Un petit tour à l’Estaque

Il s’y déroule le Printemps du polar chaque année depuis 2018, Cézanne y a habité sur la place de l’église, on peut s’y rendre en bateau depuis le Vieux-Port… C’est l’Estaque, ce quartier de Marseille dont le nom chante pour moi depuis Marius et Jeannette, de Robert Guédiguian, en 1997, jamais visité et découvert un week-end ensoleillé.

On peut y arriver par la route, mais par la navette, c’est un petit bonheur d’une demi-heure ! Un aller tranquille pour un retour très agité – de nombreux touristes rentrèrent en vitesse, copieusement arrosés par les vagues. Laisser Marseille derrière soi, la mairie, le fort Saint-Nicolas sur la gauche, le fort Saint-Jean et le Mucem à droite, la cathédrale de la Major, aux pierres vertes et blanches, puis apparaissent les quartiers nords au loin, ses grues, ses bateaux de croisière gros comme des immeubles, la Castellane, cité de Zidane, et enfin le petit port de l’Estaque. Le cadeau de la traversée ! Diaporama ci-dessous.

Place Maleterre, où se situe l’église, une plaque commémore le lieu où séjournait Cézanne. D’ici la vue est superbe sur la rade de Marseille. Un court diaporama…

Au Pôle des arts visuels, visite d’une exposition de 58 reproductions de tableaux peints par Cézanne au cours de ses séjours marseillais, entre 1864 et 1885. Une autre vision des environs dans un XIXe siècle encore épargné par les usines. 

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on ne pense pas assez aux escaliers 

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Elle ne les grimpait plus quatre à quatre, les quatre-vingt-quatre marches du 214, chemin de l’Oriol, d’ailleurs c’était un abus de langage car deux à deux avait toujours mieux convenu à sa démarche esthétique qui jamais ne se déhanchait mais offrait au regard du suiveur une silhouette dansante sur une paire de jambes aux mollets galbés par l’exercice quotidien, et si elle ne les grimpait plus aussi vivement ces quatre-vingt-quatre marches, au moins, les gravissait-elle sans béquille d’aucune sorte, pensait-elle en ce moment précis où elle posait le pied sur la première (une canne ! quelle injure lui avait-on faite avec ce cadeau saugrenu qui la reléguait au rang des vieilles personnes, ce qu’elle se refusait à être malgré les années qui avaient fripé sa peau hâlée, amaigri son corps mince, taché ses mains menues, et depuis le temps, soixante ans, qu’elle atteignait les hauteurs de Marseille – « le septième ciel compte quatre-vingt-quatre marches », lui murmurait dans leur jeunesse son mari, aujourd’hui mort et enterré, et elle sourit sans nostalgie à cette évocation, d’un sourire qui plissait les rides de ses yeux –) et, jetant un regard sur la boîte à lettres au niveau de la troisième marche, à droite, et n’y voyant rien, « pas de nouvelles, bonnes nouvelles », dit-elle de son accent chantant ; et poursuivit son ascension la tête en l’air vers les bougainvillées couvrant le mur de béton, toujours émerveillée par la couleur violette de leurs bractées d’où émergeait le cœur blanc étincelant de leurs fleurs minuscules qui lui rappelaient sa parure de jeune mariée ; et comme le cabas qu’elle tenait en bandoulière menaçait de verser, elle suspendit son pas, au tiers de la grimpette pour en redresser la bretelle et se reposer un peu sans en avoir l’air, croisa le voisin quinquagénaire dont la maison se tenait à mi-hauteur, qui descendait d’un pas rapide, mais elle le salua d’un bonjour clair et nullement essoufflé, reprit même sa montée en chantonnant le cours de ses pensées : la visite prévue dans l’après-midi d’un ancien élève pour lequel justement elle était descendue dans le quartier faire quelques achats de fruits et de boisson, se félicitant de n’être pas oubliée de ces jeunes hommes et jeunes filles qu’elle avait accueillis dans l’école qu’elle dirigeait, voire dans sa classe, et qui lui vouaient le même respect et la même attention qu’autrefois ; c’était sa fierté, reconnaissait-elle volontiers, d’avoir éduqué à elle seule plus d’enfants que la plus prolifique des mères ; elle avait pris sa retraite à soixante-cinq ans, il y aurait vingt ans bientôt, soupira-t-elle en regardant maintenant la Méditerranée face à elle, perchée sur la quatre-vingt-quatrième marche, comme elle le faisait systématiquement avant de tourner la clé dans la serrure de sa porte d’entrée.

Marlen Sauvage
Cinquième atelier d’écriture mené par François Bon, hiver 2016.

Photo : M. Sauvage, Marseille, 2011

Haïku ≠17

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Comme notre amour

Le cadre a pris la poussière

Le vent balaie tout

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Texte et photo : M. Sauvage. Street art, Marseille, janvier 2012.

C’est flou !

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Et je me rends à l’évidence… Ce flou artistique, que cache-t-il ? A moins qu’il ne révèle ?

Ce qu’on ne veut pas voir, ce qu’on a envie de tenir dans l’ombre de la pensée : le désamour, la fatigue de l’autre, cet entre-deux entretenu depuis si longtemps par confort, lâcheté, peut-être aussi par tendresse. Le flou des sentiments… qui s’évanouit quand d’autres sentiments se pressent, envahissent, débordent…

Je me suis demandé tant de fois s’il fallait s’accommoder du flou quand on est comme moi partisane de la transparence. S’accommoder, se tenir en retrait, s’effacer. J’ai tenté. Pour laisser le flou gangrener toutes mes images, mes sensations, mes désirs, pour devenir floue moi-même.

En mon for intérieur, en courant devant la mosaïque de poissons au musée du Bardo de Tunis, je m’imaginais passer d’un bord à l’autre de la Méditerranée, dans des allers-retours incessants, qui me conduiraient de Marseille à Tunis, de Tunis à Marseille… D’un bord à l’autre. Aux contours nets. Dans la vie, le mouvement, la poésie.

« Or, le flou, c’est ce qu’il y a de mieux dans la photo. Le flou, c’est la vie. Le flou, c’est le mouvement. Le flou, c’est la poésie. »
Alain Rémond, « Il est fou, ce flou ! » in Marianne du 6 au 12 octobre 2007.

Image © Marc GuerraDes poissons et des femmes, ≠42

Nous poursuivons notre voyage dans l’univers  Des poissons et des femmes entamé le 4 janvier et pour une année entière : sur une image de Marc Guerra, j’écris un texte et publie le tout chaque vendredi… jour du poisson !

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