, le Bousquet-la barthe, les éditions du Gévaudan, Encre et Lumière, autour d’auteurs-illustrateurs (Sophie Tiers, Xavier Boulot), de bricoleurs étonnants (Les Mondes en papiers), de danseurs, de musiciens (nous avons eu droit à un anti-concert généreux et plein d’humour donné par Irène Mayaffre et Louise White en hommage à Jacques Bonnal, sculpteur), de comédiens, d’associations (Terre de Lecteurs, Foyer rural de Florac, etc.), d’un plasticien génial et sympathique (oui, nous avons notre Peter Weir en Lozère) et j’en oublie sans doute…
Les humains font des assemblages.
Les humains font des assemblages de sons, des assemblages de mots, des assemblages d’objets.
En assemblant des sons, ils fabriquent de la musique et des rythmes.
En assemblant des sons, ils fabriquent, en permanence, des mots.
En assemblant des mots, ils fabriquent des phrases.
En assemblant des objets, ils fabriquent des “ustensiles”, des choses utiles : des huttes et des nattes, des temples et des acqueducs.
Les humains, qui sont de grands “assembleurs”, des passionnés d’assemblage, font, aussi, des assemblées. »
(…)
« Et les humains, toujours passionnés d’inventions et d’assemblages, ont inventé d’assembler leurs habitations.
Ils ont ainsi formé des villages et puis des villes.
Dans certaines de ces villes – c’était il y a 2 500 ans, des humains ont dit : « Maintenant que nous avons inventé la ville, nous allons inventer la “chose publique” ! »
Mais, aux quelques-uns qui voulaient inventer la “chose publique”, quelques-autres ont répliqué :
« Nous vivons assemblés dans des villes, avec des chefs, avec des prêtres. Laissez-nous tranquilles ! »
« Pourquoi voulez-vous, à présent, inventer la “chose publique” ? »
Les quelques-uns ont dit : « Nous allons faire la “chose publique”, pour tous, avec du
vide ! »
Et les quelques-uns ont cherché un endroit vide.
Des endroits pleins, ils en connaissaient : les palais des chefs, toujours pleins de serviteurs, de gardes, de secrétaires ; et les temples des prêtres, eux aussi pleins de serviteurs et pleins d’offrandes.
Un endroit vide, dans une ville, ce n’est pas si facile à trouver. On peut toujours aller dehors, aux portes de la ville.
Mais les quelques-uns se sont dit : quand les marchands de légumes et les vendeurs d’animaux, les marchands de tissus et de poteries, quittent la place du marché, la place du marché est vide !
Sur la place du marché, quand elle est vide, nous pourrons nous assembler !
Alors, les quelques-uns ont dit aux quelques-autres :
« Nous avons trouvé une place vide pour nous assembler. »
« Alors, s’il vous plaît, sortez de chez vous et venez nous rejoindre ! »
Mais il n’est pas facile de faire sortir les gens de chez eux : l’un fait ses comptes, l’autre fait la sieste, un autre encore est occupé dans son atelier.
Et d’autres sont sortis de la ville pour aller surveiller leurs champs.
Et les hommes disent aux femmes : « Restez chez vous ! Il est inutile d’aller sur la place vide pour y jeter des mots. Occupez-vous plutôt des enfants ! »
Et puis, les quelques-autres ont été catégoriques :
« Nous ne voulons pas, nous ne voulons surtout pas, nous mêler des affaires
des autres ! »
Les quelques-uns ont répondu qu’on allait essayer et faire “comme si”.
“Comme si” les affaires des uns étaient les affaires des autres.
Les affaires des uns devenues les affaires des autres auraient un nom particulier : elles s’appelleraient “affaires publiques” ou bien “choses publiques”. »
Photos : Monia Masmoudi (lectures dans Tunis, devant la librairie Akitab) / Philippe Dujardin (stage de Sousse)
J’ai assisté à la lecture de ce texte de Philippe Dujardin « La chose publique » le dimanche 26 mars à la Foire Internationale du livre 2017 à Tunis devant le stand Sud Editions, traduite en dialecte tunisien par Majd Mastoura, comédien. Ce projet, piloté depuis 2015 par Kmar Bendana (historienne) et Françoise Coupat (metteur en scène) a réuni Majd Mastoura, Yosra Amouri, Faten Chroudi, Mohammad El-Issaoui et Mohamed Chaouch. Un moment beau, émouvant, fort !
J’ai terminé ce travail d’écriture auprès des 18 enfants de villages avoisinants, dont je parlais récemment. Six matinées intenses à proposer de parler de nos vallées, de nos villages, de leur histoire, du petit patrimoine bâti, des surprises cachées dans les ruelles moyenâgeuses, des légendes associées aux lieux… Six après-midi à transcrire leurs textes, à préparer les ateliers du lendemain, des jeux d’écriture différents pour varier les plaisirs et ne pas lasser ces garçons et ces filles de 8 à 13 ans, dont les plus grands parlaient de jeux vidéo, de tablettes, de consoles, de DS et que sais-je encore pendant notre visite le lundi matin. Heureusement, tous à peu près aimaient lire. L’un deux mentionna même Crime à la lunette et j’en étais tellement surprise que je ne lui demandais rien à propos de sa lecture !
C’était les vacances et pourtant les enfants ont tous joué le jeu… Ils ont écrit, dessiné (même durant mes ateliers pour une proposition autour des Mots ont des visages, inspirée de Joël Guenoun), échangé leurs idées, lu leurs textes, se sont intéressés aux auteurs dont j’apportais la prose en support à mes suggestions : Jean Tardieu, Georges Perec, Paul Eluard, Etienne Klein et Jacques Perry-Salkow pour leurs Anagrammes renversantes parmi d’autres…
Me voilà maintenant à la tête de dizaines de phrases, de textes plus ou moins longs qu’il faut relire, choisir pour le fameux livre qui reste, je crois, la grande motivation de ces jeunes à participer à des jeux d’écriture durant une semaine de vacances. Car le livre encore fait rêver ! J’entendais un matin une info à la radio à propos des jeunes (et des moins jeunes) qui ne savent plus écrire, former les lettres à la main tant les machines avaient pris le pas sur le papier… Sans doute est-ce vrai si les « études sociologiques » le disent, et j’ai noté que l’on ne dessinait plus un « a » ou un « d » comme on pouvait le faire « avant », certes… L’essentiel n’est-il pas ailleurs ? C’est la question que je me pose… Dans tout ce que l’on s’autorise avec les mots, le langage, notre imaginaire, une façon de voir et de savoir le dire, tout au moins d’oser tenter le dire…
Avec notre guide, Anne, devant la fontaine Brioude, à Florac.
Je recommande ici un livre de circonstance, de Erwan Gabory, un jeune ami de longue date, qui depuis son enfance souhaitait devenir écrivain. J’aime bien cette persévérance !
L’envol des baisers, et une signature pour les Parisiens…
Le 8 février peut avantageusement remplacer le 14 😉
Erwan a publié en 2013 Le plieur de chaussettes, chez Christophe Lucquin éditeur.
« Souvent, il est plus difficile de se défaire d’un livre que de se le procurer. Les livres s’accrochent à nous en un pacte de nécessité et d’oubli, comme s’ils étaient les témoins d’un moment de notre vie auquel nous ne reviendrons plus, mais que nous croyons préserver tant qu’ils restent là. »
La maison en papier, Carlos Maria Dominguez, trad. Geneviève Leibrich, Seuil, 2004.